L'ombre de Hugo plane à l'arrière plan de ce roman policier, vu comme un livre de détente. Mais il vaut mieux qu'un habituel polar. On y parle d'une moderne cour des miracles et du droit d'asile à Notre Dame de Paris. En fait il s'agit d'un chantage des « clochards » pour bénéficier de meilleures conditions de survie dans un monde hostile.
Tout dans ce récit baigne dans une actualité contemporaine : on se souvient de l'abbé Pierre, et de l'Église Saint Bernard accueillant des sans papiers en détresse. On trouve aussi une église et des paroissiens fondamentalistes, hostiles aux conduites humanistes, et liés aux thèmes du front national : identité française, xénophobie, défense et promotion de l'occident chrétien…
Alexis Ragougneau donne à son histoire une tournure évangélique ; le meneur des clochards, un dénommé Mouss, ressemble beaucoup au messie, et son histoire se déroule selon un calendrier liturgique, de Nöel à Pâques, via le vendredi saint, la Cène (avec pizzas), la trahison du mont des oliviers etc.
La trame déroule sur deux strates temporelles :
- l'occupation de la cathédrale par les clochards, c'est le passé de Mouss et de ses compagnons,
- l'enquête sur l'assassinat de Mouss, menée par les membres de la police et de la justice.
Le montage entre les épisodes antérieurs à cette mort et l'enquête se fait essentiellement via les souvenirs douloureux d'un « bon prêtre », famélique comme un crucifié, qui participe aux deux épisodes.
Tous les personnages actuels vivent à la fois dans le passé et le présent ; Un secret douloureux les traumatise. Sacristain, procureur, abbé etc. chacun porte sa croix.
Le style est soigné, sans surcharge, et l'histoire va son train sans faiblir.
J'ai particulièrement apprécié des dialogues vigoureux, des tirades polémiques pertinentes, et une grande habileté dans la parodie des langues de bois : en auteur de théâtre,
Alexis Ragougneau restitue avec talent le langage officiel du journal télévisé, du quai des orfèvres, comme des responsables de Civitas (ici "Cohors Christi").
Trouvera-t-on les damnés de la terre idéalisés ? Sans doute, mais le regard de la fille de l'un d'eux remet les pendules à l'heure. Reste que, dans la diversité de leurs parcours, le langage et des pratiques solidaires leur rendent dignité et humanité. Bonne lecture à plusieurs niveaux.