Quelle adresse, l’invisible ?
Tous les malades connaissent le refrain seriné par les bien-portants : la maladie vous grandit et vous fortifie, rend vertueux, permet d’accéder à des niveaux supérieurs de conscience. Qu’importe si on en meurt, on meurt éclairé. La maladie, ce cadeau !
Le corps, ce faux ami, ce traître, le plus grand des traîtres (mais le nôtre), dont les raisons nous sont à jamais indéchiffrables.
Que devient la jalousie, privée de son carburant visuel ? Forcés de faire confiance, incapables de surveiller, dépendants de la parole donnée, les aveugles sont-ils plus souvent trahis ? Trompe-t-on un aveugle avec la même légèreté qu’on ment à un voyant ?
Le jour où votre vision centrale sera atteinte, et on n’en est pas loin, vous ne pourrez plus lire.
— …
— Vous avez compris. Le sablier se vide. »
Voir comme on respire est un souvenir. Voir relève du sursis. Voir est devenu une hygiène de vie, une anxiété permanente, un combat, un sujet de réflexion, et peut-être la borne au-delà de laquelle il me sera difficile de continuer à vivre. À voir…
(...) les notices sont des cimetières d’hypocondriaques.
Comment une aveugle s’envisage-t-elle jour après jour, sans reflet ?
Je ne sens pas la maladie. Elle n’est pas douloureuse, mais je la vois à chaque clignement. La maladie est devant et dans mes yeux.
La révolte et la souffrance existent aussi du côté du voyant. Si l’aveugle est à nu, la personne qui l’accompagne doit endurer l’effarante condition d’homme ou femme invisible.