Stephanie Roza est de gauche. Pour elle, la gauche, c'est le camp du bien, et toute prise de distance, de personnes ou de nations, par rapport à cette orientation, qui est celle du progrès des civilisations, constitue une régression. La question est donc de savoir pourquoi cette "régression" vers les idées libérales, vers le capitalisme..., est devenue si souvent la norme, et pas seulement dans notre pays.
Même pour ceux qui ne partagent pas cette vision, sa réponse à cette interrogation est passionnante. La gauche s'écroule parce qu'elle a trahi l'esprit et les valeurs issus des lumières, qui lui donnaient son souffle.
Bien sûr, Madame Roza est une brillante universitaire, et cela se sent dans bien des chapitres de son ouvrage. Mais ceux qui ne se laisseront pas rebuter par ce que cela implique de complexité, sans doute pas toujours nécessaire, dans le style, et dans la présentation de la critique de certains penseurs contemporains, trouveront des analyses de grand intérêt ; ils liront par exemple un rappel de ce qu'étaient les arguments mis en avant par les acteurs de la gauche de l'époque de sa gloire, qu'il s'agisse de grandes figures de la pensée, de l'action politique, ou de meneurs des luttes anticolonialistes des peuples des pays colonisés.
Et l'on voit à l'évidence que tous ces grands personnages avaient totalement épousé les valeurs des lumières, qui se perdent à présent dans cet antirationalisme, cet antiuniversalisme qui semblent baigner nos jeunes élites dites "de gauche". Madame Roza cite, à titre d'exemple, des déclarations très parlantes d'Hô Chi Minh, qui, loin de considérer l'universalisme comme un piège du suprémacisme blanc, comme le font les soi-disant décoloniaux d'aujourd'hui, retournait au contraire la philosophie des droits de l'homme contre ceux qui en trahissaient, selon lui, les principes, en asservissant d'autres peuples.
Un ouvrage d'une grande utilité donc, pour qui aura la patience de surmonter les aridités d'analyses parfois (pas toujours) un peu trop universitaires.