À force de voir partout rayonner ce suprême nom de plume dont la sobriété n'a d'égale que la modestie, je me suis intéressée aux écrits de
Jupiter Phaeton. Cherchant par quel ouvrage aborder son oeuvre, je me suis rendue sur son site web où elle se présente comme « Autrice de plus de 40 romans en moins de trois ans. » Que voilà des chiffres ébouriffants, ai-je songé en dégainant ma calculatrice. Car le tout donne une moyenne de quatorze livres par an, soit un temps d'écriture total de vingt-six jours par roman. Fulgurant ! Un oeil éberlué d'admiration et l'autre agité d'un clignement sceptique, je me suis penchée (en louchant donc) sur l'un de ses ouvrages fantasy parmi les plus récents.
On nous promet magie, action et intrigues donc? Heureusement que ces trois-là sont citées dans le résumé, parce que dans le texte proprement dit, elles se font plus discrètes que
Xavier-Dupont de Ligonnès sur un vol Malaysia Airlines.
La trame narrative du roman m'évoque irrémédiablement un myriapode sous fentanyl, plein de petites papattes mollassonnes qui sortent de partout pour ne l'emmener nulle part. L'intrigue et ses multiples appendices sont flasques au possible, au moins jusqu'à la moitié du roman, où notre mille-pattes fracass' entame son overdose en vomissant par intermittence des moments de précipitation des événements. Après, rassurez-vous, il n'est pas non plus parti pour la crise d'épilepsie. La majeure partie de ces malheureuses scènes d'action reste constituée de parlote ou de broderies émotionnelles. Chiffres ? Après ablation desdites sur un extrait, un peu plus mouvementé, de 742 mots au chapitre 28, reste 316 mots relatifs au déroulement de la séquence. le reste (58% du corpus donc), c'est de la conversation et des réflexions sur que c'est quand même pas drôle tous les jours.
Quand à la magie, ben, on croise rapidement un mystérieux sortilège vers le dernier quart du roman. Ça valait le coup d'en faire un argument de vente...
Mais bon, dans la quatrième de couverture, il fallait bien mettre l'accent sur quelque chose et on n'allait pas, surtout pas ! attirer l'attention sur la plume de l'autrice. Je ne suis pas sûre qu'à ce niveau de platitude, on puisse encore parler d'écriture, défilement de mots basiques me semble plus pertinent. C'est aussi exaltant qu'un gros plan sur un lino hospitalier post-désinfection. « Il y a du bois en flammes un peu partout. le bar a pris feu, c'est un véritable incendie qui s'est déclenché à présent. » Ami, entends-tu vrombir les rugissements du brasier ? Sens-tu les gifles de la fournaise sur ta peau ruisselante ? Moi, oui, mais c'est parce que je viens de recevoir mes douze bidons de napalm commandés sur aliexpress. Je sens que ça va servir.
J'ai aussi extrait cette citation du terne amalgame de phrases qui compose l'oeuvre car c'est l'une des plus longues descriptions de scène qu'elle comporte. Il ne se passe pas grand-chose en quatre-cent pages, mais au moins ça ne se passe pas dans une absence de lieu et d'atmosphères. C'est cohérent dans la vacuité, quelque part. C'est d'ailleurs le seul point cohérent, car des incohérences voire des contradictions, on en retrouve avec une effrayante régularité. Je suppose donc que la relecture n'a pas été comprise dans le planning des vingt-six jours.
Ce roman n'a d'ailleurs pas de fin. Il se contente de s'arrêter à presque quatre-cent pages, sur un dernier paragraphe qui n'est ni un achèvement ni une conclusion, pas même une ouverture ou un tremplin vers le tome 2. de là à croire que le minuteur des vingt-six jours aurait retenti pour signifier que cet opus n'a plus droit à une seconde d'attention supplémentaire, il n'y a qu'un pas que je franchis d'un bond primesautier.
Mais alors, à ce stade, vous pouvez légitimement vous demander ce que raconte le livre ? Ben le livre, pas grand-chose, par contre les personnages, eux, ils causent. Beaucoup. Souvent. Longtemps. Mais au même titre que l'écriture n'en est pas une, les dialogues n'en sont pas non plus. Dénués d'intonations, de personnifications, ils s'étirent de page en page comme de simples échanges d'informations que l'autrice souhaite faire passer à ses lecteurs, sans considération aucune pour qui parle ou le contexte de la conversation.
La technique permet de tirer à la ligne, et se complète par des redondances, des évidences inutiles, des détails de mouvements sans intérêt. Rajoutez-y aussi des explications détaillées des intentions des personnages, pour ne pas fatiguer l'attention du lecteur ou, horreur, créer des nuances. Et ne lésinez pas sur les répétitions sans fin pour être bien sûr que le message soit compris. Au chapitre 9, un nouveau personnage est présenté. Pour expliquer son côté discipliné, on peut lire sept occurrences du mot ordre dans le même contexte :« Il suit les ordres quand on lui en donne, il ne discute pas, » « S'il y a bien des ordres qu'il ne doit pas discuter, » « On ne discute pas les ordres. » sur 293 mots (16 lignes).
On obtient ainsi de très longs passages qui n'apportent rien à l'intrigue, ni à la construction de l'univers ou la peinture des personnages, mais qui ont l'indéniable avantage de meubler.
Tiens oui, les personnages, au fait ? Si le portrait de l'héroïne a le mérite d'être détaillé, même parfois trop, il ne faut pas s'imaginer que la donzelle a une psyché très fouillée. Elle a bien sûr un potentiel hors du commun, elle est rebelle, et puis intrépide, et puis impétueuse, mais elle est quand même calme et ingénieuse en toute circonstances et c'est une femme forte sauf que ça n'arrange pas l'autrice. Et surtout elle est gentille : on n'est plus sur de l'alignement Loyal Bon là, on est sur de la princesse Disney. Des années soixante, hein. Plus de la Cendrillon ou de la Blanche-Neige que de la Vaiana ou de la Mérida. Mais bon, c'est le portrait qui nous en est fait. Personnellement, j'ai trouvé que l'impétuosité tout comme la sérénité de Winter se situaient aux alentours de celles d'un lapereau prématuré...
En fait, à l'instar de tous ses petits camarades, ses traits de caractères s'adaptent aux nécessités du script. Les personnalités des protagonistes paraissent modelées dans le Flubber. Mention spéciale à Kaplan, un personnage sous couverture et puissant combattant surentraîné, déterminé à tuer l'héroïne pour préserver son existence mais qui se ravise au dernier moment parce qu'elle avoue qu'elle le considère comme son ami. Twilight Sparkle, Pinkie Pie, Rainbow Dash, Fluttershy et Applejack applaudissent ce revirement de tous leurs petits sabots bariolés.
De temps à autre, notre scolopendre déchiré convulse vers quelques remarques plus globales, comme le contraste entre les gentils pauvres oppressés par le cadre social et les méchants riches qui s'accaparent le pouvoir. Pour la décoration, plusieurs mentions d'un féminisme de bon aloi se perchent ici et là, aussi ornementales que superficielles. Et c'est tout.
Le roman est pourtant classé en fantasy, mais ne nous y trompons pas : le genre choisi n'est un prétexte pour se défaire des contraintes de la recherche préalable, une simple étiquette de « c'est très loin et y'a longtemps et pas tout pareil que chez nous ». La construction d'un univers, ses règles, ses mentalités, son histoire et sa géographie, ses sociétés et son langage, c'est trop de boulot pour être torché en vingt-six jours, et puis ça complexifie quand même beaucoup la lecture, non ? On ne va fatiguer personne.
Ce roman s'avère être une longue insulte à l'intelligence du lecteur, qui lui impute une imagination déficiente, des capacités intellectuelles insuffisantes pour appréhender les mots de plus de trois syllabes, un vocabulaire plus que limité et de graves troubles de la concentration qu'il ne faudrait pas réveiller avec des variations de rythme ou des perspectives de réflexion. le camouflet est d'autant plus cuisant car le texte s'adresse à un public entre treize et dix-huit ans. Est-ce vraiment là toute la considération que mérite le lectorat adolescent ? N'est-il pas possible d'avoir des ambitions plus élevées pour cet auditoire particulier ?
La seule émotion ressentie en lisant ce tome 1 fut donc une nette réminiscence des hurlements de mon adjudant-chef, plus pernicieuse et bien moins en verve, en train de beugler au milieu de la cour : « Vous avez la cervelle aussi flasque et ratatinée que les valseuses d'un octogénaire, Seconde Classe Larret !» Charmant, n'est-il pas ?
Je débouchais donc sans attendre mes bidons de napalm afin de réduire à néant cet opus impertinent, et j'allais en déverser plusieurs litres sur ma liseuse quand je me suis souvenue qu'elle renfermait également les ouvrages de
Luc DidierJean, de
Lise Barrow, de
Jean-Michel Gernier, d'
Isabelle Maurel, de
Roman Lutèce, de
Sarah Lutèce, de
Matthieu Urban et de
Guillaume Lecler, hérauts moins connus d'une fantasy francophone trépidante, créative et recherchée, dont les ouvrages méritent bien plus votre attention que les romans commis par
Jupiter Phaeton.
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