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EAN : 978B003WTVFTG
Les livres Merveilleux (01/01/1944)
3.58/5   6 notes
Résumé :
Un parisien couvert de dettes quitte Paris pour le Soudan (actuel Mali) et s'engage dans l'administration coloniale. Il y découvre les amours noires et Nouk, une jeune Peule qui l'ensorcelle et le ruinera, le déconsiderera et s'enfuira avec un autre, le laissant face à sa déchéance.
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Initialement publié en 1928, mais maintes fois réimprimé, « La Maîtresse Noire » est le tout premier roman de Louis-Charles Royer, qui durant près de 40 ans, signa près d'une soixantaine de livres tournant autour d'une vision assez souvent puritaine et perverse de l'érotisme. Majoritairement publié aux éditions Rabelais, petit éditeur lyonnais qui vécut chichement grâce aux romans gaulois et libertins de Marcel E. Grancher, Louis-Charles Royer consacra le plus sereinement du monde la deuxième moitié de sa vie à une oeuvre littéraire qui reflétait les rapports tourmentés de la France du XXème siècle avec la sexualité, souvent présentée comme une sorte d'opium, de drogue addictive à laquelle l'homme s'abandonne jusqu'à en devenir une loque ou un criminel. Cette morale profondément réactionnaire est la marque peu glorieuse d'un auteur qui n'assumait pas ses propres obsessions et en rendait d'ailleurs les femmes responsables, lesquelles dans ses romans, sont assez souvent des créatures à la fois dominantes et inconséquentes, usant de leurs charmes comme d'un pouvoir.
Si ses derniers romans d'après-guerre se passent souvent dans des campagnes ou des villages de province, l'immense majorité des premières oeuvres de Louis-Charles Royer (années 30-40) se déroulent dans différentes colonies françaises, majoritairement africaines ou indochinoises, avec comme prétexte que la femme autochtone y est forcément lascive et abandonnée, facile à cueillir et toujours prête au coït. On reconnaît bien là une fantasmatique délirante et apeurée digne d'un écrivain catholique fasciné par l'impudeur jusqu'à sombrer dans l'hallucination.
Tout cela fait de Louis-Charles Royer un auteur profondément raciste, qui prône et décrit les amours interraciales comme une forme de bestialité primaire à laquelle il est à la fois doux et dangereux de s'abandonner, comme s'il s'agissait d'un alcool fort ou d'une drogue létale. Il faut souvent dépasser dans son oeuvre cette vision aujourd'hui intolérable, même si l'on sent confusément que l'écrivain est moins dans la haine que dans une peur primaire, timorée et défensive.
« La Maîtresse Noire » se déroule majoritairement au Soudan français, une région africaine qui couvrait l'actuel Mali, le Burkina Faso (alors appelé Haute-Volta) et la partie nord du Niger. le héros de notre histoire, un bourgeois désargenté nommé Robert de Couessan, joueur aux courses et grandement endetté, incapable d'entretenir sa vieille mère et sa fiancée, se voit proposer, grâce à un ami haut placé dans le Ministère des Colonies, une mission de trois ans au Soudan français pour éponger ses dettes - et s'empêcher par le même coup d'en faire de nouvelles. Car travailler aux colonies, pour un fonctionnaire à un poste administratif, c'est en ce temps-là une mission difficile. Même dans des grandes villes comme Bamako ou Ouagadougou, les distractions sont minces : il y a un seul cabaret réservé aux colons dans chaque ville, les journées sous le soleil torride sont épuisantes, et les soirées sont bien mornes. Dès son arrivée, Robert se voit conseillé par différents collègues de prendre une "mousso". Ce terme désigne une jeune femme que l'on achète et qui sert de compagne et d'esclave sexuelle. le principe en est d'autant plus tacitement admis, qu'il était déjà en usage avant l'arrivée des colons. Dès 15 ans, une jeune fille pouvait être épousée et engrossée par un homme de son village et néanmoins condamnée à une vie de labeur, car la tradition tribale veut que les femmes travaillent davantage que les hommes, en plus de leurs fonctions de mère et d'épouse-servante. Devenir la "mousso" d'un colon était donc, pour une jeune fille locale, un destin enviable, car le colon blanc lui faisait tenir un rôle d'épouse embourgeoisée plein d'égards, le sexe n'étant pas perçu par elle comme un travail, et l'homme occidental traitait souvent sa jeune compagne comme une petite princesse, en la couvrant de bijoux et de falbalas.
Robert de Couessan, dans un premier temps, n'est guère attiré par cette perspective, il trouve les femmes noires hideuses, mais la "mousso" d'un collègue nommé à Ouagadougou, appartenant à l'ethnie Peule, le fait changer radicalement d'avis.
Les femmes peules ont d'ailleurs été un grand fantasme de la littérature coloniale, et probablement aussi des colons eux-mêmes. de par leur éducation musulmane et leurs métissages récurrents avec des peuples issus du Maghreb, la population Peule vivait de manière moins tribale que les autres ethnies africaines, les femmes avaient souvent des traits plus occidentaux à nos yeux, et s'habillaient de tenues traditionnelles colorées, féminines et gracieuses. Elles représentèrent pour le peuple français la femme africaine dans toute sa sensualité et sa beauté exotique.
Robert de Couessan se laisse volontiers prendre au charme de la conjointe de son collègue, mais ne peut censément pas lui voler sa "mousso". Heureusement, cette "mousso" a une petite soeur, Nouk, qui est encore plus jolie et désirable qu'elle. Seulement, Nouk est vierge, et il faut payer très cher le bref usfruit de sa virginité. Fou de désir, Robert sacrifie toutes ces économies pour acquérir cette jeune femme, et incapable de se retenir, la dévierge directement sur le sol derrière la maison où s'est effectuée la transaction.
C'est le début pour Robert de Couessan d'une passion dévorante et désastreuse, qui le ronge exactement comme sa passion pour le jeu ou pour les courses. Louis-Charles Royer ne nous cache pas d'ailleurs que son personnage est un pauvre type, immature, joueur, hableur, profiteur, et la grande liberté des moeurs en Afrique est en réalité une pente savonneuse pour un homme totalement dominé par ses sensations. Nouk ne tarde point à comprendre de quelle aberrante passion elle est l'objet, et se comporte de plus en plus en épouse possessive, exigeant des vêtements, des bijoux, des voyages, qui vont bien au-delà de ce que peut offrir le salaire pourtant généreux d'un fonctionnaire colonial. Tombant alors dans l'illégalité, surpris par son supérieur hiérarchique, Robert est bientôt durement sanctionné, et muté dans un petit village perdu dans la brousse, où il n'a rien d'autre à faire qu'à surveiller un interminable chantier. Nouk, qui l'a suivie, est bien obligé de se faire à ce changement de mode de vie, et à l'alcoolisme chronique où sombre Robert de Couessan. Une équipe de cinéma, venue tourner un documentaire colonial, passe quelques jours à filmer le chantier, et surtout Nouk, qui a tapé dans l'oeil du réalisateur. Celui-ci, venu tout droit de Paris, lui fait miroiter une carrière artistique certaine. Profitant du sommeil éthylique du colon, l'équipe repart vers Bamako, puis vers la France, emmenant Nouk avec elle.
Ayant désormais perdu le seul être qui lui était cher, Robert de Couessan se laisse couler et devient un clochard ivrogne auquel même ses administrés ne prêtent plus attention. Sa situation finit, au bout d'une année, par se savoir à Paris, et l'ami haut placé qui l'avait envoyé en Afrique, le fait revenir de force en France. Mal lui en prend : arraché à la torpeur de son chagrin et ramené dans la capitale, Robert n'a plus qu'une idée fixe : retrouver Nouk et se venger d'elle. Bien que Paris soit vaste, il n'a aucun mal à la dénicher, car celle-ci est devenue une célèbre danseuse de cabaret. Alors qu'elle prend un verre à la terrasse d'un café, en compagnie de ses amants et artistes, Robert de Couessan surgit d'un taxi, se jette sur elle et lui enfonce son poignard dans la gorge...
« La Maîtresse Noire » est donc, en dépit de l'intensité de son érotisme, un roman qui est plutôt celui de la déchéance d'un homme, au travers duquel Louis-Charles Royer semble vouloir alerter sur les dangers de la vie coloniale pour des occidentaux n'ayant pas pleinement la maîtrise de leurs sens. Homme faible, pulsionnel et facilement excité par le risque, sans jamais toutefois en mesurer les conséquences, Robert de Couessan est, selon Royer, l'antithèse du genre d'employés qu'il faut envoyer aux colonies, surtout dans des pays où le mode de vie n'inclut pas les garde-fous moraux et rationnalistes de la société occidentale. Sur ce plan-là, « La Maîtresse Noire » est loin de représenter une élégie à la colonisation. Bien au contraire, l'écrivain suppose que l'Occident a plus à perdre en voulant civiliser les "sauvages" qu'en les laissant mener leur vie selon leurs propres valeurs millénaires. D'ailleurs, si sa description du Soudan français est trop vague pour témoigner d'une expérience personnelle, Louis-Charles Royer semblait fort bien renseigné sur le quotidien de l'administration coloniale, le caractère morne du service demandé et l'aspect déprimant d'une structure administrative greffée à la va-vite sur une terre sauvage, où elle était tolérée par les indigènes avec une certaine indifférence. Nombre d'exemples sont donnés, dans ce roman, de hauts-fonctionnaires ou d'administrateurs s'étant effondrés psychologiquement, ayant abandonné leur poste ou n'étant plus capables de l'exercer, certains ayant renoncé en toute conscience de cause à la vie occidentale pour s'installer dans une case avec une indigène qu'ils ont épousée.
Cette vision pessimiste de l'avenir colonial est alors relativement commune dans la littérature de la fin des années 20, mais peu de romans alimentent un aussi grand désespoir que « La Maîtresse Noire », qui se veut le reflet dans un miroir déformant du naufrage annoncé de l'empire colonial français. Rien de positif ou même d'onirique ne ressort de ce récit, qui n'aborde le sexe et la passion amoureuse que comme un dérèglement des sens dont l'expérience peut être intense et jouissive, mais dont la finalité est sans issue.
Pour toutes ces raisons, il me paraît difficile de parler de « La Maîtresse Noire » comme d'un roman érotique. Si l'érotisme y est omniprésent, il est aussi glaçant que la vision d'une fumerie d'opium. Dès le début, on sent confusément que « La Maîtresse Noire » va être la longue descente aux enfers d'un homme que plus rien ne peut sauver. Malgré sa bonne volonté, malgré une fiancée qui attendra vainement son retour, malgré la franche camaraderie et la solidarité de ses collègues, Robert de Couessan sombrera dans cette passion fatale pour Nouk, et la mort sera au bout du chemin pour chacun d'eux.
Conteur habile, Louis-Charles Royer sait brosser des personnages qui sont crédibles, cohérents et nullement manichéens. Antihéros par excellence, Robert de Couessan est un individu lâche et immature, dont la nature réelle nous est tout de suite connue, et dont l'auteur ne nous cache pas qu'elle est la clef de sa déchéance. La petite Nouk, personnage joyeux, souriant, mais gardant toujours une part de mystère, attachée à Robert mais apparemment sans sentiment amoureux, se révèle aussi très crédible en sauvageonne astucieuse propre à faire basculer les sens. Les nombreux personnages satellites participent tous de ce climat délétère, à la fois jouisseur et nihiliste, qui semble modelé par l'Afrique elle-même.
Indéniablement, pour un premier roman, c'est un petit chef d'oeuvre de maîtrise narrative et d'intrigue atmosphérique. On ne peut qu'y regretter les très nombreuses remarques racistes, souvent émanant des personnages, mais parfois aussi de l'écrivain narrateur lui-même, qui rendent aujourd'hui absolument odieuse la lecture de ce petit roman plutôt réussi en dehors de cela. D'autant plus que la pérennité de ce livre auprès d'un certain lectorat d'extrême droite, lequel y voit - à tort - un manifeste colonial, repose hélas sur ce ton assez libre dans l'injure raciale qui plombe plus qu'il ne sert la démarche immersive de l'écrivain dans un drame humain volontairement dépourvu de toute moralité - y compris d'un type de moralité suprémaciste.
« La Maîtresse Noire » est pourtant d'abord un portrait ouvertement sordide et désapprobateur de la réalité coloniale, non pas dans une optique justicière ou moraliste, mais dans un fatalisme nihiliste qui laisse entendre que nos ambitions civilisatrices étaient perdues d'avance sous le poids des immuables traditions et de la mentalité âpre du plus ancien continent de la planète...
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