BD/Roman graphique. 2006. Scénario, dessins et couleurs de
Pascal Rabaté.
De nos jours, en été, un village à la campagne, des gens.
Il y a L'Emile. Il y a l'Edmond. Deux retraités sur le fil de petites vies désormais ratatinées et rabougries. Septa ou octogénaires, quelle importance, quand on ne compte plus les ans qui passent. Deux veufs, chacun une épouse emportée par le cancer. L'un pour l'autre, des amis dans la monotonie des jours. Taquiner le bouchon au bord de l'eau ; le bistrot, les pastis, les brèves de comptoir au kilomètre ; les fleurs au cimetière, sur les tombes le dimanche. Une minuscule auto rouge sans permis qui pétarade sur le goudron chaud des vicinales. « le mot le plus long » à la TV, l'après-midi, au frais des persiennes entrebâillées, comme une messe à ne pas louper.
L'Edmond meurt d'un infarctus alors que, tout à son nouveau hobby, il peignait des femmes nues. Des héritiers, comme en génération spontanée, viennent et vendent tout comme des voleurs un butin. le chat d'Edmond erre, personne ne peut l'approcher, un cône de protection vétérinaire au cou.
Que reste t'il à Emile, si ce n'est comprendre pourquoi l'Edmond, sur la fin, se plaisait à raconter qu'il avait trouvé l'âme soeur par petites annonces interposées ? Rencontrée, la dame lui plairait bien, et c'est réciproque, si ce n'est que, quelque part ce serait trahir un ami …
En finir, retourner là-bas, vers la maison de son enfance heureuse, des somnifères en poche à assommer un boeuf. Un lent road-movie débute le long de routes étroites et sinueuses … A un buraliste : « Qu'est ce que vous conseilleriez comme marque de cigarette à quelqu'un qui a arrêté de fumer il y a 30 ans ? ». Des rencontres vont le faire changer d'avis, lui redonner goût aux jours qui restent. Une communauté hippie, de la beuh, des corps nus dans une rivière, une organique vigueur masculine renaissante malgré l'eau froide, une jeune femme comme un cadeau dans son lit. Revenir chez lui, il a des aveux amoureux à faire, quelqu'une l'attend, si ce n'est que sur la route, un refus de priorité …
Une histoire simple, sensible et douce, un rien coquine et leste, pétrie d'optimisme, de fatalisme repoussé, d'envie de revivre presque comme avant, de manger goulument et sereinement les petits bouts de vie qui restent, au côté de quelqu'un pour que la solitude à deux soit moins pesante. Une renaissance des corps et des esprits. « Tu veux de la beuh ? ». D'anciens émois qu'on croyait enlisés, verrouillés ; la jeunesse retrouvée comme une fleur de printemps. Une BD à faire lire en EHPAD ? Pour que sur les visages la tristesse de l'espoir enfui s'efface, que la fatalité repoussée à plus tard redonne le sourire et l'envie de sourire.
«
Les petits ruisseaux » est mon premier Rabaté. Je ne serais pas allé, de prime abord, vers ce dessinateur-scénariste. Sa manière de dessiner ne me convenait pas. Fausse première impression s'il n'y avait eu une Boite A Livres sur mon chemin et ce « On verra bien » souvent prélude à l'enchantement. Bonne pioche. Rabaté m'a choppé, ses dessins sont devenus beaux et son scénario, en pied de nez à la mort qui guette, se montre une merveille de sens, de concision et d'efficacité…
... je reviendrai vers d'autres BDs de sa plume. Je suis sûr d'y retrouver la même poésie, la même tendresse, le même goût des autres, le même sens du partage.
PS: cette chronique a été écrite un premier jour de printemps, si çà ce n'est pas un signe ... de la malice des choses.
Lien :
https://laconvergenceparalle..