Un récit agréable à lire, informatif mais aussi romanesque, sentimental et aventureux. Ce qui est d'emblée appréciable, c'est que le colonel Rémy ne fanfaronne pas, il montre ses doutes, son inexpérience, ses erreurs et ses peurs, comme celle d'abandonner sa famille pour partir se battre dès le 18 juin 1940, alors qu'il n'avait jamais été mobilisé et qu'il n'était pas encore au courant de l'appel du général De Gaulle. C'est pourquoi le sous-titre est bien choisi : « Le premier livre du courage et de la peur ». Je ne vais pas rentrer dans les détails de son entrée en action (puisque le premier tome de ses mémoires ne couvre que les années 1940 et 1941), mais je précise simplement qu'il est entré dans les services secrets grâce à des relations stratégiques qu'il avait liées avant-guerre, notamment en Espagne, et il s'est d'abord occupé de constituer des réseaux d'espionnage sur la côte atlantique.
Gilbert Renault se présente comme un gaulliste et un catholique, mais il est certain que politiquement ses réseaux penchaient à droite, constitués de maurassiens et même d'anciens cagoulards. Surtout, ce qui peut paraître étrange, c'est que tout en fustigeant le défaitisme et la capitulation de Vichy, il met en scène pas mal de pétainistes qui ont plus ou moins aidés tacitement les gaullistes, ou qui s'en sont servis et inversement. Par exemple, il met dans la bouche d'un officier de Vichy cette phrase : « La collaboration, il n'en est pas question. le Maréchal se sert de ce mot pour tromper les Allemands, mais il nous a fait savoir directement que l'ennemi public numéro 1 était l'Allemand et que tous nos efforts devaient être tendus contre lui. » D'autres exemples sont encore plus étonnants. D'autre part, Gilbert Renault évoque aussi le cas d'agents tellement bien infiltrés qu'ils furent jugés pour intelligences avec l'ennemi après la guerre. D'ailleurs il condamne l'esprit délateur de toute cette période de guerre : « Il a été dit que les tribunaux et organismes divers de police ont reçu, au cours des mois qui ont suivi la libération du territoire, 3 400 000 (trois millions quatre cent mille) dénonciations. Encore un petit effort et la moitié de la France eût été en prison, gardée par l'autre moitié ».
C'est un récit parfois triste mais aussi plein de joie et d'optimisme, qui met l'accent sur la générosité. On constate beaucoup de solidarité et d'entraides. Quelques traîtres bien sûr, mais une grande majorité de patriotes, prêts à aider les résistants dans la mesure de leurs possibilités.
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C’est dans la cour de la gare Saint-Jean, à Bordeaux, que m’attendait mon premier contact avec la Résistance intérieure, au moins sous sa forme populaire. Le train venant de Libourne m’a débarqué à la nuit tombée, et le black-out est rigoureux. Je crois me souvenir de l’existence de grilles, que l’obscurité qui règne empêche de distinguer. Une auto qui vient de la ville et cherche sans doute l’entrée de la cour allume un bref instant ses phares. Surpris dans leur faisceau, un piéton fait un bond. Craignant de l’avoir heurté, le conducteur stoppe sur place. Furieux, l’homme l’apostrophe : « Va donc, eh ! enc… »
- Qu’est-ce que c’est ? demande une voix à l’accent guttural.
- Enc… que j’te dis. T’es qu’un enc… !
L’automobiliste passe la tête par la portière. C’est un officier de la Wehrmacht.
- Voulez-vous parler poliment ?
- Poliment, moi, à un enc… ! Je leur cause pas, moi, aux enc… Je les emm… !
- Viens donc, intervient une femme qui est jusqu’alors demeurée dans l’ombre, et qui s’efforce de tirer son mari par la manche.
- Laisse-moi. D’abord, j’en ai marre, de tous ces enc… Qu’est-ce qu’y f… ici, cet enc… ?
Il se penche vers l’officier et répète posément :
- Enc…, j’te dis. T’es qu’un enc…, un sale c… d’enc… !
Pour triviale qu’elle soit, cette petite scène me réjouit le cœur. Je préfère de beaucoup le style énergique de cet ivrogne aux momeries larmoyantes de la presse vichyste.
Première nuit après l'arrestation d'un ami. Il y en aura beaucoup d'autres semblables à celle-ci, que je passe étendu sur mon lit, les yeux ouverts dans le noir [...]
On entendra trop souvent à la radio, dans les années qui suivront, de mystérieux messages qui parleront de malades ou de contagieux. C'est pestiférés qu'il eût fallu dire. A mon insu, la longue tournée que j'ai entreprise [pour prévenir les autres de cette arrestation] est un faire-part de deuil. Chacune des visites que je rends écarte un peu plus de nous celui qui, hier encore, était notre camarade. Nous le rejetons inconsciemment de nous-mêmes, nous creusons entre lui et nous un fossé que chaque mise en garde rend plus profond. Un jour, il y disparaîtra sous les pelletées de notre crainte.
"La ligne de démarcation" du Colonel Rémy
Le livre du
Colonel RÉMY "La ligne de démarcation, l'épopée des passeurs et des évadés" parle de la partition de la France en plusieurs zones durant l'
occupationallemande de la seconde
guerre mondiale et du passage
clandestin entre ces zones. le
reportage interroge le
Colonel RÉMY, ainsi que différents résistants dont les actes sont retracés dans le livre. - Extrait du film de...