Ce tome fait suite à Deadly Class Volume 7: Love Like Blood (épisodes 32 à 35) qu'il faut avoir lu avant. Il faut impérativement avoir commencé par le premier tome. Il comprend les épisodes 36 à 39 et FCBD 2019, initialement parus en 2019, écrits par
Rick Remender dessinés et encrés par
Wes Craig et mis en couleurs par
Jordan Boyd. Il comprend les couvertures originales de
Wes Craig, ainsi que les couvertures variantes réalisées par
Kim Jung Gi & Dace
McCaig,
Daniel Warren Johnson &
Jordan Boyd,
John McCrea,
Mahmud Asrar & Dace
McCaig.
Toutes les personnes que Marcus Aguello aime finissent par mourir. Actuellement, il est en train de courir pour échapper au souffle d'une explosion nucléaire qui vient de se produire juste derrière, le champignon atomique s'élevant haut dans le ciel. Il sait bien que dès qu'il commence à s'impliquer, à s'attacher émotionnellement à une personne, ça devient un point de faiblesse, exploitable par des gens mal intentionnés. le mauvais trip de Marcus continue : semi-transformation en rat obligé de ramper dans des conduits sombres, crâne géant dont émergent des dizaines de serpents géants ondulant, leurs têtes se transformant en celles de Shabnam Viktor, Stephen, Saya, Kelly qui évoquent la fausse sécurité d'appartenir à un groupe, le refus de Marcus de faire semblant d'accepter leurs valeurs et leurs habitudes de vie car il veut rester honnête. Cependant, Marcus émerge dans une ville de banlieue construite pour servir de test à des essais nucléaires, et sa peau devient celle d'un serpent. Billy lui apparaît évoquant l'impossibilité de progresser dans la vie sociale si on ne fonctionne pas comme un sociopathe. Après ce trip sous peyote, Marcus sait ce qu'il doit faire : il doit retourner à l'école de King's Dominion pour achever sa formation et se battre de l'intérieur. Son retour avec Maria remet en cause les plans de Shabnam et ses associés Kelly Grogda, Viktor, Brandy Lynn et Stephen. Maître Lin reçoit Marcus et Maria le jour même leur tirant les vers du nez quant à leur véritable motivation.
Parvenu à l'épisode 36,
Rick Remender éprouve le besoin de faire une sorte de résumé des épisodes précédents, sauf qu'il est hors de question de régurgiter à l'identique ce qui a déjà été raconté. Cela prend la forme d'un mauvais trip sous influence, après ingurgitation de peyotl, petit cactus originaire du Mexique contenant plusieurs alcaloïdes dont la mescaline, un puissant psychotrope. Cette forme originale de récapitulation permet au lecteur d'accéder au ressenti du personnage, à la manière dont son inconscient traite ces événements traumatisants survenu à la chaîne. le lecteur y reconnaît la métaphore de l'adolescence exagérée au travers de cette école d'assassin et de péripéties violentes et hautes en couleurs.
Remender & Craig ont choisi de parler des transformations drastiques survenant à l'adolescence sous cette forme imagée, exagérée, divertissante et pénétrante. Marcus se retrouve confronté à l'expression imagée de son inconscient et
Wes Craig se déchaîne pour des visions hallucinées : le champignon atomique, les serpents omniprésents, la transformation partielle en rat, le crâne, le cercueil, etc. le lecteur est impressionné par le degré de coordination entre scénariste et artiste, comme si ces pages avaient été réalisées par une seule et même personne. L'image du champignon atomique évoque la peur de la bombe très présente dans ces années-là, sans que le flux de pensée ou les commentaires n'aient besoin de l'expliciter. La transformation en semi-rat évoque le manque d'estime de soi et l'impression de vivre dans un système qui s'impose à l'individu sans qu'il n'ait d'autre choix que de vivre des miettes, voire des déchets que lui laisse la société, une sorte de sous-citoyen confiné dans cet état. La métaphore du serpent devient plus riche grâce aux dessins, entre une créature qui serpente sournoisement pour avancer, évoquant une absence de rectitude morale, et la mue qui vient avec le changement de peau, sans oublier les écailles qui forment une protection contre le monde extérieur.
Wes Craig est en très grande forme et donne à voir les principales thématiques de la série, au travers d'images et de métaphores visuelles saisissantes. le lecteur sourit en voyant qu'il a droit à une apparition de
Ronald Reagan, élément déclencheur des malheurs de Marcus.
Dans un premier temps, le lecteur est un peu décontenancé car le scénariste ne semble pas pressé de saupoudrer son récit de références culturelles à la fin des années 1980, mais il suffit juste d'être patient. Marcus et ses potes vont assister, ou plus participer à un concert de Fishbone, ce qui déclenche des échanges sur l'intégrité des musiciens rock, sur l'honnêteté de leur musique. Il est fait mention d'Harvey Milk (1930-1978) et de la manière dont il a instrumentalisé Oliver Sipple (1941-1989) qui avait sauvé le président Gerald Ford d'une tentative d'assassinat le 22 septembre 1975. Ces références s'avèrent toujours aussi pertinentes, mais finalement peu nombreuses. de toute façon, le lecteur est tellement captivé par l'intrigue qu'il n'était pas nécessaire d'en rajouter. le temps du retour au bercail est venu. Les cours reprennent avec un exposé sur la première arme chimique (le gaz moutarde), sa première utilisation sur un champ de bataille à Ypres en 1915 et son inventeur Fritz Haber (1868-1934). Puis il est question des plus grands chefs de gouvernement qui ont conservé l'amour de leur peuple tout en en faisant massacrer une partie. À nouveau, les étudiants de King's Dominion sont confrontés à la réalité de la cruauté sans fin de l'humanité, des souffrances infligées aux hommes par leurs semblables. Cela déclenche un écho avec les étudiants ayant trouvé la mort dans les épisodes précédents, dont la silhouette apparaît parfois sous forme de spectre : le contour tracé en blanc du cadavre, comme s'ils hantaient l'inconscient de certains personnages.
Déjà que Shabnam ne maîtrisait pas grand-chose avec ses alliés de circonstance, sa situation empire avec le retour de Maria & Marcus, deux survivants avec une réputation commençant à entrer dans la légende, puisque aucun élève ne parvient à avoir une version claire et vérifiée de ce qu'ils ont vraiment fait, de ce à quoi ils ont vraiment survécu. C'est donc reparti pour des relations tout en tension dramatique et des rapports de force malsains. Il y a bien sûr une comparaison de longueur d'organe entre les 2 groupes la nuit dans le cimetière, une tentative spectaculaire d'assassinat à la cantine, sans oublier une tentative de séduction par Brandy Lynn, l'arrivée d'une jeune demoiselle craquante Jayla, une partie de dominons, la présence en retrait du groupe des afro-américains Final World Order (FWO)…
Wes Craig continue de faire preuve d'une inventivité remarquable dans ses planches : un individu qui chute à travers les cases alors qu'il a été poussé dans l'escalier, des petits carrés et disques (comme des gommettes) rouges et jaunes pour rendre compte de l'ambiance dans une boîte de nuit, un découpage de planche en éventail pour montrer l'accélération d'une moto lors d'une course-poursuite, des vues de dessus pour montrer des personnages descendant un escalier, des personnages marchant d'un air décidé vers le lecteur (par exemple Maria & Marcus dans les couloirs de l'école), une planche avec 17 cases pour montrer la rapidité d'une attaque (celle de Brandy Lynn contre Marcus au réfectoire), des pages avec 15 cases, alternant une consacrée à Marcus au concert, l'autre à Viktor se battant, pour montrer la distance qui sépare leur expérience de vie à ce moment. La narration visuelle est à l'opposé d'un découpage pépère, l'artiste la concevant toujours spécifiquement à chaque séquence.
Les personnages sont toujours mus par une violence intérieure inextinguible et entretenue par l'institution King's Domnion, et par la nécessité de se défendre contre un environnement agressif au-delà de toute crédibilité, mais ils ne font pas du sur place. L'expérience psychotrope de Marcus lui permet de passer au-delà de blocages pour aller de l'avant. Viktor est amené à effectuer une mission particulièrement cathartique. Quan, Saya, Brandy, Shabnam doivent aussi surmonter de nouvelles épreuves, et le lecteur observe s'ils se conduisent comme d'habitude, s'ils reproduisent les mêmes schémas comportementaux, ou s'ils ont des réactions différentes. À chaque fois, il garde à l'esprit que la forme du récit exagère les épreuves, toutes sont extrêmement violentes, voire mortelles, mais qu'il s'agit d'une licence d'écriture pour évoquer des émotions et des motivations tout à fait réelles. le lecteur est fasciné par ces jeunes déchaînés, pouvant exprimer l'intensité de leur émotion par une violence sans retenue, et même nécessaire pour pourvoir survivre, par leur liberté et à la fois les principes moraux inconscients, souffrant avec eux pendant les combats, et en imaginant le prix psychique à payer pour de telles épreuves.
Les tomes de Deadly Class se suivent et gagnent à chaque fois en richesse, pas seulement du fait du développement de l'intrigue. La coordination entre dessinateur et scénariste continue d'augmenter au point de donner l'impression de l'oeuvre d'un seul et unique créateur.
Wes Craig fait preuve une inventivité spectaculaire, sans rien sacrifier de la lisibilité, toujours au service de raconter l'histoire, jamais pour le plaisir d'être démonstratif.
Rick Remender est toujours au sommet de son art : un dispositif divertissant par sa violence et ses actions spectaculaires, ses personnages hauts en couleurs et si humains, une métaphore sur les mécanismes de défense psychiques contre les agressions et les traumatismes, une introspection tout en aventure.