De Léonor de Récondo, j'avais beaucoup aimé
Pietra viva. Cet hiver, je l'avais entendue évoquer son dernier ouvrage à La grande librairie et m'étais promis de lire
Amours à la première occasion. Je n'ai pas été déçue : toujours autant de sensibilité, de poésie, de finesse tant dans le propos que dans le style. le point de départ de l'histoire est un peu convenu, j'entends par là qu'il n'est pas vraiment original : Céleste, petite bonne servant chez les Boisvaillant, est régulièrement troussée par Monsieur Anselme. Elle a très tôt appris le silence et la soumission et, lorsqu'elle tente d'évoquer le sujet avec Huguette, qui sert la famille depuis la naissance d'Anselme, celle-ci l'enjoint à se taire.
Victoire Boisvaillant, née Champfleuri (tout un programme, ces deux noms !), l'épouse d'Anselme s'ennuie mortellement. Mariée par ses parents, peu au fait du rôle de maîtresse de maison, elle éprouve quelque affection pour son mari mais redoute « l'enchevêtrement immonde ». Piètre amant, Anselme n'aura pas réussi à faire découvrir à Victoire les plaisirs charnels, dont le ventre reste vide au grand désespoir de son entourage.
Ce n'est pas le cas de Céleste qui va s'apercevoir, au bout de quelques mois, qu'elle porte l'enfant de Monsieur. Là encore, l'histoire offre peu de surprise : la domestique « engrossée » (c'est un bien vilain terme mais qui sied plutôt à la situation) par les bons soins du maître, c'est une antienne. La réaction de Victoire, en revanche, constitue le tournant du roman. Visiblement stérile, la jeune femme prend rapidement la décision que cet enfant sera sien et, fermement, rallie toute la maisonnée à ce projet.
Cet enfant à naître va créer entre Céleste et sa maîtresse une relation qui va évoluer de façon inattendue… Que de délicatesse, de sensualité, d'intensité dans la narration. Les deux femmes vont apprendre à s'aimer, à se découvrir dans leur féminité, à partager autour du nourrisson une véritable initiation au corps de l'autre. Alors que tout les sépare, elles vivent une communauté de destin : celle des femmes dont on attend qu'elles obéissent et qu'elles se soumettent.
Amours au pluriel, parce que découverte de la passion mais aussi de la maternité pour Céleste et Victoire, dont les prénoms sont au diapason de leur être. Deux formes d'amour qui les conduit à prendre des décisions, à s'affranchir des codes sociaux, à se libérer du carcan familial.
Une jolie réussite, un roman qui se lit d'une traite, qui nous emplit d'odeurs et de musique – dans le format que j'apprécie vraiment beaucoup de Sabine Wespieser Editeur.