Tout d'abord, merci encore une fois à Babelio pour cette opération Masse critique et aux éditions Buchet Chastel pour m'avoir envoyé ce roman, court (152 pages) mais intense.
Laurent Sagalovitsch nous livre ici une histoire librement inspirée de celle qui sera surnommée le "sous-marin", Stella Goldschlag, juive berlinoise contrainte à la collaboration avec les autorités nazies afin de sauver sa vie et celles de ses proches.
Ici pas de Stella, mais Vera,
Vera Kaplan. Jeune et belle juive née en 1922, séduisante, charmeuse, libre, légère... Jusqu'à Hitler. Jusqu'à l'augmentation de la pression nazie sur les populations juives, jusqu'à la déportation de masse, jusqu'à ce que le danger se rapproche de sa vie berlinoise.
C'est à travers une première lettre rédigée par un notaire, une seconde lettre rédigée par Vera à l'attention de sa fille et un journal tenu sur un cahier durant ces années sombres et parvenu à un petit fils qu'elle n'aura jamais connu que nous découvrons son histoire, sa personnalité, son envie de vivre surpassant l'horreur.
La thématique de la seconde guerre mondiale est abordée par une pléthore de livres, romans, témoignages, analyses historiques, documentaires, films, etc.
Le "sujet dans le sujet" dont traite
Vera Kaplan, les chasseurs de juifs, est plus rarement traité.
Délicat, sensible, ce volet de l'histoire de juifs dénonçant d'autres juifs au service de l'Allemagne nazie, cette collaboration "impensable" est difficile à aborder, indicible.
Pourtant, c'est le thème choisi par
Laurent Sagalovitsch, thème qu'il a réussi à aborder dans un livre sans parti pris.
Les actes de
Vera Kaplan ne sont pas passés sous silence, ne sont pas excusés.
Vera Kaplan a dénoncé, a livré à la mort des dizaines, des centaines de juifs parmi lesquels figuraient des amis, des connaissances, des camarades de classe qui dans la solitude et la dureté de leur clandestinité avaient eu le malheur de lui octroyer leur confiance.
Vera Kaplan dans son cahier n'occulte rien de cela, elle ne s'en excuse pas, elle ne s'en absout pas.
Les faits sont ceux-là, mais là où l'auteur interpelle son lecteur c'est en nous posant indirectement la question: "qui sommes-nous pour juger?", "comment pouvons-nous savoir si à cette époque, dans ces circonstances, nous aurions agi différemment de Vera?".
Aurions-nous fait partie de ces héros prêts à risquer leur vie pour faire sauter un chemin de fer?
Aurions-nous fait partie de ceux que Vera juge résignés, allant "docilement" vers leur propre perte?
Aurions-nous tout fait pour sauver nos proches, y compris commettre l'inimaginable?
Ces questions sont le fil conducteur de ce roman au travers des paroles du procureur "qui donc peut se lever et dire avec la certitude la plus implacable, en toute conscience, moi je sais qu'entre une vie déchue et une mort louable, j'aurais opté pour la mort, qui?" et de celles de son petit fils "elle n'a pas agi comme elle l'entendait, mais comme l'époque réclamait qu'elle agisse. Née à une autre époque, à une tout autre époque, son existence se serait écoulée dans la banalité d'une vie normale - mais elle est née à Berlin en 1922".
On ferme ce roman le souffle un peu court, l'esprit embrouillé, en souhaitant nous rassurer et nous dire que nous aurions agi différemment mais sans en avoir la certitude. Ce roman ne nous dit pas quoi penser, il ne pardonne pas. Il donne une clef, celle de l'histoire d'une femme emplie d'une hargne de vivre, emportée dans un contexte tragique.
"Dès le départ, elle n'avait aucune chance pour que son histoire se termine bien".
Dur, brut, intelligent, ce roman nous secoue. Roman court, mais intense et presque violent.
[Au final, il reste difficile de dire "j'ai aimé" ce roman. le sujet est d'une gravité telle qu'on ne peut entrer dans ce type de commentaire. Mais c'est un livre qui atteint son but.]