Forêt
Dans la forêt après la pluie
les arbres brusquement
secouent leurs idées noires
en flaques flasques
sur nos épaules
Parvenus à la lisière
les premières semailles d’automne
brillent vert vif
et le ciel essaie
un arc-en-ciel tout neuf
qui va à merveille
à son gris clair
Offrandes
Aux quatre points cardinaux du mot maintenant
À l’endroit à l’envers au cœur du mot ici
À la respiration d’ailes de papillon du mot peut-être
À l’entre soupir-et-sourire du mot autrefois
À l’hésitation sur la pointe des pieds du mot demain
À la clarté tranquille de ton nom à voix basse
Allô allô
Allô allô
c’est un poème
L’appel doit venir de très loin
la sonnerie est différente
C’est un poème qui appelle
mais j’entends mal ce qu’il me dit
Nous ne sommes pas seuls sur la ligne
la voix du poème est lointaine
Raccrochez je vous rappelle
donnez-moi votre numéro
Je vous appelle d’une cabine
dit le poème qui s’éloigne
Allô allô ne coupez pas
Mais je n’entends plus le poème
Il y a d’autres voix à sa place
qui parlent traites et factures
Il y a d’autres voix sur la ligne
On parle russe et allemand
Puis la voix d’une opératrice
Parlez Vous avez Bangkok en ligne
C’est une erreur Raccrochez
Ce n’est pas moi qui demande
On m’appelle de plus loin
Ne me coupez pas du poème
Le poème voulait me dire
quelque chose que j’ignorais
Il l’avait sur le bout des lèvres
Je l’avais tout près de l’oreille
Mais ce qu’a dû dire le poème
s’est perdu dans le brouhaha
Il y a quelque part un poème
qui demandait à me parler
J’ignore ce qu’il voulait me dire
et ne saurai plus rien de lui
Une fauvette
Avec sa chanson perle à perle
lancée tout droit comme un jet d’eau
la fauvette soutient le ciel
empêche l’orage de tomber
Si tu t’arrêtes de chanter
fauvette grisette
j’ai peur qu’il tonne et qu’il pleuve
J'aimerais imaginer .... si avant toi je prends la route
(il est probable et juste que cela soit ainsi)
j'aimerais pouvoir imaginer .... qu'il s'agit en effet
d'entreprendre un voyage .... d'abord sur la barque d'Egypte
le long des eaux privées de ciel
puis dans la contrée à l'envers du miroir
Et si les peseurs d'âme et les gardiens du seuil
m'avaient laissé passer
j'arriverais le premier dans une maison semblable
à celle où nous sommes
Je préparerais tout ... en attendant que tu arrives
Le lit serait fait ... les provisions rangées
le feu préparé ... juste une allumette
On frappe un soir à la porte ... J'ouvre ... C'est toi
"Est-ce que le temps t'a semblé long ?"
Mais déjà ... en posant la question
tu ne comprends plus le sens de tes paroles
car te voici pareille à celui que je suis devenu
ne sachant plus ce que veut dire
le mot temps
C'EST TOI
Extrait 2
Le cri d'une hirondelle cri que j'attrape au vol
(l'oiseau est déjà loin) rire plutôt qu'un cri
léger bonheur qui ricoche sur l'eau des rires de l'été
c'est toi douceur du sourire au creux des chagrins
Le silence soudain La nuit Déjà la neige
Le silence à pas de chat se pose sur le silence
et quand nous ouvrirons les volets le blanc sera très blanc
c'est toi qui ne dis rien et me parles sans mots
Et je te réponds Oui
C'EST TOI
Extrait 1
Dans les intervalles de silence du vent
les paroles pressées de l'eau qui dévale
sa fraîcheur le long du sentier de montagne
c'est toi fraîcheur pensive de ma vie
L'été brûlant Le soleil feu perpendiculaire à l'herbe
À bouche fermée le bourdonnement grégorien
des abeilles célébrant l'office quotidien du miel
c'est toi basse continue de ma durée
…
Celui qui marche avant, le soleil dans les yeux
son ombre le suit. Il ne voit pas son ombre
Il fait halte, elle s’arrête. Il marche, elle repart
Il ne sait pas qu’il est suivi. Il ne sait pas qu’il a ce double
Les mots quand ils ont du soleil plein les yeux
les mots de colère et les mots de tendresse
paroles de fureur contre le mal à mille têtes
paroles de feu pour approuver le oui qui fait tourner la terre
les mots ont leur ombre, leur envers dérobé au parleur
L’ombre ne dément pas la parole qu’elle ombre
mais la re-source et la racine et la soutient
car pareille à l’Homme qui a perdu son ombre
la parole sans ombre s’évapore au soleil
OISEAU CHANTEUR
Déguisé en feuilles dans le haut cerisier
un loriot improvise une cavatine d'été
Je guette son envol après l'accord final
rire de lumière jaune vif aigu
mais le rusé s'esquive sans que j'aie pu le voir
et ne nous laisse que le souvenir de
sa chanson déjà évaporé dans le soleil
Celui qui, au tard de la nuit dangereuse, laisse la clef sur la porte afin que celui qui s'est attardé trouve la maison ouverte.
Celui qui triche aux cartes et s'applique à perdre à la perfection afin que le petit garçon croie qu'il a gagné seul et rie aux éclats.