Vassili Peskov nous fait découvrir dans
Ermites dans la taïga l'incroyable épopée d'une famille russe, les Lykov. « le fond de l'histoire était que dans les montagnes du Khakaze, sur le versant nord, impénétrable, du Saïan ocidental, des géologues avaient découvert des hommes qui vivaient depuis plus de quarante ans totalement coupés du monde. » Comment en sont-ils venus à vivre ainsi ? En quoi consistait leur vie ? Comment se nourrissaient-ils ? Autant de questions auxquelles le livre de
Peskov nous donne des réponses.
Vassili Peskov était un journaliste russe pour la revue Komsomolska Pravda, ainsi qu'un présentateur d'une émission de télévision consacrée aux animaux. Prévenu de la découverte par hazard de la famille Lykov en 1978, il se rend sur place à partir de 1982. C'est le début de nombreux séjours dans la forêt, qu'il relatera dans le journal, mais aussi dans ce livre, qui eut un très grand succès. C'est également le début d'une véritable amitié, notamment avec Agafia, la dernière survivante de la famille qui vit encore aujourd'hui dans la forêt sibérienne.
Revenons tout d'abord sur les raisons qui ont poussé la famille à s'isoler. A l'origine, un schisme est né, dû à la révision de la liturgie en Russie au 17ème siècle. Une partie de ce qu'on appellera désormais les « Vieux Croyants » ira se réfugier dans des villages pour continuer à exercer leur culte. C'est le cas des ancêtres des Lykov. Plus récemment, durant les années 30, la famille finira par quitter son village avant de s'exiler définitivement en 1945 dans la forêt, sans contact humain extérieur jusqu'en 1978, date de la découverte fortuite par des géologues survolant la région en hélicoptère.
On fait donc ainsi connaissance avec le patriarche, Karp Lykov, un chef né qui dirige la famille. Son épouse est décédée en 1961, des suites d'une disette provoquée par un hiver très rigoureux. le personnage central du récit est Agafia, la fille cadette des Lykov, née en 1945. Trois des cinq enfants, une fille et deux fils, sont morts entre 1978 et 1982.
L'une des choses qui marque profondément le lecteur est l'importance de la foi, une « foi frénétique », comme la décrira
Peskov, qui leur permet de supporter toutes ces conditions (mais qui est aussi à l'origine de cette vie de privations). Agafia prie 4 à 5 heures par jour et remet son destin à Dieu.
Les conditions étaient extrêmement difficiles dans cette partie du pays où la neige et le froid prédominent, où la belle saison ne dure que quelques mois.
Les Lykov ont accepté la venue des hommes ; ils avaient besoin de ce contact. Ils ont bénéficié des cadeaux : des biens de première nécessité dont ils avaient cruellement besoin, même s'ils ne voulaient accepter le pain, la viande, le poisson, le sucre…, tout aliment « de ce siècle » pour des raisons religieuses. L'auteur décrit les détails de leur vie quotidienne : cultiver son jardin (les pommes de terre sont une denrée de base), faire du feu, raccommoder des habits (l'aiguille est un véritable trésor), confectionner des sabots ou de la vaisselle à partir d'écorce de bouleau, mais aussi des aspects moins évidents comme consigner le temps (à noter que les années étaient comptées selon le calendrier byzantin d'avant
Pierre le Grand).
Vassili Peskov fait preuve d'une grande bienveillance, empathie envers la famille, il se met en retrait pour nous offrir de si beaux portraits. Une histoire d'amitié se développe. Il en sera de même avec l'un des géologues, Erofei, qui n'hésitera pas à renoncer à un avancement pour rester près des Lykov et les aider ; un hiver, c'est lui qui arrivera juste à temps pour sauver la famille, presque gelée dans son isba. Les russes auront l'occasion de suivre les récits sur la famille et des dons s'organiseront pour les aider.
Le personnage central d'Agafia est très attachant. Elle est d'une grande curiosité, possède un vrai sens de l'humour. A l'instar des autres membres de la famille, c'est une force de la nature, comme l'atteste cet extrait, où elle fera plus de 30 allers-retours (20 km au total à chaque fois) à pied dans la forêt de leur ancienne à leur nouvelle isba.
N'ayant pas reçu la bénédiction de son père pour quitter la forêt et retourner parmi la civilisation, elle y restera seule, mais entreprendra plusieurs voyages (en train, en hélicoptère, en avion !) pour rendre visite à des membres de sa famille.
A noter qu'une suite de ce livre, parue en 2009, existe dans la même collection. Elle s'intitule «
Des nouvelles d'Agafia ».
Au final, je vous conseille sans hésiter la lecture de ce très beau livre !
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