Une lecture , comme un coup de poing au plexus... L'auteure pointe, fourrage nos lâchetés, nos peurs, et ce racisme aussi banal que terrifiant !
"Je m'étais fait depuis longtemps à cette idée, à ce truisme devrais-je dire, que l'étranger était l'ennemi naturel de toute agrégation humaine, de la même manière que les fils étaient en tout temps et tout lieu les ennemis naturels de leur père (p. 122)"
Un homme encore jeune, Anas, professeur de Français, d'origine espagnole, atteint d'un cancer, voit sa vie se déliter dans la panique de la maladie, une vie de couple qui s'en trouve affectée... Il se retrouve dans une phase critique et dépréciative de son existence. Il décide donc de partir au calme dans un joli village de Provence...Les villageois se montrent très vite méfiants à outrance envers cet homme qui vient d'ailleurs, au physique trop typé, de surplus peu loquace, et qui par un "malheur" supplémentaire, ne travaille pas...est un improductif !!
Au café du coin, le fameux bistrot des Sports, tenu par Marcelin, grande
gueule aux jugements et préjugés expéditifs ... les langues vont bon train, et
pas dans l'esprit le plus bienveillant, pour le nouveau venu !!?
Alternent les voix off des habitués du bistrot et en italique, le ressenti de "notre exilé contraint", qui tente, sans le moindre succès, de s'adapter,... de se fondre dans ce joli petit village, si "tranquille" au demeurant !
Très beau titre qui exprime très justement le contenu de ce roman, dérangeant, mais salutaire, en ces temps de crise, précarité...où la peur de "l'étranger"...pointe à nouveau son nez , à de trop fréquents propos !!
"Il aurait pu au moins se présenter, dit Marcelin qui trônait, magistral, derrière son comptoir. Tous les nouveaux ont cette politesse.
On sait rien de lui, on sait même pas son nom, on sait pas d'où il vient, dit Dédé.
Il boit pas d'alcool, c'est un indice, dit Emile.
Ca m'a pas échappé, dit Etienne.
Il a parlé à personne, pourquoi ? dit Gérard
(...)
j'étais sans doute trop jeune pour avoir cette expérience des grands voyageurs qui savent immédiatement ce qu'il convient de dire pour se faire accepter des natifs, mais je ne désespérais pas d'apprendre et j'en avais l'âpre, la tenace, l'impérieuse volonté.
(p. 10-11)"
Une lecture secouante... pleine de causticité, riche de dialogues des plus
évocateurs... qui nous réveille , nous met en garde sur toutes les idées convenues, réductrices, qui nous font exclure, mettre à l'écart... l'Autre, qui peut déranger sur des critères, parfois des plus fallacieux ! Comme je l'écrivais précédemment, un texte des plus salutaires... qui nous fustige dans nos conforts et paresse de pensée, de nos quotidiens !!
"On s'avisait de surcroît que la colère avait cette vertu ô combien précieuse de rapprocher les hommes et de les réunir autant sinon mieux que la joie.
S'indigner, s'enflammer et foutre une raclée plus ou moins meurtrière à des indésirables étaient des actes qui se pratiquaient mieux, plus allègrement et plus férocement , lorsqu'on était en meute, toute l'Histoire l'enseignait. "(p. 218)
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Tout homme est une nuit est un roman de Lydie Salvayre qui parle de deux maladies voraces : le cancer et la bêtise humaine, deux maladies dont le principe est de proliférer de manière sournoise et excessive, proliférer et se nourrir dans un entre-soi malsain.
Anas est jeune, c'est justement lui qui est atteint d'un cancer. Il quitte tout pour se soigner, sa compagne, son emploi d'enseignant en lettres, décide de partir à la campagne, dans un village du sud, passer quelques mois sous le soleil chaud de Provence, chercher la tranquillité pour se soigner, il y a une ville tout près de là pour les soins réguliers.
C'est un roman qui est écrit à deux voix.
Il y a la voix d'Anas et celle des autres. Deux voix discordantes, on le sent dès le début. Chaque chapitre s'alterne ainsi, sur ce rythme binaire, lancinant, nous entraîne inexorablement vers une fin qu'on redoute dès les premières pages.
Anas est venu chercher la quiétude, ici il va rencontrer la haine.
L'autre voix, c'est celle du Café des Sports, celle de Marcelin, Dédé, Gérard, Émile, Étienne et les autres. Rien que les prénoms, rien que le nom du bar, on pourrait craindre la caricature... il n'en est rien. Ici la bêtise ordinaire s'installe autour du pastis et se nourrit de tout ce qui se passe, de tout ce qui passe et ne ressemble pas à ce qui est ici.
L'étranger c'est forcément l'autre déjà. Anas d'origine espagnole, ayant le teint très mat, est alors parfait pour endosser le rôle.
Certes, c'est peut-être une caricature, le trait est peut-être grossier, mais il n'est jamais loin de la réalité. Car la réalité au Café des Sports ou sur les réseaux sociaux, c'est un peu d'ailleurs le même discours, la même caisse de résonance...
Cela commence toujours par quelques phrases anodines jetées par-ci par-là au bord d'un comptoir, qui se justifient par le fameux « bon sens ». "On n'est pas racistes, mais toute de même...". N'avez-vous jamais entendu cette phrase ? Ce sont des brèves de comptoir, mais celles-là ne me font pas rire.
On en est presque complices lorsqu'on les entend et qu'on les laisse filer comme cela, tels des oiseaux de mauvais augures, planer au-dessus de notre ciel, pourquoi ne savons-nous pas y répondre...
Au fond, n'est-ce pas ici la banalité du mal, dénoncée par Hannah Arendt, « une façon de décrire les routines par lesquelles ceux qui recourent à la violence, comme ceux qui en sont témoins, mettent en suspens leurs convictions morales et renoncent à l'examen de leur engagement pratique personnel » ?
J'ai apprécié cette façon qu'a Lydie Salvayre de faire monter en puissance la narration, de manière graduelle, pas à pas, marche par marche, décortiquer ce mal ordinaire jusqu'à l'os. Chaque phrase amène à une autre, chaque chapitre monte d'un cran dans la tension palpable. On frémit pour Anas à chaque page, car l'empathie nous invite comme seule manière de venir l'aider, lui tendre la main, entre crainte et espérance...
Tout homme est une nuit. La nuit est parfois terrifiante, l'homme aussi, celui qui lui ressemble.
Il n'est pas forcément facile de lire ce récit, nos propres lâchetés, nos peurs apparaissent au fil des pages... On voudrait entrer dans ce bar, balayer d'un revers de bras tous ces verres de pastis, agripper par le col de la chemise Marcelin, Dédé, Gérard, Émile, Étienne et les autres, et tout cela d'une seule main, leur demander : mais de quoi avez-vous peur ?!
On peut aujourd'hui guérir du cancer, pourquoi ne pourrait-on pas guérir de la bêtise humaine ?
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Dans ce petit village du sud de la France, tout le monde se connaît et sait tout de tout le monde, en y ajoutant les ragots pour pimenter la vie. En particulier, les habitués du café des sports qui ont le regard mauvais s'ils croisent « un pas tout à fait pareil ». Prends garde à toi le nouveau, toi qui arrives dans ce village pensant y trouver une parfaite quiétude ! On va te scruter, t'épier, fouiller dans ta vie, te tailler une veste en un rien de temps.
Voici les propos de l'autrice en 2017 qui l'ont conduite à écrire ce livre :
« Est arrivée la campagne présidentielle. Pas un jour ne passait sans que j'entende une bassesse, une invective, un propos xénophobe ou d'exclusion. Je me suis dit que je ne pouvais pas continuer à faire mes petits romans, comme si de rien n'était. Je ne pouvais pas et ne voulais pas me dérober, même si je tiens en suspicion la littérature qui surfe sur les événements présents pour aller à l'émotion et faire du réalisme à bon compte ».
Roman percutant sur le racisme et le manque de tolérance.
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Ce qui m'a plu : la structure du roman, les styles qui s'opposent, la montée en puissance de l'intrigue, le dénouement.
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