Bon j'ai fini
la tache . Je l'ai lu d'une traite cette nuit .
C'est évidemment impressionnant .
Que l'on soit sensible ou pas à cette approche des choses , sculpturale je dirais, puissante , avec une écriture qui me ferait penser à un bon Bordeaux si j'étais amatrice de vin , on sait tout de suite dès les premières lignes qu'on a affaire à un grand écrivain , un incontournable , un classique en puissance.
Alors oui
la tache .
Déjà en bonne ménagère que je suis , ou que je me veux , je m'empresserais presque de chercher fébrilement l'éponge pour effacer. .
Zut ce n'est qu'un titre .
N'empêche que , ça me titille au fond de moi .
L'histoire de Coleman Silk , professeur d'université en retraite qui fut mis à l'index par la société bien pensante de l'amérique des années Clinton , pour un mot , mal interprété et lui prêtant une portée raciste , c'est le prétexte .
A partir de là ,intervient Nathan Zuckerman ( qui est le narrateur ) : ami de Coleman qui lui a demandé d'écrire son histoire , se sentant lui-même incapable de se lancer dans cette entreprise introspective , Nathan remontera le cours de l'histoire de son ami ,cet homme blessé victime d'un climat social délétère , afin de témoigner, rendre justice , et finira par découvrir le mystère qui confère à Coleman une aura particulière , indéfinissable et probablement cause de frustration pour ces proches incapables de déceler la part manquante , le bout de puzzle qui permettrait d'établir le lien en profondeur . Lorsque Nathan effectue ce travail d'enquêteur pour écrire son livre , Coleman est mort , d'une fin aussi brutale que sordide , le jetant en pâture à la faim de ses congénères toujours plus avides de se nourrir de la pourriture tout en cherchant à se purifier car tel est le paradoxe de l'humanité .
Qu'en toile de fond
Philip Roth n'oublie pas de rappeler tout au long de son récit l'affaire Clinton/Léwinsky, , on aura bien compris qu'il s'agit pour lui d'ancrer sa petite histoire dans la petite histoire de la grande histoire , qui au final se résume à une affaire de sexe , de pouvoir et de domination .
C'est l'époque ou sévit le politiquement correct , la chasse non plus aux sorcières mais aux vilains qui saliraient l'image de l'amérique avec des idées racistes , de ces idées pas si lointaines pourtant qui étaient admises comme vérité et qui constituent une partie de l'histoire des USA mais qu'il faut oublier , nier,et contre lesquelles il faut s'insurger , et dénoncer , quitte à inventer , parce qu'au final c'est bien dans l'accusation de son semblable qu'on croit se dédouaner et se sentir plus innocent . (A part que , d'innocence il n'y a sur cette terre ,
la tache , originelle elle est et restera ) .
Mais la grosse farce de l'histoire , c'est que Coleman accusé injustement de propos raciste , est noir . Noir dans ses gènes sans que cela se voit ,parce que , avec la génétique et ses caprices , ça sort comme ci ou comme ça .
Toute sa vie s'est construite sur une imposture . Avoir fait le choix d'appartenir à la race blanche , et devenir celui qu'il veut être , non pas véritablement dans le rejet de sa négritude et de ses racines , mais probablement plus par volonté d'accéder à une plus grande forme de liberté , et se définir comme acteur de sa vie , en échappant au déterminisme pour se créer son identité .
Sans concession, au prix de grandes fractures nécessaires à son projet , Coleman rompra avec sa famille , pour effacer . Gommer .
La tache .
A plus de soixante-dix ans , après un parcours universitaire brillant , il sera rattrapé par son destin .
Maîtriser jusqu'au bout chaque page de sa vie , dans la quête de cette pureté originelle qui n'appartient qu'à la fable , en dehors de l'histoire de l'humanité , telle est la gageure sur laquelle s'appuya toute l'histoire paroxystique de cet homme qui voulut s'affranchir , s'élever , au prix de sa propre humanité : parce que le surhomme n'existe pas , parce que l'appartenance est inhérente à toute forme de vie , parce qu'il faut porter la crasse de l'histoire de l'humanité dans le partage , et que la vie ne se joue pas en solo , Coleman perdra .
La tache , en bonne ménagère que je suis , ou que je me veux , j'ai décidé de l'accepter, parce qu'au final elle est en dedans-de moi . Et que je n'y peux rien , c'est mon humanité .