Chronique d'un auteur dérangé
C'est sûr, l'idée manquait de classe. Mais Maurice n'en pouvait plus de voire ses ventes stagner à 38 exemplaires de son chef-d'oeuvre C'est irrépressible, l'espoir, autoédité, pour lequel il se débattait pour en assurer la promotion, quand, dans le même temps, il voyait "A dangerous tatoo man" ou "Salaud mais trop beau" atteindre les cimes du classement Amazon, et même si la promo à 0,49 euros les trois tomes des sagas dont ils étaient issus y était probablement pour quelque chose.
Il allait s'en faire une, juste pour se soulager.
Trop droit, comme toujours, il se dit que l'honnêteté intellectuelle l'obligeait à quand même le lire. Alors, tant qu'à faire, autant que le contexte de la bluette ne le rebute pas trop. Il jette alors son devolu sur
Alice Online dont le prix lui laisse présager qu'on n'est quand même pas sur du Aldi, mais, disons, sur du marque distributeur, de Monoprix tant qu'à faire, faisons fonctionner l'économie des centres ville. Détruire le livre n'en sera que plus jouissif plutôt que de s'acharner sur Clementine Reeyana et sa saga consacrée à Marco le tatoueur cubain et de ses amours contrariées avec Melinda, tiraillée entre son tatoo man et Adriano, son prof de salsa Guatémaltèque.
Première impression, mais ça va changer au fil de la lecture espère-t-il, elle écrit pas avec ses pieds la
Elise Picker. Et puis son nom de plume dénote une certaine culture. C'est même carrément bon, rage-t-il, lui pour qui une phrase de moins de 20 lignes relève du déchirement, d'une trahison de son objectif un peu trop avoué d'aller rechercher Marcel et son temps perdu. Elle est fluide la plume d'Élise, pire que ça, elle est élégante. Elle a même du vocabulaire, c'est dire.
Qu'à cela ne tienne, il va la défoncer sur l'histoire, les personnages mal écrits et caricaturaux. Il pourra alors faire étalage du mordant de sa plume au monde entier - enfin, un éditeur, même provincial ferait l'affaire, ou même un "utile" de son commentaire sur Amazon le comblera de joie, au point où il en est.
Alors, alors... Il est où mon p'tit Mickaelo le prof de salsa que je lui tatoue son indigence sur ses abdos ? Ici, il s'appelle Mat le pirate, son p'tit nom sur baratin.com et il n'est ni tatoueur, ni coach, ni même prof de Salsa. Maurice commence à douter d'avoir choisi une oeuvre représentative de new romance. Elle, c'est Alice, comme on pouvait s'en douter. Son mariage bat de l'aile avec Raph (qui n'est pas prof de Salsa comme on s'en doute, sinon il n'y aurait pas de roman) et elle s'évade en succombant peu à peu à Matthiew (non, en fait, son prénom est français pure beurre, putain, elle a vraiment bâclé son bouquin pense Sharynda_bookeuse d'Insta), et réciproquement. Ou pas. Ou vous verrez bien.
Maurice se rend compte en écrivant ceci qu'il ne spoile même pas le roman. le mot est lâché. Roman. Trop tard, le commentaire est publié. Oui et un bon en plus, avec des personnages travaillés et complexes. Avec des dialogues qui sonnent juste. Avec ses moments plus qu'émoustillants, d'accord, mais si bien écrits et qui servent la complexité de son Alice, qui est loin d'une Emilia ou d'une Katarina et leurs problèmes de tatoo ou de salsa. Car même si la trame romantique - le romantisme marque Monoprix gourmet, pas éco plus, celui de Love Actually ou de Quatre mariages et un enterrement - donne sa structure au récit, on sent bien qu'
Elise Picker veut - consciemment ou non - s'éloigner du genre dans lequel il serait criminel de l'enfermer. Ce qui l'intéresse, c'est ce portrait de la désillusion du mariage, du quotidien qui s'effrite, du cancer du la non communication ou de la mal communication. Et de là nous livrer un magnifique portrait de femme, tout en nuances, que le détraqué Maurice aurait bien aimé un jour rencontrer, mais il s'égare.
Et, mine de rien, également, celui d'une société dans laquelle la relation virtuelle, du moins au début, en est devenu une forme établie avec ses codes et ses contingences.
Maurice ne s'énerve même pas en lisant les dialogues entre bonnes copines. Pire, il aurait même un p'tit faible pour Tessa, la trop meilleure de toutes.
Promis, demain il s'attaque à Charouga, la destinée du destin des conteurs des terres du milieu oubliées.
Ouais, il l'aura sa vengeance.