L’Ecclésiaste
Toi le craignant-dieu, l’élu de Dieu
petit puritain puriste que tu es
en dépit de tes ruses et de tes sourires, tu finirais
par aimer ça (les églises suintantes, les rues vides,
le silence des chantiers, les balançoires cadenassées)
et par abriter ton cœur froid de la chaleur
du monde, de la curiosité de la femme, des regards
vifs des enfants – je sais que tu pourrais
t’habiller de noir, boire de l’eau, nourrir ta farouche
ferveur avec des sauterelles et du miel sauvage, et ne
pas te sentir tenu de comprendre et de pardonner
mais seulement de parler selon le souffle
sinistre de l’esprit, et d’aimer les pluies de janvier
qui noircissent les portes noires et qui, dures, pénètrent
les collines d’Antrim les marais et les tombes
entassées de tes pères. Enterre ce foulard
rouge et ce bâton, ce banjo. C’est ici
ton pays : ferme un œil et règne.
Ton peuple t’attend ; leur linge claque
lourdement dans leurs lotissements pour t’accueillir ;
c’est un peuple crédule. Ma parole tu en serais capable –
Dieu te garde ! – de te planter à un coin de rue, raidi
dans ta rhétorique à ne rien promettre pour ce monde.
// Derek Mahon (1941 -)
/ Traduit de l’anglais par Denis Rigal
James Joyce
Sous le chapeau cabossé
Avec sa large bande noire ;
Ce long visage, descendant
Comme une corniche jusqu’à
La mâchoire saillante ;
Teint olivâtre, petite
Moustache ; envahi
Par de sombres
Lunettes qui
Soudain s’éclairent
Ces doigts effilés
Crispés sur une canne
Ou un verre de vin blanc ;
Il pourrait être
Mon père ou le vôtre ;
Tout homme
Usé, marqué par
La vie, si l’en-tête
Ne portait pas le
Détail – éclatant comme
L’hérésiarque ou l’Ange déchu –
De son nom.
// John Montague (28/02/1929 – 01/12/2016)
/Traduit de l’anglais par Michel Bariou
Comme des dolmens autour de mon enfance,
les vieux
extrait 3
Le curé et le docteur s’occupaient d’eux après un dur
Chemin dans la neige jusqu’au genou, ou la chaleur torride,
Allant de la grande route au chemin puis au sentier interrompu,
Humant l’air des montagnes, mais à bout de souffle.
Quelquefois des voisins les découvraient
Silencieux gardiens d’un foyer éteint,
Soudains coulés au moule de la mort.
Irlande d’autrefois ! Je grandis à son chevet,
Les runes et la mélopée, le mauvais œil et la tête tournée,
Cruauté Fomorienne de la famille, inimitié locale.
Silhouettes décharnées de la crainte et de la bienveillance,
Mes rêves elles ont longtemps hanté.
Puis un jour, dans un cercle de pierres dressées,
J’ai senti leurs ombres passer
Dans les ténèbres éternelles des formes d’autrefois.
// John Montague (1929 - 2016)
/ Traduit de l’anglais par Michel Bariou
Comme des dolmens autour de mon enfance,
les vieux
extrait 1
Comme des dolmens autour de mon enfance, les vieux
Jamie MacCrystal chantait pour lui-même
Des bribes de chanson, sans air et sans parole ;
Me donnait un penny le jour de sa pension ;
Et l’hiver aux oiseaux il offrait des croûtons.
A sa mort, sa maison on pilla.
Son matelas fut fouillé, sa tirelire brisée,
Le cadavre seul fut épargné.
Maggie Owens s’entourait d’animaux,
Une chienne bâtarde, ses petits frémissants,
Dans sa chambre même une chèvre criait.
Médisante impérissable,
Elle avait la dent dure pour tout le voisinage ;
Réputée sorcière, tout ce que je sus d’elle
C’est qu’elle avait un besoin de railler, solitaire.
Les Niall vivaient sur un chemin de montagne
Parmi les digitales et les bruyères en fleurs.
Aveugle tous, ils vivaient d’une radio et d’une pension d’aveugle
Leurs yeux morts brillaient comme d’un serpents les écailles
Quand on entrait pour s’abriter de l’orage sur la montagne.
Les grillons crissaient sous la pierre branlante du foyer
Jusqu’au retour du soleil fangeux.
…
// John Montague (1929 - 2016)
/ Traduit de l’anglais par Michel Bariou
Comme des dolmens autour de mon enfance,
les vieux
extrait 2
Mary Moore vivait dans une loge de garde en ruine,
Célèbre come la tour de Pise pour son pignon branlant.
Avec un sac en guise de tablier et des bottines
Elle parcourait les champs avec son maigre troupeau
Sorti d’une étable crasseuse.
D’une cruauté proverbiale, elle s’endormait
Sur les récits d’amour, l’Etoile Pourpre et le Cercle Rouge,
Rêvant des rites des gitans, célébrés au coin d’un feu.
Billy Eagleson l’impétueux épousa une servante catholique
Quand toute sa famille loyaliste disparut :
Nous dansâmes autour de lui criant : « À bas le roi Billy » *
Restant hors de portée de son gourdin d’épine.
Abandonné par les deux religions, il ne s’en souciait guère
Mais un été les tambours orangistes retentirent
Avec les chapeaux melons et les écharpes agressives.
…
* Jeu de mots : « Billy » Guillaume d’Orange.
// John Montague (1929 - 2016)
/ Traduit de l’anglais par Michel Bariou