Tout commence assez platement, à l'image de notre personnage. Colombe Barou est ce qu'on appelle communément « quelqu'un de bien ». Mais que peut bien se cacher derrière ce qualificatif qui semble vouloir dire tout et rien à la fois? Et bien, pour Colombe, c'est à quelque chose près ceci: quelqu'un de fade, de transparent dit-elle, qui se contente de faire ce qu'on lui demande sans jamais oser dire non. En d'autres termes, une « cruche », « une bonne poire, quoi », d'une banalité effrayante. On continue? Dans la vie, Colombe est un « nègre ». Autrement dit, elle passe son temps à écrire des romans pour ceux qui ne savent pas les écrire eux-mêmes, sans que jamais son nom ne figure sur la couverture. Pour cette femme intelligente qui a toujours rêvé d'écrire un roman, le second rôle lui convient, préférant se faire oublier. Colombe est aussi la femme de Stéphane, très souvent absent pour raisons professionnelles, et maman de deux garçons. Sa vie privée se résume à celle d'une femme au quotidien bien rangé, qui veille à ce que tout soit propre dans la maison. Bref, vous l'aurez compris, rien de bien folichon, mais jusque-là, elle s'en est contenté, disons-donc que tout va bien.
Pourtant, on sent bien que quelque chose sonne faux dans cette mélodie du bonheur trop lisse. Surtout lorsqu'une petite voix dans la tête de notre personnage fait son entrée en scène: a-t-elle fait les bons choix? Est-elle sûre d'être heureuse, d'occuper la place qu'elle veut?
Loin de trop se préoccuper de cette petite voix, la vie de cette famille aurait pu suivre son cours faussement idyllique mais tranquille et rassurant. Sauf que leur déménagement va tout bouleverser. On pense tout de suite: nouvel appartement, nouvelle vie, nouveau départ. Et Colombe, tout comme le lecteur, est à ce moment très loin d'imaginer à quel point ça va être vrai pour elle. Tout le monde ou presque a déjà fait l'expérience du voisin dérangeant. Celui de Colombe se met à écouter de la musique toutes les nuits, vers trois heures du matin, à tel point qu'elle ne peut plus dormir. Jusque là, situation plutôt classique donc. Sauf que voilà, ce voisin qu'elle n'a jamais réussi à voir, ne met la musique que lorsque son mari est absent. Elle en est sûre, il l'observe et veut l'empêcher de dormir. Mais pour quelles raisons? Qui est-il?
C'est ici qu'à mon avis, le roman devient très bon. Car le lecteur est contraint de suivre Colombe dans son angoisse, que personne ne veut croire, à priori, à raison. Et si tout n'était que le fruit de son imagination? À partir de là, une tension diabolique s'installe pour ne plus s'arrêter jusqu'au point final. Cette tension est diabolique oui, et elle a aussi quelque chose de très sensuel, d'attrayant, et c'est d'autant plus attractif qu'on ne comprend pas d'où elle vient.
Au début de ma lecture, j'avais l'impression de voir toutes les ficelles du cadre posé par
Tatiana de Rosnay, ce qui fait que l'histoire qui se déroulait sous mes yeux était assez prévisible. Et puis j'ai finalement été complètement prise et surprise par ce livre. le prévisible se transforme en quelque chose de beaucoup plus flou et incertain. Toutes mes certitudes se sont envolées, le cerveau retourné, à tel point que je ne savais plus qui croire.
Se plonger dans ce livre c'est assurément lire un livre qui change à mesure qu'on le lit, qui vous trompe et qui vous amène vers quelque chose que vous n'aviez pas imaginé. Au fil des pages, le récit prend une épaisseur très intéressante, et c'est d'autant plus réussi qu'il met en scène un personnage qui lui aussi évolue d'une façon spectaculaire.
Dans une écriture simple et terriblement efficace,
Tatiana de Rosnay parvient à happer et à berner totalement son lecteur pour ne plus le lâcher. N'est-ce pas là le signe du talent?
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