Lydie Salvayre est une femme en colère. 2017, Trump est élu, le Pen n'en finit pas de grimper, Weinstein est sur toutes les lèvres et cette image est franchement dégueulasse. J'imagine l'auteure tentant d'exorciser son dégoût, vidant sur son clavier tout son ressentiment, elle, dont la trajectoire a nourri le rejet viscéral de toutes les formes d'exclusion… D'où ce brûlot…
2023, la menace Trump est de plus en plus forte et, dans notre douce Rance, plus rien désormais ne semble capable d'endiguer le cauchemar électoral en préparation, l'opinion se déchire au sujet d'une pathétique vedette déchue.
Lydie Salvayre avait vu juste ?
Comme
Lydie Salvayre, je suis en colère… Je vis dans un village qui ressemble beaucoup à celui du livre, proche d'une ville qui ne s'appelle pas Barogne mais Lodève. Dans ce village, il n'y a même plus de Café des sports. Les électeurs bas du front et babas du Front (enfin du Ressemblement National), par
contre, se ramassent à la pelle… Je ne les ai pas reconnus dans «
Tout homme est une nuit ». Enfin, pas tout à fait ! Je ne leur trouve aucune excuse, qu'on se comprenne bien… La bêtise n'est pas une fatalité, ça se soigne même si parfois le traitement est lourd. L'analogie, dans le roman, entre le crabe et le cancer social, est plutôt bien sentie… Que dois-je faire quand je croise ces personnes qui se figurent que tout est la faute des « étrangers » ? Tenter de les instruire, fort de mon passé d'instituteur plutôt apprécié ? Les ignorer ? Les engueuler, un peu à la manière de Lydie Salvaire ?
«
Tout homme est une nuit » est un coup de gueule, bien écrit, bien construit… Enfin, juste avant la chute… Comme si Lydie Salvaire, après avoir renversé la table, s'efforçait, maladroitement, de redresser quelques chaises. Tant qu'à faire, il valait mieux claquer la porte.
Oui, nos campagnes sont devenues massivement électrices de l'extrême droite. S'il n'y avait qu'elles ! Mais n'évoquons pas ces quartiers riches qui eux aussi s'extrémisent, parlons de nos campagnes ! Je n'ai pas lu dans ce livre, ces femmes qui elles aussi engraissent la bête immonde, je n'ai pas assez lu ceux qui résistent, porteurs de valeurs qui font encore espérer en une humanité meilleure. Je n'ai pas lu les services publics qui ferment, les vieux qui s'en vont, le chômage, l'essence 20% plus chère qu'ailleurs, les chaînes d'infos qui entretiennent la peur, la virulence à l'en
contre des chasseurs, des agriculteurs. La description de ces beaufs machistes, alcooliques et racistes a pris trop d'importance et a radicalisé le propos. Dès lors, on adhère ou on rejette ! Lydie Salvaire sait parfaitement que le sentiment de déclassement est le principal vecteur du succès de cette idéologie, qui paradoxalement, est défendue par une grande bourgeoise. Dans son château, elle considère sans doute les ruraux comme un ramassis de pèquenauds. Ce constat d'un monde rural déprécié n'exonère en rien la responsabilité individuelle de ces citoyens qui votent sans mesurer ce que l'extrême-droite peut représenter comme danger : l'aggravation de la situation économique et surtout la fin définitive du vivre ensemble. En tombant ainsi dans une forme de manichéisme, le livre perd en efficacité.
Je partage l'angoisse de Lydie Salvaire mais je n'ai pas reconnu dans ce livre « ma » campagne. En stratégie militaire comme en littérature l'art de la guerre réside peut-être à éviter le choc frontal mais à favoriser une approche indirecte.