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sur 2434 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
L'année 1998 restera dans les annales de la bêtise, le niveau zéro du ridicule.
Rappelez vous Bill et Monica, lui président des Etats-Unis elle stagiaire à la maison blanche. la fameuse tache sur la robe de Monica, le parjure qui faillit mettre fin au mandat présidentiel de Bill Clinton.
Le parcours de Coleman Silk, doyen de l'université d'Athéna, enseignant les lettres classiques, proche de la retraite et qui pour un malheureux mot sorti de son contexte va être accusé de racisme.
Devant la honte et le peu de soutien de ces collègues Coleman va démissionner et s'enfermer dans la solitude et l'affirmation que sa femme Iris morte au moment du scandale a été assassinée par la rumeur.
Sa liaison avec Faunia, plus jeune de trente ans va aggravé le scandale.
Le narrateur Nathan Zuckerman, écrivain et nouvel ami de Coleman va à sa demande écrire un livre sur l'affaire.
les nombreux flash-back nous font découvrir la jeunesse de Coleman ses passions mais aussi son secret, secret inavouable qui même après sa mort sera une bombe à retardement pour ses enfants.
Ce roman, dernier opus de la trilogie, véritable brulot de la société américaine où la rumeur la jalousie et la pudibonderie mènent la danse.
cet excellent roman prix Médicis étranger 2002 m'a fait découvrir un écrivain de grand talent mon premier roman de Philip Roth et pas le dernier.
Un cinq étoile n'est pas exagéré.
Je dédie cette critique à Onee qui doit attendre mon résumé pour pouvoir se lancer dans l'aventure Philip Roth
.
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Genèse d'une rencontre rothienne.

Mardi 9 juillet, je m'apprête à aller assister à la dernière de La force du destin à l'opéra Bastille lorsqu'un appel téléphonique vient tempérer mon exaltation :" Suite au résultat de vos analyses, ce serait bien qu'on vous hospitalise sans tarder afin de faire quelques investigations, nous avons un service de médecine interne très réactif. On vous attend avant 17.30 h..." Je tergiverse, "je préférerais demain." On insiste. Cette injonction inopportune, qu'en faire ? La force du destin verdiene n'allait-elle pas se heurter à la fragilité du mien ?
Même pas le temps pour ce premier séjour en résidence hospitalière d'interroger l'ami Krout (Pierre pour les initiés) un habitué (hélas) de ce genre de villégiature, pour m'informer du viatique à emporter. A l'arrache, je m'empare de brosse à dents, lunettes, portable (et son chargeur), dans la PAL, (pile à lire) le choix est vaste, le temps compté qui me fait me saisir de La tache de Philip Roth, auteur jamais lu.

D'examens abondants en analyses multiples, (on a les vacances estivales que l'on peut), je compris vite qu'en dépit d'un rythme hôtelier similaire, le room-service de la résidence ne saurait souffrir la comparaison avec celui de certains établissements cinq étoiles (nouvelle norme) expérimentés en d'autres temps et d'autres lieux. Personnel affable bien que fort sollicité (n'ai pas osé m'enquérir de l'emplacement de la piscine).

Finalement je fis fi du contexte, qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait "livresse" qui convoque l'imaginaire et ses ailleurs lointains :
Le tragique des destinées de quatre personnages, deux universitaires, une femme de ménage, un vétéran du Vietnam, en quête de leur auteur, le narrateur qui, dans une sorte de mise en abyme, témoin et investigateur, est partie prenante de ce drame à l'antique, de ces parcours imbriqués, désespérément pathétiques ; pléonasme ? tant le sont souvent nos exercices de vie.

Profonde réflexion sur l'identité, le libre-arbitre, jusqu'au mensonge, au reniement d'une communauté d'appartenance, une trahison familiale pour le choix d'une liberté revendiquée et assumée (nulle tension entre "mêmeté" et "ipséité"), jusqu'au malentendu d'une sorte d'injonction paradoxale figée dans une double contrainte, la tache impure.

Nègres blancs, portons-nous, aussi, virtuelle, cette tache ? est-elle une impureté ontologique , une espèce de péché originel que nul Messie ne saurait racheter ou pire, participe-t-elle de nos travestissements, de nos reniements, de nos trahisons, de nos arrangements ?

A la question quelle est "la couleur du mensonge" ? répond peut-être le bleu d'un tatouage délibérément choisi par le personnage principal :
"Dans ce tatouage bleu, il pouvait voir une image vraie, intégrale de lui-même. Sa biographie ineffaçable s'y lisait, de même que le prototype de l'ineffaçable, puisqu'un tatouage est l'emblème de ce qui ne part pas. On y lisait de même la colossale entreprise, les forces du monde extérieur, toute la chaîne de l'imprévu, les dangers de la révélation, ceux de la dissimulation, l'absurdité même de la vie se lisait dans ce stupide petit tatouage bleu."

Par égard pour le personnel soignant, c'est sans cynisme aucun que je plagie Tolstoï :
"En dépit des soins prodigués, il guérit".

Don Alvaro
"Tu me condamnes à vivre,
et tu m'abandonnes, pourtant !"

Giuseppe Verdi - La forza del destino



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The Human Stain
Traduction : Josée Kamoun

A mes yeux - mais ce n'est qu'un avis probablement orienté par ma passion toute proustienne pour les histoires aux mille et un méandres - un bon romancier se reconnaît au naturel avec lequel il parvient à imposer une histoire extrêmement complexe (et surtout plus complexe qu'elle ne veut le bien paraître) et truffée de personnages si possibles ambigus à un lecteur fasciné.
Et Philip Roth, qui me paraît entre parenthèses un chantre de la phrase à point-virgule, Philip Roth est un grand romancier qui n'a pas usurpé la réputation qui est la sienne.
"La Tache" - en anglais, "La tache, la souillure humaine" - débute sur un incident si banal que l'auteur, auquel son héros, Coleman Silk, vient le rapporter afin qu'il en rédige un ouvrage vengeur, n'est même pas enthousiasmé par cette histoire d'un doyen d'université américaine que l'utilisation d'un mot bien précis (mais doté de deux acceptions) pour désigner deux élèves de sa classe éternellement absentéistes a fait basculer sans autre sommation dans le camp des "racistes."
De ces deux étudiants, Silk ne savait rien : il ne les avait même jamais vus. du coup, un jour, il demande aux élèves présents quelque chose comme : "Quelqu'un sait à quoi ils ressemblent ou sont-ce des zombies ?"
Ah ! Malheur ! Voilà que les absentéistes sont Noirs (pardon ! de couleur !) et que le mot "spook", traduit par "zombi" dans notre langue, désigne en anglais :
1) tout d'abord un ectoplasme, un fantôme - songez au Spooky des "Casper"
2) et puis un Noir mais de manière péjorative.
Et évidemment, bien qu'il ait été le premier à embaucher un professeur noir à l'université d'Athena, il est clair que le doyen Silk ne peut avoir utilisé le terme que dans son sens second.
Eh ! oui ! Il n'y a pas qu'en France qu'on ne peut plus utiliser certains mots sans se voir traité de raciste et autres billevesées charmantes : aux USA aussi.
Silk a beau se défendre, en appeler à ses collègues (qui ne bougent pas), rien n'y fait : il finit par démissionner. Il perd aussi sa femme que la maladie ratrappe à ce moment-là. Bref, il perd tout. Sauf sa rage.
Le narrateur-auteur Nathan Zukermann ayant poliment mais fermement refusé d'écrire le livre vengeur que Silk entend titrer "Zombies", ce dernier s'y attèle. Et puis, un jour, il arrête tout. Au début, Zukermann pense que cela est dû au nouveau scandale que vient de provoquer l'ex-doyen de l'université d'Athena.
En effet, cet incorrigible anti-conformiste de 71 ans, aidé par le Viagra, prend pour maîtresse une femme de ménage de l'université qui s'affirme complètement illettrée, Faunia Farley, presque traquée en permanence par son ex-époux, un vétéran du Viêt-Nam complètement frappé.
Avec cet instinct propre à l'écrivain et, de façon générale, à l'artiste, Zukermann, que Silk a pris en amitié, finit par s'intéresser à l'affaire qu'il flaire plus compliquée qu'elle ne lui avait semblé à première vue : il se pose donc des questions, il cherche, il fouille et même s'il n'apprend le secret de l'ancien doyen qu'à l'enterrement de celui-ci, à la fin du roman, ce secret est d'emblée présenté en long et en large dès le chapitre 2, amenant le lecteur à reconsidérer sa vision du racisme - ou plutôt des racismes.
Mais dans ce livre envoûtant, il n'y a pas que cela que Roth nous contraint à remettre en question. Avec une habileté magistrale, il entremêle tous les fils de ses marionnettes par ailleurs si terriblement humaines de façon telle que tantôt elles nous font pitié, tantôt au contraire elles ne nous inspirent plus que du dégoût. Il n'est pas jusqu'au "dingue" de service, Les Farley, responsable de l'accident où Faunia et Coleman ont perdu la vie tous les deux, qui ne nous apparaisse, dans la scène finale, perdu dans la solitude gelée au milieu de laquelle il pêche, sa perceuse à ses côtés et assis sur un sot en plastique jaune retourné dont la description a quelque chose de grotesque, qui ne se dresse brusquement devant Zukermann-Roth - et donc devant nous, lecteurs - comme bien moins fou et pourtant beaucoup plus dangereux qu'il n'en avait donné jusqu'ici l'impression.
Ouvrez "La Tache", commencez à lire lentement, à haute voix si vous pouvez, ne tombez surtout pas dans le piège apparent de cette rivalité sournoise et typique du milieu universitaire qui conspire à éjecter le doyen Silk après avoir pressé celui-ci comme un citron - ce n'est qu'un leurre lancé par Roth pour jauger son lecteur - et continuez.
Oubliez les longueurs des paysages, si vous n'aimez pas. Lisez,
laissez-vous imprégner, laissez-vous envoûter, acceptez de regarder tous les personnages sous les différents prismes que vous tend obligeamment Philip Roth, indignez-vous contre ce "Silky Silk" qui, par ambition et "pour vivre libre", décide de renier sa propre mère dont il fut l'enfant préféré et qui n'a pourtant pas le courage de protéger ses enfants à lui du risque qui les guette et qui guettera leurs propres enfants dans les générations à venir, applaudissez aussi à sa rage de vivre, à son tempérament de "teigneux" irrésistiblement séduisant, jugez et ne jugez pas Fiauna, mère indigne ou pas, fermez un instant les yeux et rappelez-vous toutes les actualités sur les horreurs du Viêt-nam, "Voyage au bout de l'Enfer" de Cimino ou encore le gigantesque et inégalé "Apocalypse Now", absorbez toutes les souffrances, tous les excès, tous les mensonges, toutes les demi-vérités, toutes les erreurs des personnages de Roth ...
... et vivez "La Tache" qui prouve une fois de plus que, s'il a existé ou s'il existe encore aux USA des Malcom X, des Bush, des politicards irresponsables et des Juifs assez stupidement orthodoxes pour chanter sur une tombe non pas : "Un homme est mort aujourd'hui ..." mais bel et bien "Un Juif est mort", tentant ainsi de faire entrer dans l'Au-delà l'âme même du Ghetto (la scène est d'autant plus grinçante que, si le fils orthodoxe de Silk ignore la vérité, nous, nous la connaissons), leurs contraires absolus existent eux aussi.
Cinq ans après le 11 septembre 2001 et ses conséquences au Proche-Orient, ce qui a une fâcheuse tendance à nous le faire oublier à l'un ou l'autre moment, ça fait du bien de le savoir.
Merci, Philip Roth. ;o)
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Il est assez étrange que la personne qui accuse le doyen de la fac d'Athena de racisme, puis de sexisme, qui s'acharne à défendre les droits bafoués de plusieurs étudiantes, soit française. Philip Roth , en 2000, savait fort bien et le dit vers la fin de son livre « la Tache » que les mouvements des droits de l'homme, même s'ils ont mis du temps, sont tout de même nés aux Etats Unis. Et Delphine le reconnaît aussi elle-même, elle est petite joueuse devant les féministes américaines.

Cela ne l'empêche pas d'accuser de racisme, donc, Coleman Silk, le doyen aux qualités exceptionnelles, pour avoir qualifié de zombies deux étudiants. Manque de bol, ils sont noirs, ce qu'il ne pouvait savoir, puisqu'ils n'étaient jamais venus en cours.
Delphine Roux a brandi le drapeau racisme, sachant que personne n'allait dire c'est pas grave, ou prendre le parti de Coleman.
Qui démissionne.
Dont la femme , sous le choc, meurt subitement.
En tant que boxeur, KO.

Delphine Roux la française, qui s'est glorifiée toute sa vie d'être la meilleure, la plus sexy et la plus extrêmement intelligente, qui met bon ordre apparemment dans cette université qu'elle juge au dessous de ses capacités, qui prend sous son aile les défavorisées, qui abhorre les injustices, est en fait un parangon de puritanisme totalitaire. Une petite fille terrorisée qui veut s'intégrer, malgré son accent. Elle envoie une lettre anonyme à l'intéressé, pour ajouter à son accusation de racisme celle de l'exploitation abjecte d'une femme opprimée et illettrée. (Question de Coleman : est-ce une pratique française ? voir le Rouge et le Noir ? chez Balzac ? chez Stendhal ?)En cela, elle copie « les enfoirés à la vertu majuscule » que l'Amérique tout entière découvre en pataugeant durant l'été 1998 avec les ébats de Clinton.

Le spectre du terrorisme a remplacé celui du communisme, et est remplacé par le « spectre de la turlute », dit Roth, avec la soif d'accuser, de censurer et de punir, jusqu'à la nausée. Et Delphine qui veut surtout se sentir portée par l'air du temps, reproche à son supérieur, lui qui enseigne la littérature hellénique et latine avec splendeur, d'enseigner Hippolyte et Alceste, « qui dégradent l'image de la femme », au nom d'un prétendu humanisme. Aborder la tragédie grecque avec l'optique du new féminisme ne se ferait pas à l'ENS, rétorque-t-il, où personne ne prendrait ces balivernes au sérieux.

Le génie de Philip Roth ne réside pas seulement dans son acuité toujours actuelle , dans les descriptions détaillées ( la boxe pour Coleman, la traite des vaches pour le dernier amour de sa vie Faunia, les restaurants chinois, vus par Les Farley-« ces bridés, » les hélicos, les morts, le devoir de tuer au Vietnam - puis la pêche à travers la glace comme rite de purification)dans sa dénonciation d'un monde qu'il juge stupide, haïssable, exaspérant.
Il présente les personnages, puis revient, analyse, creuse encore, ré-analyse, revient sur le passé de chacun, et revient encore, jusqu'à nous donner une idée des caractères et de l'ambiance de l'époque. Et son passé.

Le passé ? page 114, j'ai cru avoir manqué d'attention. Coleman et sa famille noire, note innocemment l'auteur. Lui qui est accusé de racisme, Noir ? Aux Etats Unis, une seule goutte de sang noir ( one drop rule) suffit à les ranger d'un côté et à leur interdire certains restaurants, écoles, universités réservées aux seuls blancs, cela jusqu'en 1947 dans le New-jersey.
Coleman a choisi de mentir à tous et de se déclarer blanc.

Chef d'oeuvre absolu par sa prose lyrique, ses longues études de caractère, la présence au bout du compte de la solitude et de la mort, ses idées résolument non-conformistes, son analyse du puritanisme intolérant, au nom des grands combats pour l'égalité, le monde de l'Amérique entremêlant la difficulté de se créer un espace, la révolte compréhensible des ex du Vietnam, qui ont tué , comme Les Farley, avec une rage comparable à celle d'Achille, le rejet progressif des enfants de Coleman, et, sur fond de ségrégation à laquelle beaucoup de « Noirs »voulaient et devaient échapper, pour survivre, pour s'élever dans l'échelle sociale, comme Coleman, l'évolution des moeurs.
Deux ambitions, celle de Delphine ravagée dans un combat douteux, celle de Coleman pris à son propre piège et qui, miracle, vit l'émoi comparable à celui du héros de Mort à Venise, « l'aventure tardive des sentiments ».
Deux destins ratés, celui de Les Farley, aux prises avec ses démons retour du Vietnam, celui de Faunia, son ex-femme, femme de ménage qui a perdu 2 enfants.

Sur une île déserte ? Oui.
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Convoqué pour répondre à une accusation de racisme, le professeur et ancien doyen Coleman Silk, éminent spécialiste des auteurs de l'antiquité, se voit contraint de mettre un terme brutal à ses fonctions.
Etrange ironie du sort pour celui qui a toujours refusé de se laisser guider son destin par une société hostile et ségrégationniste.

Philip Roth décrit l'effritement inévitable d'un individu dont toute l'existence repose sur un mensonge.
Spécialiste de l'âme humaine, il interroge la condition des Noirs aux Etats-Unis, fouille la conscience morale d'une Amérique sinistrée et donne à cet impressionnant voyage au bout de la nuit une atmosphère d'impuissance, d'échec et de frustration.
La violence crue de cette histoire en fait à mon sens son roman le plus fascinant.
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La tache est à mon sens le livre de Philip Roth qui marquera le plus sa mémoire. Son synopsis est étonnant d'intelligence et d'originalité. Je l'avais lu avec plaisir lors de sa parution, en 2002. A la relecture, je le trouve foisonnant, plus complexe que dans mon souvenir, définitivement passionnant.

En première approche, le roman est l'histoire extraordinaire d'un Américain de fiction né en 1926. Au prix d'une incroyable mystification qu'il avait gardée secrète, Coleman Silk s'était construit un destin différent de celui qui lui avait été attribué à la naissance. Un destin choisi qui, selon toute vraisemblance, était meilleur. Comme le dira sa soeur à la fin du livre, « il n'a pas pu attendre les droits civiques pour jouir des siens, alors il a sauté une marche ».

Mais tous les destins sont tragiques. L'homme, à la fois coupable et innocent, n'échappe pas à la fatalité. Il est même parfois puni par où il a péché. A l'automne de sa vie, Coleman se retrouve accusé à tort de racisme dans un contexte de « politiquement correct » exacerbé. Ça le détruit.

Après sa transgression originelle, Coleman Silk avait réussi tout ce qu'il avait entrepris, parce qu'il continuait à transgresser, parce qu'il bousculait les codes. Doyen d'une université américaine en déclin, il l'avait redressée en réorganisant, en restructurant, en transformant – tel un dirigeant macronien ! Une réussite qu'il n'avait su mener sans une forme d'arrogance, suscitant du ressentiment chez ceux qui avaient perdu au change ou qui étaient restés fascinés par des actes qui les dépassaient. Il avait alors suffi pour eux de saisir l'opportunité d'un malentendu orchestré : l'utilisation d'un mot au sens double que, dès lors que certains sonnaient la charge, les autres feignaient d'interpréter comme les y incitait leur veulerie, leur intérêt ou leur jalousie.

Mortifié, enragé, révolté par la tache, la souillure, dont on l'a marqué injustement, Coleman transgresse de plus belle. Il noue une relation sexuelle avec une femme de ménage illettrée ayant la moitié de son âge. Imaginez les réactions dans son entourage, alors que l'Amérique de 1998 est en pleine affaire Clinton Lewinsky – une autre histoire de tache ! Philip Roth s'en donne à coeur joie… le roman prend fin tragiquement au moment où le Sénat refuse la destitution du président Clinton. Moments de réhabilitations !

La construction narrative est complexe. Comme souvent, Philip Roth met en scène son double, Nathan Zuckerman, un vieux romancier solitaire à son image. A la différence de Pastorale américaine, où il introduit l'histoire puis disparaît, Zuckerman joue un rôle actif dans la narration de la tache, en entremêlant dès le début ce que Coleman Silk lui dévoile lors de plusieurs rencontres amicales, et ce qu'il apprendra plus tard en enquêtant après sa mort, découvrant alors par hasard son secret. Bien sûr, le narrateur fait ensuite son travail de romancier et reconstitue à sa manière les pièces manquantes du puzzle.

Dans La tache, Philip Roth alterne les passages narratifs classiques et les digressions, où il fait place longuement – parfois trop ! – aux élucubrations et vociférations des personnages essentiels. Des tourmentés, des névrosés, des gens qui savent ou ne savent pas lire, mais dont les cerveaux sont malades !... Comme peut-être les nôtres !...

Philip Roth adapte son écriture à leur personnalité, n'hésitant pas à leur laisser la parole. A côté de Coleman Silk, il y a Faunia, sa maîtresse, femme de ménage de trente-quatre ans prétendument illettrée, une femme qui s'assume avec dignité dans un rôle de femme perdue, après avoir subi tous les malheurs et commis toutes les fautes imaginables. En face d'eux, Lester, l'ex-mari de Faunia, un ancien du Vietnam, revenu fou furieux au pays, un homme fruste resté haineux, violent et psychopathe malgré les années. Sans oublier la jeune et jolie directrice du département littérature de l'université, Delphine Roux, une française de grande famille, surdiplômée, écartelée entre ambition professionnelle et recherche d'un conjoint idéal, grotesque dans sa fascination pour Coleman, ce qui la conduit à chercher à le détruire.

En affichant, par l'intermédiaire de Zuckerman, sa sympathie et sa compassion pour le personnage de Coleman Silk, Philip Roth n'hésite pas à dévoiler sa vision critique d'une société américaine en quête d'une pureté introuvable. Un panorama d'une actualité particulièrement vibrante aux Etats-Unis comme dans la plupart de nos sociétés occidentales !

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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La tache, voici une histoire aux méandres magnifiques et insaisissables.
Il n'est pas facile d'en parler. Je vais essayer de mettre un peu d'ordre dans mes idées.
Ancien doyen de l'université d'Athéna dans le New Jersey, qui fut professeur de littérature grecque ancienne, Coleman Silk, pour un malheureux mot sorti de son contexte, va être odieusement accusé de racisme par deux élèves noirs qu'il n'avait jamais vus à son cours. Sa femme Iris, déjà hospitalisée, souffrante, décède peu après...
Coleman Silk a soixante-et-onze ans au moment des faits. Il est encore en pleine forme physique et mentale.
Devant la honte et le peu de soutien de ses collègues, Coleman Silk va démissionner et s'enfermer dans la solitude et l'affirmation que sa femme Iris morte au moment du scandale a été assassinée par la rumeur.
Plus tard, sa liaison avec Faunia, âgée de trente-quatre ans, femme de ménage apparemment illettrée, va aggraver le scandale.
Le narrateur, Nathan Zuckerman, écrivain voisin et nouvel ami de Coleman Silk va à sa demande écrire un livre sur l'affaire, tenter de réhabiliter la vérité. La tache est en quelque sorte la promesse faite à cet homme.
La tache est une tragédie humaine féroce.
Sans doute faut-il remettre le roman dans le contexte de l'époque.
La tache, est-ce cette fameuse tache laissée sur la robe de Monika Lewinsky, stagiaire, souvenir d'une petite gâterie entre celle-ci et Bill Clinton dans le salon ovale de la Maison Blanche et qui valut à ce dernier de frôler sa destitution en tant que Président des États-Unis ?
La tache, est-ce ce tatouage sur le bras de Coleman Silk, souvenir de l'US Navy ? Ou bien la tache n'est-ce pas aussi le symbole de l'impensable, de l'inacceptable, de l'inavouable, dans une Amérique encore puritaine et qui voudrait démontrer qu'elle est le contraire de l'image qu'elle cherche à porter ?
La Tache marque une très forte et flamboyante charge contre son époque.
L'écriture de Philip Roth est plus que merveilleuse, elle est brillante, incisive, elle emporte tout sur son passage, j'ai senti très vite une force qui pouvait dévaster les digues.
La tache raconte comment un être fort trébuche, tombe, victime du « politiquement correct », oui ce fameux et savant mélange de puritanisme, de bienséance et d'hypocrisie.
Il y a tout d'abord le personnage insaisissable de Coleman Silk que l'on découvre autant à travers le drame qu'il vient de vivre que dans son parcours de vie atypique, jusqu'au jour où il prend une décision extrême, brisant définitivement les liens l'unissant à sa famille, décidant ainsi de bâtir sa vie d'adulte sur un mensonge.
Je découvre un être qui a menti, qui a passé sa vie à dissimuler ses origines.
Le thème principal de ce roman pourrait être l'usurpation d'identité...
Ma difficulté à parler de ce roman, alors qu'il m'a ébloui, tient sans doute à ce que l'histoire touche à la complexité et à l'imperfection de l'être humain.
Je me suis demandé si Philip Roth aimait à se situer à travers son alter ego, Nathan Zuckerman ou bien tout simplement dans le personnage ambivalent de Coleman Silk.
Ici, Philip Roth décrit avec acuité la décadence d'une société qui s'est toujours voulue exemplaire aux yeux du monde.
Les personnages du roman sont beaux, fouillés, vertigineux, vont là où on ne les attend pas, y compris s'agissant des personnages secondaires.
Le roman est un prétexte pour disséquer les maux de l'Amérique contemporaine. C'est l'Amérique du silence, du secret, des complots et de l'hypocrisie.
Philip Roth jette ici une tache indélébile sur la bonne conscience de la "bonne" Amérique.
C'est une histoire complexe et douloureuse qui nous est dépeinte ici, à travers le miroir d'une société en crise. Viennent aussi les séquelles psychologiques de la guerre du Vietnam et toujours l'omniprésence du racisme.
Le personnage de Delphine Roux est sans doute le plus ambigu, chef de département, c'est elle qui lance cette cabale contre Coleman Silk. Son sentiment de féministe exacerbée aiderait à comprendre sa démarche, mais son argument devient pauvre et dessert sa cause lorsqu'il s'agit de voir un homme incarner le mal à lui tout seul.
Ce livre montre et dénonce aussi comment un homme peut être lynché dans la jungle de l'opinion publique.
C'est un livre que j'ai déplié avec joie, ouvrant des tiroirs, chaque personnages amène sa propre histoire et c'est jubilatoire.
Bien qu'il soit souvent acerbe, le roman ne verse jamais dans l'outrance et dépeint des personnages complexes, terriblement humains.
Le personnage de Faunia Farley m'a touché plus que d'autres, sa vie tragique, elle, l'amante de Coleman Silk, qui ne cumule pas moins les petits boulots que les drames en tout genre et qui semble poursuivie par la fatalité.
Écouter son histoire est un sentiment de malaise qui nous étreint. Ressentir ce malaise, c'est entendre la véritable souffrance des petites gens que Philip Roth nous décrit ici, ces laissés pour compte dont la grande Amérique ne sait pas toujours se préoccuper.
La vie tragique de Faunia en est l'exemple le plus fort.
Pour tout cela, j'ai aimé ce roman et je remercie mon amie Anna, alias AnnaCan, pour m'avoir attiré vers cette découverte inespérée. La tache est ma première incursion dans l'univers de Philip Roth, elle ne sera pas la dernière.

« Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux. » Guy Debord
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États-Unis de 1998, époque où les Américains se passionnaient pour les détails des ébats de Clinton et la stagiaire Monica.

Dans une petite ville du New Jersey, un écrivain est voisin d'un professeur juif qui a démissionné de son poste à l'université pour une parole mal interprétée par des étudiants noirs. Ce vieil universitaire est enragé d'avoir été blâmé et demande à l'écrivain d'écrire son histoire.

Un simple point de départ, qui ne s'avéra pas si simple, car le passé de cet homme cache des secrets. On retournera dans son adolescence où il a fait de la boxe en plus de faire de brillantes études. On assistera à son inclusion dans l'armée, puis ses amours et son mariage, les relations avec ses enfants et la mort de son épouse.

Puis, dans le présent, le vieil homme délaissera son ami écrivain lorsqu'il se heurtera à nouveau à la réprobation sociale en tombant amoureux d'une jeune femme malmenée par la vie, dont le mari violent a été traumatisé par le Vietnam. Une nouvelle tache sur son dossier…

Un livre pas si facile à lire, car il s'agit d'une écriture dense, avec de longues phrases et une rareté de chapitres. Mais un livre très riche par la profondeur de ses émotions ainsi que par le nombre et la variété de thèmes traités : racisme, communauté juive, guerre du Vietnam, enfance abusée, relations amoureuses, rivalités universitaires, etc.

Un roman qui mérite bien ses cinq étoiles…
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J'ai beaucoup aimé l'histoire pas du tout ordinaire de Coleman Silk, l'universitaire déchu, très bien racontée par Philip Roth au sommet de son art. Il nous fait 5 actes d'un drame américain dans un milieu intellectuel, à une époque pas si lointaine que ça , sous la présidence Clinton dont les frasques servent de toile de fond à ce roman social.

Coleman Silk illustre le désir de s'affranchir d'un modèle social communautariste qui cantonne chacun dans son ghetto. Il est l'individu qui se moque des conventions, s'affranchit de son groupe et fait scandale au soir de sa vie.

On suit Nathan Zuckerman, l'écrivain, le double de fiction de Philip Roth, à la recherche de la vérité comme un policier qui mène une enquête sous le vernis des apparences . Il réussit à mener un suspens jusqu'à la fin du roman.

Certes Coleman Silk est un personnage intéressant et énigmatique dans ses transgressions, mais tous les autres sont comme des miroirs semblables et différents du héros, dans leurs choix et ruptures décisives, leur quête de liberté au prix d'une nouvelle servitude. La difficulté d'être l'architecte de sa propre vie, c'est je crois , le sujet essentiel de ce roman, qui nous livre aussi des réflexions générales assez pessimistes sur la vie, le vieillissement, ou la mort.

Il nous dit aussi qu'à cette époque là, l'Amérique comptait un grand nombre de vétérans de la guerre du Vietnam, des hommes brisés , depuis longtemps et pour longtemps encore.

Il nous dit qu'en marge d'un monde universitaire très conventionnel, fermé et égoïste, la population de ceux qui vident les corbeilles à papier des bureaux est obligée d'avoir au moins trois boulots pour vivre.

Comme d'habitude, Philip Roth nous raconte bien plus qu'une anecdote. Au-delà des potins du campus, c'est de condition humaine qu'il s'agit, car cette histoire questionne notre destin d'être humain. Magistral !

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Un livre qui restera dans ma mémoire grâce à une longue plongée dans la culture américaine, mais que j'ai trouvé un peu ennuyeux à cause de multiples digressions. Les personnages de la tache sont aussi parfois difficiles à appréhender.
L'action se déroule en 1998, à l'époque où l'affaire Monica Levinski défraie la chronique.
L'université d'Athena est une université de qualité sans atteindre la réputation des universités de l'Ivy League (Harvard, Princeton ou encore Columbia). Elle se trouve dans les Berkshire (ouest du Massachusetts).
Pour avoir traité deux étudiants noirs de zombies alors qu'il ne les avait jamais vus, leur professeur juif, Coleman Silk, est accusé de racisme (en anglais, le mot zombie est aussi un mot injurieux à destination des noirs). Plutôt que se défendre, il donne sa démission. du jour au lendemain, il n'est plus rien, sa femme en meurt de chagrin. Il décide d'écrire un livre sur cette expérience, le livre s'appellerait Zombies.
Le secret de Coleman, totalement inattendu, donne envie d'en savoir plus et puis de nombreuses digressions arrivent, un peu ennuyeuses. La fin du livre semble poussive.
Il reste une ahurissante plongée dans la culture américaine.

Lien : https://dequoilire.com/la-ta..
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Thèmes : auteur américain , littérature américaine , états-unisCréer un quiz sur ce livre

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