Distingué par plusieurs prix, traduit dans trente-huit pays, vendu à plus de trois millions d'exemplaires dans le monde et couvert de critiques dithyrambiques (dont l'une venant de ma très estimée et très adorée tante), je dois reconnaître que j'étais loin d'imaginer que la magie d'
Elle s'appelait Sarah n'opérerait pas chez moi.
Je vais donc tâcher de vous expliquer pourquoi le roman qui a séduit une bonne partie de la planète m'a, à l'inverse, profondément indignée.
Je tiens toutefois et avant tout à préciser qu'
Elle s'appelait Sarah n'est pas pour autant dénué de qualités. Les chapitres centrés sur ladite Sarah m'ont par exemple captivée. Impossible en effet de rester insensible au calvaire de cette enfant, de son frère Michel et de ses parents au moment de la rafle du Vélodrome d'Hiver dans un premier temps puis tout au long de l'été 1942.
La description des conditions de détention, éminemment réaliste, est qui plus est très réussie. Elle permet de révéler très subtilement (et intelligemment) la psychologie des différents personnages : la détresse du père, l'apathie de la mère et la maturité ahurissante de Sarah, dont les innocentes questions ("Qu'avait-elle fait, qu'avaient fait ses parents, pour mériter ça ? Pourquoi était-il si grave d'être juif ?") soulignent l'absurdité des évènements. Sans doute aurais-je été conquise donc, si ce roman s'était limité à l'analyse psychologique des victimes et des bourreaux et à l'histoire éminemment touchante de cette famille.
Le hic, c'est que ces chapitres sont entrecoupés par d'autres, centrés eux sur Julia Jarmond, une journaliste qui est chargée de faire un article sur cette rafle et qui tente, simultanément, de gérer les petits tracas de sa vie. Aux multiples souffrances de Sarah succèdent donc les états d'âmes et plaintes intempestives de Julia. J'ai trouvé cette construction narrative complètement déplacée. Quelle idée de nous faire subir ces atermoiements dans un ouvrage traitant, en parallèle, d'une des pages les plus cruelles de l'histoire ! C'est d'autant plus insupportable que ces jérémiades ne se limitent pas à un ou deux chapitres et que Julia, qui aurait pu remédier depuis belle lurette à ses effroyables (ironie) "problèmes" les traîne inlassablement avec elle.
Par ailleurs, le récit est truffé de clichés. Les soliloques de Julia sur les différences de moeurs entre américains et français m'ont par exemple semblé réducteurs et inutiles. Les personnages ont également l'air d'être - tous - tirés de la caricature pour les nuls : le vilain boss insensible et exigeant, la supersister, le mari beau gosse et sûr de lui qui, en fait, est en proie au doute, la belle-mère raffinée et condescendante qui n'a jamais vraiment accepté sa belle-fille, le beau-père impassible qui dissimule en réalité une grande sensibilité, la belle-soeur maigrichonne et la belle-soeur rondelette (une histoire de quota sans doute ?)...
Quant aux recherches que Julia mène avec son confrère photographe, elles s'avèrent éminemment superficielles. Il aurait par exemple été intéressant, d'autant plus que c'est brièvement évoqué par son chef dans l'ouvrage, que Julia interroge des policiers ou même des infirmiers et éclaire ainsi les raisons de leur collaboration. J'ai été très étonnée également qu'il n'y ait aucune mention des réseaux de résistants et surtout, de leurs organes de presse – notamment le journal Témoignage chrétien, omniprésent depuis 1941 – mention qui n'aurait en rien dédouané la police française et ses complices.
Elle s'appelait Sarah pose somme toute des questions légitimes (peut-on survivre à son passé, doit-on s'excuser et si oui comment ?) mais là encore, ne les approfondit malheureusement pas. La démarche de Julia paraît donc incomplète et sonne faux voire moralisatrice. L'investigation est d'autant plus bancale que la quête originelle de Julia est confuse. J'ai en effet peiné (et peine toujours d'ailleurs) à comprendre pourquoi elle s'identifie autant à Sarah, pourquoi elle qui ne savait absolument rien de la rafle du Vel' d'Hiv s'est soudainement sentie investie d'une tâche.
Enfin, la plume de Tatiana de Rosnay manque cruellement d'éloquence. J'ai particulièrement été gênée par la pauvreté de la syntaxe et du vocabulaire qui semblait justifié, lorsqu'il s'agissait de Sarah ou de la fille de Julia mais qui n'avait plus lieu d'être lorsque des adultes étaient mis en lumière. Je n'ai pas compris ce choix stylistique, l'infantilisation généralisée de l'écriture ne faisant que renforcer la platitude du récit selon moi.
En résumé, une fiction inégale, plus agaçante qu'émouvante, malheureusement et dont je sors déçue. Peut-être cela dit car depuis que j'ai découvert la littérature concentrationnaire et plus spécifiquement les ouvrages de
Charlotte Delbo dans le cadre de mon mémoire de master 1, j'attends (inconsciemment) un niveau, sinon supérieur (ce qui me semble aujourd'hui, avec le recul, impossible), du moins équivalent.
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