Cette maison, c'était un livre ouvert, qui racontait cinquante ans de ta vie, de la nôtre.
Mais il a fallu s'y résoudre, l'âge venant. Tu en es partie.
Partir, à quarante ans, ça promet l'aventure.
À quatre-vingt-trois ans, ça résonne autrement.
C'est plutôt le mot «fin » qu'on entend.
« On ne cesse pas plus d’être enfant que l’on ne cesse d’être mère. »
On m’a dit que tu étais partie dans ton sommeil. C’est ce que l’on dit à tout le monde, pour ne pas aviver la profonde blessure. N’avoir pas été là.
Aujourd’hui, on sauve les gens, au lieu de les laisser partir.
Si vieillir est inéluctable, vieillir mal n’est pas obligé.
Dans ma famille, c'est la tête ou le cœur, en principe. Crise cardiaque ou AVC. Lignée de tragiques marins, de pathétiques capitaines, ce sont toujours ou presque nos vaisseaux qui nous lâchent.
« Lorsque nous nous croisions, chacun de nous poussant un être cher dans les larges couloirs, ou attendant sagement devant le grand ascenseur prévu pour les brancards et les chariots de soin, nous échangions des regards un peu fuyants, préoccupés, des sourires contrits. Des sourires d’enfants coupables.
Pourquoi ma mère, mon père, doit-il rester ici ?
Pourquoi est-ce que je ne peux pas – ne veux pas, ne suis pas en mesure de – m’occuper
d’elle ou de lui ? Ce n’est pas une fin de vie acceptable. C’est indigne.
C’est ainsi. Alors oui, je suis orpheline. On ne cesse pas plus d’être enfant que l’on ne cesse d’être mère. »
N'aie pas peur
Tu t'en vas, je le sais, je le sens
Je respire avec toi même si je suis loin
N'aie pas peur, je suis en chemin
Mon bras entoure ton épaule
Et ma main prend la tienne, la réchauffe, la tient
Puisque la vie soudain intervertit les rôles
Toi, fragile
Moi, prenant soin
N'aie pas peur, je suis là
Est ce que tu entends mon souffle au creux de ton oreille
Je te dis que je t'aime, que tu vas me manquer
Que la vie est trop courte, aussi longtemps qu'elle dure
Et qu'il ne faudrait pas avoir à se quitter
Ne t'effraie surtout pas du silence qui vient
Tu en auras fini de ces heures d'attente, à égrainer
sans fin trop de minutes lentes
Que je suis là et que je t’aime, il faut que je m’arrête de parler pour les autres.
Que le « je » est fragile, quand il s’est dépouillé de l’armure du « nous ». (p.60)
Je retourne chez moi avec, une fois de plus, le sentiment d’avoir raté un entretien d’embauche, de ne pas t’avoir dit ce que j’aurais dû te dire, de n’avoir pas posé les questions qu’il fallait. (p.38)