Quel feuilleton cela ferait !
Dans l'Allemagne d'une guerre de Trente ans qui achève sa période bohémienne et palatine, une cité particulière, protégée par un dragon, se blottit à l'embouchure d'un Rhin qui n'aurait pas à franchir encore des Pays Bas trop bas et définitivement sous la mer. C'est Wielstadt (la cité de la roue ?). Malgré la guerre, Catholiques et Protestants vivent en relative bonne intelligence en compagnie d'êtres décrits dans les mythologies ou les contes et pourtant bien réels. Dans cette ville à nulle autre pareille, un homme érudit, bretteur d'élite et pénétré des mystères de la kabbale fait face aux maléfiques forces de l'Ombre. Il est chevalier. Son nom est Kantz.
Bon sang ça vous donne pas envie ça ?!!? Je devrais arrêter là d'ailleurs…
Bon d'accord, je continue.
Pierre Pevel se définit comme écrivain architecte et ça se voit. Il contrôle son récit d'une plume d'airain ; pas de monstre de Frankenstein qui oserait prendre sa liberté ici. Il nous invite dans son monde uchronique, nous l'instille petit à petit. Quand les premiers éléments sont digérés, il en ajoute d'autres, complexifiant sans l'alourdir la trame de sa tapisserie. Les variations par rapports à notre monde étonnent : « Tiens, pourquoi a-t-il ajouté cette société-là ? Elle n'existait plus au 17ème siècle ». Et puis « Ah oui, ça s'intègre vachement bien, en fait ».
Mais ce premier tome n'est pas qu'un décor. C'est un récit d'action épique, centré sur une série de meurtres qui ferait vomir
Maxime Chattam de dégoût. C'est une enquête mais ce n'est un mystère que pour le chevalier Kantz. Car jouant sur les points de vue du héros et de son adversaire,
Pevel accorde une longueur d'avance au lecteur. Ce n'est pas un roman d'
Agatha Christie, plutôt un Columbo où l'on connaît l'assassin et où l'on se régale de voir le héros se dépatouiller avec sa logique et ses investigations. Et Columbo est croisé avec un
D Artagnan qui serait investi d'un pouvoir surnaturel et l'adversaire lui-même est un vicaire des forces obscures. J'évoque à peine la multitude de seconds rôles – probablement un peu trop nombreuse – dont les principaux, drôles ou sérieux, humains ou non, apportent de la vie à cette histoire. J'espère que l'on approfondira Jacob, Zaccharios ou Chandelle par la suite.
Le principal mystère de l'histoire reste Kantz, qui enquête, agit, se bat à l'épée, boit avec ses amis, mais dont on ne sait rien au final. D'où vient-il ? Comment en est-il arrivé à jouer le rôle qu'il semble s'être imposé ? C'est lui dont j'aimerais découvrir les secrets dans les tomes futurs.
Et quelle plume, mes ayeux ! le style ancien entraine net la distanciation avec le monde réel et nous plonge dans l'altérité bien mieux que n'importe quel portail magique.
J'avoue tout de même quelques micro-agacements sans importance : une guerre de Trente ans restée trop à l'écart de Wielstadt, des descriptions parfois trop invasives qui nuisent à la fluidité du récit (ah, le fonctionnement du pistolet à rouet !), une fin trop Deus Ex Machina.
Bah, tout ça n'est pas grand-chose. Je le répète, cela ferait un superbe feuilleton, et pourquoi pas un film ?