N'oublie pas pourquoi tu danses

Aujourd'hui je vais évoquer N'oublie pas pourquoi tu danses épaisse autobiographie d'Aurélie Dupont, ex danseuse étoile de l'Opéra de Paris. Ces mémoires couvrent la période allant de l'enfance à l'âge de 42 ans qui correspond à la mise à la retraite de l'institution. Il n'est donc pas ici question de sa carrière de directrice de la danse à l'Opéra.
Aurélie Dupont ne débute pas la narration de ces cinq cent pages par le commencement avec sa découverte de la danse, sa passion musicale et son investissement absolu dans sa vocation. La première partie est consacrée à la révélation de son opération du genou deux ans après sa nomination d'étoile et son chemin de croix secret et son abnégation pour retrouver son statut. Il faut préciser que les médecins lui ont d'abord dit qu'elle ne redanserait jamais, puis qu'au mieux elle pourrait le faire pour une durée maximale de six mois. le problème est que : « personne ne danse sans cartilage derrière la rotule ». La ballerine est abattue, le sens de sa vie est bouleversé, toutes ces années partent en cendres. Elle raconte dans le détail ces mois de rééducation, sa rencontre avec Bébert le kiné rédempteur, ses espoirs et ses défaites. La blessure est toujours un risque à ce niveau d'excellence mais dans son cas cela frôle le handicap. Dans cette confession l'auteure fait le point sur cette période : « j'ai vingt-huit ans et je suis seule. Je l'étais avant mon opération, je le suis toujours huit mois plus tard. Certes, avant l'intervention, j'ai bien eu un début d'histoire d'amour, un début fragile et discret. » Ses histoires sentimentales sont compliquées, son fiancé d'alors le soir de son accession au graal, un 31 décembre, la méprise et l'humilie. Ce garçon étranger au monde de la danse est toxique. Sa reprise de la danse est un parcours du combattant, elle ne peut plus plier sa jambe droite, son genou supporte mal le poids du corps ; elle devra réinventer, avec la complicité de ses partenaires masculins, sa façon de danser. Elle précise : « je décide de retourner à l'Opéra. Je suis convaincue que ma douleur finira par s'estomper et me laisser tranquille si je persiste dans mon travail. Je caresse l'hypothèse que chaque reprise est, quoi qu'il arrive, laborieuse, lente, souvent douloureuse. (...). Je danse et je vais redanser parce que la danse est une nécessité vitale pour moi : je ne peux pas me suffire d'une seule vie. J'ai besoin d'en vivre cent autres et c'est sur scène que je le peux. J'y suis d'autres que moi-même. » Ces phrases témoignent de sa force de caractère, de sa détermination, de sa volonté de ne pas renoncer. Alors elle redansera mais supportera de permanentes douleurs (la scène de la dernière tentative d'infiltration dans le genou est glaçante), jamais elle ne sera vraiment guérie. N'oublie pas pourquoi tu danses est aussi une plongée documentée dans le quotidien d'une apprentie danseuse qui intègre la plus prestigieuse des écoles et sera engagée à seize ans dans la troupe éponyme. Au sein de sa famille il a fallu de longues années avant qu'elle soit reconnue et considérée par ses parents, ses deux soeurs étaient préférées. Dans ce cocon elle a souffert d'humiliations et de dépréciations. Aurélie Dupont révèle également les souffrances et les humiliations qu'elle a endurées à l'école, les actes sont d'une extrême violence. Sans animosité ni rancoeur elle cite les noms de ses bourreaux sans vouloir régler ses comptes, mais elle dit sa vérité. Ses relations avec Claude Bessy sont pour le moins houleuses, la directrice de l'école la trouve trop grosse, pas suffisamment douée et académique. Aurélie Dupont a longtemps accepté les remarques et les quolibets, s'est tue et a avancé tête baissée pour réussir son ambition. Mais les mots et les actes sont odieux, elle écrit : « la violence de ces deux jours m'en a dit suffisamment sur ce qu'est l'école des petits rats. Une école d'élite où le médiocre n'est pas toléré. (...). Claude Bessy et Christiane Vaussard réussissent doucement, habilement, de façon presque professionnelle, selon une recette bien gardée, un secret de grand chef, à me dégoûter de moi-même. Je regarde mon corps comme un obstacle pour intégrer la Compagnie et je lui refuse ce pouvoir : la directrice et ma professeure ont raison, je dois continuer à travailler et à perdre du poids. » de petit rat à étoile, la danseuse passe par toutes les étapes, réussit les concours internes pour changer de grade, décroche la médaille d'or à Varna. La rencontre artistique la plus importante de son parcours est celle avec Pina Bausch qui la choisit pour être l'Élue dans le sacre du printemps. Certaines rencontres avec des chorégraphes renommés sont douloureuses, Aurélie Dupont nomme notamment Roland Petit (qui la traite de merde et lui suggère d'être une grande danseuse comme son père est un grand médecin) et William Forsythe. Elle tombe amoureuse de Jérémie Belingard (ils étaient amis depuis longtemps) le compagnon, l'amant et le père de ses deux fils, avec lui elle trouve un équilibre apaisant. Son retour sur scène après ses grossesses est pénible mais moins difficile qu'après l'opération du genou. Elle rend hommage à ses trois principaux partenaires : Manuel Legris, Nicolas Leriche et Hervé Moreau. Ce livre est foisonnant avec sa centaine de chapitres, parfois un peu répétitif mais ce témoignage est épatant. Il évoque avec tendresse mais sans langue de bois le milieu de la danse classique, son exigence et ses satisfactions.
N'oublie pas pourquoi tu danses humanise Aurélie Dupont (elle apparait fragile loin du cliché d'hyper technicienne un peu froide) et met en lumière ses souffrances et son handicap au genou. Cette autobiographie détaillée est plus âpre et ambigüe que celles récentes des plus jeunes étoiles que sont Germain Louvet ou Hugo Marchand. Son livre est une véritable claque et un cri d'amour pour la danse et la musique.
Voilà, je vous ai donc parlé de N'oublie pas pourquoi tu danses d'Aurélie Dupont paru aux éditions Albin Michel.
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Une plongée dans un monde protégé et hors sol. On y rentre sur les pointes de pieds et la musique transporte les pages. Se fut un bon moment de partage même si toute vérité n'est pas toujours bonne à dire et m'a fait ressentir un côté voyeurisme dont je me serai bien passé.