Il est terrible le bruit de l'oeuf dur....
Oui il est terrible... et j'ai bien envie de te dire un truc Jacques... D'abord y a pas idée de crever juste après que je naisse.. Nan mais franchement ! Là t'as fait fort.. alors qu'on était du même quartier je te rencontrerais jamais, même si tu étais partout..
Ensuite tu permets que je te tutoies hein ?.. Ouais je sais que tu permettrais, j'ai rencontré jadis une dame, qui elle t'avait rencontré et tu l'avais renvoyé dans les cordes avec son Monsieur
Prévert.. t'avais dit "Jacques voyons !" et elle avait rougit jusqu'à la racine de ses cheveux des étoiles dans les yeux.. nan je la comprends... moi je crois que j'aurais bafouillé en plus en me tortillant les doigts.
Et bin Jacques, faut le faire mais je t'emmènerais sur une île déserte.. et là c'est bizarre mais je t'entends me lancer un "Ah bon?!" et ouais...
limite tu rajoutes "c'est gentil, mais pourquoi faire ?".. oui c'est vrai que y a d'autres trucs à faire sur une île déserte.... Mais...
Pour me rappeler Jacques..
Me rappeler le pire comme le meilleur..
Me rappeler l'enfance, t'imagines pas comme les mômes ils ânonnent tes
histoires de Barbara et de cancres et encore maintenant.. Même si je vais t'avouer, je trouves pas ça très intelligent, faire apprendre à des mômes un poème anti prof... "il dit non au professeur".. désolée mais ça c'est toujours resté... et je t'entends rire...
Me rappeler l'amitié.. la fraternité, et ton humanisme.. l'humanisme tout court...
me rappeler l'horreur... avec leurs crosses en l'air, et toutes leurs crosses...
Me rappeler l'ironie, la bienveillance, la douceur aussi..
Me souvenir des oiseaux, des chats, des ratons-laveur..
Me rappeler le beau, le drôle...
Pour ne pas oublier les assassins, les crétins, les malfrats...
Les grandes rigoles de sang, et les timides rayons de soleil..
Pour me rappeler l'amour...
Me souvenir d'une robe sur un lit, d'une orange pelée... d'un bouquet de fleur en attente du vainqueur...
Pour ne pas oublier le combat, le combat de l'humanité..
La peur la joie et la détresse... et la désobéissance.
Pour entendre de la musique...
Pour avoir du sel sur mes joues, ou un éclat de rire qui s'envole...
Pour me rappeler l'essentiel, Jacques...
Tu sais pour écrire ce truc, j'ai relu vite fait, histoire de pas me planter.. même si y en a que je connais par coeur... qui sont là... pour toujours..
Et bin Jacques tu me fous les poils !...
-Je te fous les poils ?
-ouais... je lis une ligne comme « Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
C'est la meute des honnêtes gens qui fait la chasse à l'enfant » et j'ai les poils.. y a tout qui se hérisse... et dedans y a tout qui valse, qui se noue, qui se tend.. parce que le dedans il connaît la suite avec les
histoires de clés et les
histoires de dents.. il a pas oublié... il oubliera jamais.. tu sais.
Et tu sais... et bien je vais te dire un truc.. un truc qui me noue la tripe, un truc qui me met en colère, en rage... Mais même maintenant.. tu sais..
Il est terrible le petit bruit de l'oeuf dur cassé sur un comptoir d'étain.. il est terrible ce bruit quand il remue dans la mémoire de l'homme qui a faim...
Et bien c'est toujours d'actualité...