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Critique de jlvlivres


« La Femme Intérieure » de Helen Phillips, traduit par C. Claro, (2020, Cherche Midi, 416 p.), c'est tout d'abord une bonne nouvelle. Cette nouvelle collection intitulée « Vice Caché » doit reprendre la collection « Lot49 », dirigée par Christophe Claro et Arnaud Hofmarcher, avec un clin d'oeil tout aussi évident à Thomas Pinchon. Non forcément pour faire l'apologie de cet auteur, quelque peu culte, mais pour avoir permis de faire connaître foule d'auteurs américains. Brian Evenson (Père des Mensonges, Contagion, La Conférence des Mutilés, Inversion) et ce n'était pas que du copinage avec Claro. Ou les différents tomes de William Tanner Vollmann (Les Fusils, La Tunique de Glace), de Paul Verhaeghen (Omega Mineur) sans compter les différents romans de William Howard Gass (Le Tunnel, Sonate Cartésienne) ou de Richard Powers (Le Temps où nous chantions, Trois Fermiers s'en vont au Bal, L'Ombre en Fuite) ou plus récemment Sergio de la Pava (Une Singularité Nue). Excellent travail de traduction et d'édition.
Helen Phillips, tout d'abord, née il n'y a pas si longtemps dans le Colorado, puis études à Yale et MFA au Brooklyn College où elle obtient un poste avec son mari, l'artiste Adam Douglas. Un premier recueil intitulé « And Yet They Were Happy », petites miniatures (2011, Leapfrog, 309 p.) déjà primé par « The Story Prize », puis un roman « The Beautiful Bureaucrat » (2015, Picador, 192 p.), distingué par The New York Times en 2015. « Some Possible Solutions » l'année suivante (2016, Henry Holt & Company Inc , 240 p.). Et enfin un roman « The Need », traduit en « La Femme Intérieure ».

Je l'avais entendue, tout à fait par hasard à la librairie « BookCourt », librairie indépendante à Brooklyn, hélas fermée depuis, lire des extraits de « And Yet They Were Happy », un vrai régal. Bien que de près de 300 pages, le livre est divisé en 19 sections, chacune comprenant une série d'articles d'environ 2 pages chaque fois. Chaque section est qualifiée par un son. On commence par « The Floods » dans lequel on retrouve un Noé vieillissant, qui se plaint de ce que « la pluie n'arrive pas. Il va être difficile de les [les animaux] rassembler deux par deux ». Puis ses cauchemars, toujours à propos de la pluie qui manque, et lui qui a construit une arche qui peut être ne servira pas. Adan et Eve, Noé et son arche, le tout revisité en quelques pages. Suit un chapitre « We ? » à propos des difficultés pour un jeune couple de se rencontrer, ou éventuellement se séparer, par un voyage ou par un décès. Ou comment sauver son oisellerie de salon lors de leur mort prochaine. Idem pour l'arche, mais dans ce cas, on utilise les techniques modernes, en les mettant au congélateur. Toujours dans la même section, on assiste au désespoir d'une femme « dont la tristesse était si grande car sachant qu'elle ne pourrait pas se concentrer dans un cube d'un centimètre de côté ». Comme quoi, l'existence est une lente expansion. Suit une sombre histoire de lavanderie dans laquelle il est interdit de faire sécher son linge. Et on en arrive dans « Regime » à instituer un « National Reproduction Day » pour augmenter la natalité.

« Some Possible Solutions » pose la terrible question de savoir comment réagir si son double hermaphrodite existait réellement, fût-ce sur une autre planète. Et ce n'est qu'une possibilité dans « The Joined » parmi d'autres options. Est-il possible de connaître exactement le moment de sa mort dans « The Knowers ». Ou bien, est-il possible, lorsqu'on vient d'accoucher de voir que la ville est remplie d'autres femmes qui vous ressemblent. Cette question, heureusement ne s'adresse qu'aux femmes. Peut-on assister sans danger à des réunions et constater que le temps se fige pour tout le monde sauf soi ? Une autre question à résoudre dans « The Children », comment être sûre que ses enfants ne sont pas des monstres extra-terrestres ? Et il reste encore trois autres questions toutes aussi angoissantes dont celle de « Flesh and Blood ». Dans laquelle nouvelle, une femme voit à travers la peau des gens « c'était assez pénible de voir de la sorte des étrangers et des amis. Mais à voir aussi ses propres parents. Etre forcé de reconnaître l'architecture de leurs corps, le chaos de leurs vaisseaux sanguins, l'humilité de leur crâne. de savoir que cette vulnérabilité a été l'endroit d'où l'on a grandi ». Et que penser alors de cette question « Comment j'ai recommencé à saigner après six mois angoissants à ne plus le faire ».

Donc « La Femme Intérieure », histoire assez étrange, dans laquelle des fouilles dans une ancienne station d'essence « Phillips 66 » ont ressurgir des objets totalement hors de notre logique, dont des douzaines de nouvelles espèces de plantes fossiles. Mais le plus extravagant reste certains objets usuels, mais totalement déformés. Telle cette vieille « bouteille de Coca-Cola du milieu des années1970 » au logo distordu, un « soldat en plastique des années 1960 », ou plus étrange encore, une « bible des années 1900 » dans laquelle Dieu est désigné simplement par « Elle ». Ceci dit Molly, qui a fait ces découvertes est seule avec ses deux enfants Viv et Ben. Et ces distorsions vont la poursuivre à la maison, lui faisant confondre les sirènes des ambulances avec « les plaintes nocturnes de Ben ». C'est à se demander si dans la traduction du titre, il n'y a pas eu de lapsus entre le f et le t dans l'épithète. Il y a bien une surprenantes traduction du titre original « The Need » en « La Femme Intérieure ».

Ces recherches s'effectuent effectivement dans le sous-sol de l'ancienne station, un lieu appelé « La Fosse » que le Dr Roz Moto « après avoir achevé ses recherches doctorales dans une carrière de fossiles proche d'ici, avait soupçonné puis vérifié (après plusieurs visites nocturnes clandestines) que le champ adjacent à l'ancienne station essence était bien riche en fossiles […]. Elle avait réussi à racheter le terrain, en vente depuis des années ». Et régulièrement, il y a une réunion où l'on fait le point sur ces recherches dans ce site « qui fournit une importante quantité de fossiles – cinquante, soixante-dix jusqu'à une centaine par jour ». Où l'on expose aussi dans une vitrine « les fossiles les plus impressionnants et les plus énigmatiques jamais exhumés sur le site ».
Il y a aussi la vie avec les enfants, Ben 2 ans que sa mère allaite, et Vivian (Viv) 4 ans qui se promène « en brandissant dans sa main droite un feutre violet sans capuchon telle la torche de la statue de la Liberté ». Cela permet d'égayer le mur blanc tout proche. Elle s'inquiète également à propos de son livre « le Livre des Pourquoi ». Pendant ce temps-là, David le mari vole vers un concert à Buenos Aires. Mais un intrus est dans la maison. Il a un masque de cerf « fabriqué [par David] avec du papier mâché et peint à la bombe dorée. le masque, qui recouvrait toute la tête, avait un museau fin, des yeux étroits, des bois pointus ». Il offre « le Livre des Pourquoi » à Vic.

Et quand Molly découvre son intrus, c'est Moll. « Les mêmes sourcils inégaux et les rides récentes au front. Les mêmes boucles d'oreille hexagonales qu'elle portait tous les jours depuis un mois. Les cheveux foncés et courts qui auraient bientôt besoin d'une nouvelle coupe. L'angle du nez : la position du grain de beauté sur le cou. La couleur des yeux, les capillaires visibles dans le blanc des yeux, les cernes discrets sous les yeux ».

Les confrontations de Moll et Molly sont étonnantes. « Tu peux lire dans mes pensées ? demanda Moll. / Ce sont mes pensées ». Des phrases aussi étonnantes. « il existe une autre version de moi. Elle est venue par la Fosse. Ses enfants sont morts. Elle veut nos enfants ». En effet « Cette Molly-là a perdu ses deux enfants après un attentat sur son lieu de travail ». Livre somme toute assez étrange. « La maison avait glissé dans une réalité alternative, le calme sublime qui enveloppe une espace quand ses habitants non domestiqués sont, enfin, au repos »
« Elle allait pousser la porte et s'avancer dans son autre vie, cette vie animale et secrète dans laquelle elle coupait des pommes, décongelait des petits pois, torchait des petits culs et laissait son corps se faire traire sans cesse et se remplir sans cesse. Cette vie où son nom était crié et réclamé des douzaines de fois par jour».

Le livre est divisé en cinq parties très inégales. Les chapitres sont souvent courts, d'une seule page où deux. Ils sont entre-mêlés avec la vie familiale de Molly avec ses enfants. En particulier de ses montées fréquentes de lait qui humidifient son soutien-gorge. Les autres évènements sont les recherches à la Fosse, les intrusions dans la maison, qui rendent le récit asse dynamique, malgré des redites. « Elle allait pousser la porte et s'avancer dans son autre vie, cette vie animale et secrète dans laquelle elle coupait des pommes, décongelait des petits pois, torchait des petits culs et laissait son corps se faire traire sans cesse et se remplir sans cesse ».

Lien : https://charybde2.wordpress...
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