Ce livre m'avait été chaudement recommandé et quand Babelio l'a proposé en Masse Critique, je n'ai pas hésité un instant, même si mon intérêt pour la Grande Guerre est moins vivace que pour la Seconde.
Je ne regrette absolument pas, ce roman est fantastique pour son aspect historique, sa profonde réflexion sur l'engagement du soldat, volontaire galvanisé par un élan patriotique ou conscrit porté par l'obligation du devoir à accomplir.
Une documentation historique riche et précise, une description tragiquement réaliste des conditions de (sur)vie et de combat sur zones de combat, une évolution de la psyché du soldat qui devient guerrier, qui perd foi et vie.
Davantage qu'un plaidoyer pour la paix, c'est la dénonciation de l'absurdité de la guerre qui prévaut avec
Fratricide.
Ce roman frôle le coup de coeur absolu!
Pas seulement car il situe une bonne partie de son action dans mon "pays", la Picardie, avec la boucherie des combats dans la Somme, mais surtout pour le portrait touchant de James Mac Kendrick qui aura vécu deux guerres en une, le combat des catholiques en Irlande, persécutés par les unionistes protestants, et qui parasite profondément les relations entre les soldats de différentes confessions alors qu'ils se doivent d'être unis face à un adversaire commun, pour le bien de toute une nation. Deux guerres en une sur lesquelles se greffe le combat intérieur intense quand la prise de conscience de l'incompétence des généraux qui ne font plus la guerre en tête de leurs troupes, sabres au clair, mais confortablement installés dans leurs fauteuils, un cigare à la main, créé le refus de n'être "que" de la chair à canon.
L'horreur des combats, les conditions météorologiques apocalyptiques, le désastre d'assauts perdus d'avance, la bêtise des ordres aveugles, les victimes de tirs amis, les erreurs stratégiques et de commandement à l'autoritarisme pervers des petits chefs, la peur, l'attente et la fatalité de l'obéissance sont parfaitement décrits au travers des personnages de James et Émile. L'angoisse se vit à chaque page. L'empathie est totale. Car nous vivons aussi la solidarité et l'amitié de ceux qui sont embarqués dans la même galère, leur courage et leurs actions héroïques.
Mais certains aspects du roman n'emportent pas mon suffrage.
En fait, je n'ai pas aimé les 200 dernières pages, lorsque nous nous éloignons des lieux où les combats font rage. Et ce, pour diverses raisons.
Autant nous suivons James et Émile dès avant les combats, nous apprenons à les connaître en temps de paix, dans leur contexte familial, politique et social, nous nous attachons à eux, autant le personnage de Ludwig Halpern arrive très (trop) tardivement, est analysé superficiellement et, à mon sens, ne sert que de faire-valoir au message que l'auteur veut transmettre, c'est à dire que nous sommes tous frères et on ne tue pas son frère. Ludwig Halpern est allemand, il est l'ennemi déclaré et, à ce titre, aurait mérité plus de place et de poids dans le déroulement des événements pour approfondir la réflexion sur la cruauté de la guerre et son prix inacceptable. Difficile également de s'attacher à un personnage qu'on n'a pas le temps de cerner réellement. C'est dommage.
En cela, la réunion des trois hommes ne semble pas naturelle, avec Ludwig qui déclame des textes poétiques à tout va, James qui reste discret et effacé à cause de la barrière de la langue et un Émile exubérant qui frôle l'hystérie!
De plus, mon côté féministe n'a pas du tout apprécié le traitement réservé aux femmes pourtant quasi inexistantes de l'histoire. Poser comme généralité et vérité que la femme à l'arrière, isolée de son cher mari suant davantage de sang que d'eau au front et pour la patrie, ne peut que le faire cocu en se consolant dans les bras du premier chaud lapin venu m'a fait bondir! Option discutable ou pas, de toutes manières, je trouve le sujet malvenu et la note vaudevillesque inutile dans ce roman grave et tragique.
Surtout que l'auteur utilise un ton volontiers caustique tout au long de ce pavé et est largement suffisant pour alléger parfois les situations les plus dramatiques.
Un dernier bémol réside dans le ton parfois trop professoral et lourd employé dans l'évocation de certains faits historiques ou lorsque, par exemple, l'auteur analyse le vocabulaire des tranchées par une succession de termes argotiques. J'aime les romans historiques mais quand les évocations restent subtiles et naturelles.
Fratricide est un pavé de 600 pages qui ne se lâche pas. Mention spéciale pour le personnage de James l'irlandais et pour le personnage d'Owens, que tout soldat aurait aimé avoir pour supérieur, pour sa droiture, son courage et sa loyauté.
C'est un roman incontournable pour tous les passionnés d'Histoire magnifiquement symbolisé sa couverture: l'ange pleureur de Notre Dame d'Amiens (oui, oui, Amiens, dans la Somme, dans ma Picardie!) désespéré de la fragilité de la vie et des temps incertains...
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