Aussi loin que je remonte dans les lectures de mon enfance, la poésie est intimement liée à la lecture de
Paroles de
Jacques Prévert. Ce recueil que je possède encore, fait partie de ces livres qui sont un vrai trait d'union entre hier et aujourd'hui.
Loin d'une écriture abstraite, ce qui me marque dans la poésie de
Prévert, c'est qu'elle est très visuelle, qu'elle offre une succession d'images comme le fait une histoire ou une chanson. Ce que j'aime chez
Prévert, c'est la manière dont il a toujours pris ses distances avec les conventions de la langue, avec ses usages convenus, pour revenir à une autre plus descriptive et plus inventive, marquée par l'enfance et un certain idéalisme.
On retient plus volontiers de
Jacques Prévert les
poèmes qui touchent à l'imaginaire, aux thèmes de l'enfance et de l'amour. Pourtant, l'essentiel des textes qui composent
Paroles sont ceux d'une vraie critique du monde moderne. le poète y dénonce sans détours une société exsangue, emplie de préjugés et de convenances, sclérosée alors par la politique, l'armée, la religion et la bourgeoisie. Dans beaucoup de ses
poèmes, il y dénonce l'absurdité, la violence, l'oppression qu'engendre un monde qui s'ouvre au matérialisme et s'enfonce dans les tensions dangereuses ( les
poèmes qui composent
Paroles ont été écrits entre 1930 et 1944) avec pour conséquences la pauvreté et l'exclusion.
« J'en ai vu un qui s'était assis sur le chapeau d'un autre
il était pâle
il tremblait
il attendait quelque chose... n'importe quoi...
la guerre... la fin du monde...
il lui était absolument impossible de faire un geste
ou de parler
et l'autre
l'autre qui cherchait « son » chapeau était
plus pâle encore
et lui aussi tremblait
et se répétait sans cesse
mon chapeau... mon chapeau...
et il avait envie de pleurer.
(…) »*
Prévert était un idéaliste, un pacifiste, mais surtout un poète libertaire. Dans un style teinté de surréalisme, qui varie entre comptines et chroniques sociales, le poète y déploie un esprit profondément indépendant.
En se plaçant du côte des humbles et des opprimés,
Prévert veut rendre compte de la vie de labeur mais aussi des bonheurs simples, d'un idéal de pureté. Toute la poésie prône un retour à la simplicité. Pour les incarner, il utilise les figures de l'enfant et des animaux (l'oiseau a une place privilégiée dans sa poésie) pour décrire l'idéal de simplicité, de bonté et de douceur.
J'aime la poésie de
Prévert, son écriture tendre et subversive, sans compromis, qui fait du monde une lecture qui reste très actuelle. Une poésie qui se réinvente à chaque que l'on ouvre le livre.
L'ECOLE DES BEAUX-ARTS
« Dans une boîte de paille tressée
Le père choisit une petite boule de papier
Et il la jette
Dans la cuvette
Devant ses enfants intrigués
Surgit alors
Multicolore
La grande fleur japonaise
Le nénuphar instantané
Et les enfants se taisent
Émerveillés
Jamais plus tard dans leur souvenir
Cette fleur ne pourra se faner
Cette fleur subite
Faite pour eux
A la minute
Devant eux. »
(*) extrait de « J'en ai vu plusieurs... »
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