Charlotte, quand elle se trouvait en bonne santé physique et morale, avait peu de goût pour la délectation morose en matière religieuse. Le sévère méthodisme et les sombres prophéties des traités calvinistes que la tante Branvvell avait introduits au presbytère ne l'avaient pas autrement touchée. Elle avait connu le doute et l'admettait chez autrui; elle critiquait de manière intrépide les institutions et ceux qui les servaient. Mais voici que le côté le plus sombre des doctrines calvinistes jeta son ombre sur ses croyances. La conviction qu'elle était vouée à la damnation éternelle la submergea. Désespérée, en quête d'apaisement, en proie à une foule d'émotions, elle s'adressa à Ellen Nussey. Incapable de reconnaître d'où provenait son tourment, elle éprouvait l'urgent besoin de confesser sa faute auprès de cette amie pieuse et aimante.
"Un désir si puissant de posséder des ailes -des ailes comme seule la fortune peut en fournir- une soif si pressante de voir -de connaître- d'apprendre -quelque chose en moi parut se dilater si hardiment pendant une minute -la prise de conscience de facultés inemployées me mit au supplice -puis tout s'effondra et je désespérai..."
(...)alors que tant d'établissements scolaires prospéraient dans le Yorshire, les soeurs Bronté pouvaient-elles espérer attirer assez d'élèves dans leur obscur village pour que cette aventure soit couronnée de succès ?
Les jours rampaient comme des invalides douloureux. Cherchant désespérément la présence d'êtres humains, le bruit qu'ils font, elle s'arrachait souvent au pensionnat, "pesant comme la dalle d'une tombe", et marchait pendant des heures dans la ville, se mêlant à la foule jusqu'à ce que la fatigue la ramène aux locaux vastes et déserts de l'école. Là, elle parcourait de nouveau les sentiers du jardin où elle tâchait de lire. Quel pauvre réconfort elle retirait des livres que Monsieur lui avait donnés, comme était dépourvu de signification ce qu'elle avait inscrit dessus : "Don de M. Heger". Dans son désespoir, elle fuyait une fois de plus ce jardin pour errer dans les rues de la ville jusqu'à la tombée de la nuit.
Des tempêtes d'une telle nuit intérieure, il reste donc ces terribles textes : biographies, poèmes, lettres, romans, la mythologie des douleurs et des souffrances de ces grands écrivains féminins pour qui leur propre corps fut le lieu de l'enfer et de l'élaboration et de l'échec intense, magiques et poétiques du refus de cet enfer.
La mort de leur mère constitua pour les six enfants un choc qui les affecta profondément. Il imposa à maria, qui avait alors huit ans, un sentiment de responsabilité qui la vieillit et la rendit grave précocement. Elle laissa chez les autres une impression d'insécurité, ne fut plus capable de s'adapter heureusement au monde extérieur, une fois quitté les murs du presbytère. Dans le même temps, cette mort les rapprocha; ils s'accrochèrent les uns aux autres comme de tendres plantes grimpantes et tirèrent tout leur bien-être, toute leur force de l'intense unité émotive et physique qui les rapprocha.