Ce petit livre de seulement 126 pages est la quintessence (poésie et prose) de ce qu'il faut impérativement connaître de l'auteur. Il contient également un tableau chronologique.
Ion Heliade Rădulescu fut un militant politique (chef du gouvernement provisoire pendant la révolution valaque de 1848), un humaniste et surtout le fondateur des principales institutions culturelles en Valachie. Il avait notamment un projet ambitieux de « bibliothèque universelle ».
Avec son poème inachevé « Mihaida » dédié au prince valaque Michel le Brave (dont deux extraits de 1845 sont reproduits ici, pages 47 à 50) il est l'un des créateurs de la poésie épique roumaine d'amples dimensions.
Parmi ses autres écrits, il convient de mentionner les fables et les satires politiques ainsi que les élégies caractérisées par le lyrisme et par la profondeur de la pensée.
Prosateur il est l'auteur de portraits satiriques témoignant un grand talent quant aux qualités de pamphlétaire et de polémiste.
À noter pages 40 à 44 le poème « L'Esprit volant » [Zburătorul] de 1843 qui traite de l'amour et qui constitue une très belle ballade d'inspiration folklorique. L'univers villageois avec ses coutumes et ses croyances ancestrales y est admirablement illustré : le poème évoque, non sans délicatesse et humour, les premiers fantasmes érotiques d'une adolescente de la campagne, Florica.
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Le soir à la campagne
Le soleil s'est couché dans la paix d'un beau soir.
Les balanciers des puits mêlent leurs voix grinçantes.
Lentement, lourdement, les bêtes mugissantes
Se pressent en désordre autour de l'abreuvoir.
Le bétail abreuvé chemine vers l'étable :
Les vaches en meuglant redemandent les veaux,
Le crépuscule vibre à la voix des taureaux.
Et le veau bondissant court au pis délectable.
Les bruits cessent enfin, et la source du lait
Commence à susurrer sous le flot qui se presse :
Le lourd pis s'abandonne à la main qui le presse
Et la génisse tourne autour des flancs pelés.
Comme les flambeaux clairs aux maisons du village,
Les étoiles au ciel scintillent dans la nuit.
La lune au doux regard tardivement surgit.
Parfois file une étoile, étrange et court présage.
Les laboureurs lassés par le travail des champs
Pour s'en aller dormir dépêchent leur pitance.
Et partout, maintenant, domine le silence
Coupé de loin en loin par de sourds aboiements.
De la voûte du ciel pendent les sombres voiles
Déroulant leurs longs plis parsemés d'astres d'or
Sur ce monde endormi qui se délasse encore
Dans le rêve éclairé par l'éclat des étoiles.
Du firmament sur nous descend un charme exquis.
Tout est silencieux, les lointains sont tranquilles.
Le vent n'agite plus les feuilles immobiles.
Les moulins se sont tus sur les biefs endormis.
(traduction de Nicolae Iorga et Septime Gorceix)
Extrait du poème intitulé "L'esprit volant" (Zburãtorul):
Mais le champ comme le métier à tisser fatiguent les paysans
Et après un bref dîner le sommeil aussitôt s'invite.
Le silence à présent règne uniformément,
Et il n'y a plus que les aboyeurs qu'on entende sans limite.
Somptueuse, somptueuse nuit: au cœur même de la rigueur
Son habit noir, d'étoiles clairsemé,
Détendu, enveloppe le monde qui dans les bras de la torpeur
Rêve tout ce qu'éveillé il n'avait pas rêvé.
Tout est silence et absolue inertie:
Enchantement ou désenchantement sur le monde se sont posés;
Ni la feuille ne bouge ni le vent ne gémit,
Et les eaux dorment profondément et les moulins se sont arrêtés.
[Dar câmpul și argeaua câmpeanul ostenește
Și dup-o cinã scurtã și somnul a sosit.
Tãcere pretutindeni acuma stãpânește,
Și lãtrãtorii numai s-aud necontenit.
E noapte naltã, naltã; din mijlocul tãriei
Veșmântul sãu cel negru, de stele semãnat,
Destins cuprinde lumea, ce-n brațele somniei
Viseazã câte-aievea deșteaptã n-a visat.
Tãcere este totul și nemișcare plinã:
Încântec sau descântec pe lume s-a lãsat;
Nici frunza nu se mișcã, nici vântul nu suspinã,
Și apele dorm duse, și morile au stat.]