Lorsqu'un cancer mortifère s'attaque à l'organisme et nous atteint dans notre chair, l'unique soupape qu'il nous reste pour vivre pleinement les derniers instants reste l'esprit défiant la maladie.
Certaines âmes choisissent l'isolement , tel est le choix du solitaire de ce roman. Loin des siens mais si près d'inconnus.
Ainsi se dévoile l'extraordinaire complexité des hommes, s'affiche la perplexité profonde des uns et des autres, se révèle, enfin, l'escroquerie d'une société minée par les idées reçues rassemblées dans ce village faisant office de "convalescence".
Sujet qui aurait pu être fort passionnant lorsqu'on s'intéresse aux tréfonds de l'humain mais qui le devient nettement moins lorsque l'auteure s'enferme elle même dans des clichés qu'elle ne cesse de dénoncer.
Et pour cause,
Lydie Salvayre, avec "
Tout homme est une nuit" ne néglige aucun sujet brûlant. le racisme à tendance facho d'un village dépeuplé adulant le front national, des poivrots de comptoirs machistes incriminant leur femmes de tous les maux, des discours au tout venant flirtant avec l'ignorance et la bêtise des basses couches sociales, le mépris des différences et de la réussite, la jalousie sifflante (...) autant de griefs envers la société et cet étranger malade, fils d'émigré espagnol, lettré et professeur de français à l'ascension sociale bien marquée.
Est-ce à dire que tous les provinciaux sont des illettrés et que tous les maux viennent d'une "basse couche ?
Je me dis que j'extrapole, bien que tout du long se croisent dialogues infertiles et incultes pour les villageois VS pensées denses et prodigues pour cet étranger.
Mais ne préjugeons de rien...
Lydie Salvayre le fait suffisamment pour nous.
J'en suis alors à la page 107, je décide de continuer, un peu nauséeuse face à cette entrée en matière si grossière et caricaturale, mais curieuse de lire si l'auteure va continuer dans la trivialité ou rehausser le niveau.
Et ca continue sur la même ligne, voire empire.
Pauvre peuple français
contre tout, abruti qu'il est !
Je cite :
"la conversation au Café des Sports roulait encore et encore sur la question du nouvel arrivé autrement passionnante que les considérations horticoles sur l'essor inquiétant du Bio, autrement cabrée, autrement râleuse et renâcleuse et rancuneuse et autour de laquelle tous s'accordaient, à quelques nuances près, s'accordaient
contre, faut-il le préciser, ce
contre là,
contre un intrus,
contre un système,
contre le ciel,
contre la presse,
contre le rap,
contre le temps,
contre la mort,
contre le mal,
contre les dernières lois votées,
contre ceux là qui les contraient,
contre,
contre,
contre,
contre,
contre, ce
contre-la incarnant aux yeux de tous les habitués( Jacques y compris, en quoi ce dernier était bien français) la grandeur de l'âme française (et ses ornières, ne pouvait s'empêcher de penser le même Jacques, qui avait souvent l'esprit partagé) "
Oui, en effet, cette pauvre France raciste également incapable de subvenir aux besoins de tous , cette france qui bousille des destinées, fabrique des vies foutues !
" Ce pays pourtant si civilisé, si chrétien et démocratique, en paix et riche, pourvu de cent chaînes de télévision, ce pays défenseur des droits de l'homme..."
Face à tant de violence dans le propos et après l'avoir entendue dire lors d'une interview sur son essai de successologie que " les romans et les personnages fictifs l'ennuyaient" , une question s'invite :
Lydie Salvayre a-t-elle des comptes à régler étant elle-même fille d'émigrés espagnols ?
Est-elle réellement habitée par ce ressentiment envers le" français moyen "?
j'avoue alors mon irritation et ma déception devant tant de silences dissimulés dans un ouvrage qui se veut examinateur d'une société ( on sent des réminiscences de la psychiatre).
Parce que pour rester honnête, il faudrait aussi écrire, par exemple, sur le demandeur d'asile entrant au Ritz et la gueule des privilégiés s'étouffant dans leur homard, le dernier Zemmour posé sur la table, concernant les commentaires on les imagine, les propriétaires
contre l'idée de louer leurs biens à des personnes au nom bien trop exotique, les recruteurs
contre l'embauche des banlieusards, le monde de la culture machiste secouée par Me Too , sans oublier le manque de diversité dans l'édition et les plus hautes sphères, de l'invisibilité des plus démunis etc etc etc ... et tout ça, ce n'est pas du fait du troquet du coin... non, c'est bien plus sournois.
Mais l'hypocrisie n'etouffe pas Salvayre. Taper sur la populasse c'est bien moins risqué et bien plus accommodant , ca déculpabilise les bourgeois de salons ou de plateaux qui n'ont plus qu'à se lustrer le nombril après une bonne branlette intellectuelle dans un entre soi bien délimité !
Ellle est là, la malhonnêteté !
En conclusion, jolie démonstration littéraire qui atteste que l'ascension sociale ne rend pas plus éclairé et n'empêche en rien ni les opinions tranchées tant décriées ni l'énumération de poncifs plus que douteux qui ne font qu'accroître une fracture déjà bien installée.
Je pourrais parler, enfin, histoire d'emettre une note positive, de l'écriture de
Lydie Salvayre, cependant je ne le fais pas n'ayant pas réussi à faire l'impasse sur certains passages laissant à penser que l'auteure, par à-coup, voue un culte provisoire au langage soutenu qui s'invite dans le récit de manière aléatoire le rendant, de fait, impromptu et tout aussi artificiel que le contenu de ce roman.
En définitive, vous l'aurez compris, ce livre fielleux et acerbe aura rendu ma lecture malaisante en plus de m'avoir navrée du début à la fin.
En résumé, un livre affligeant de malhonnêteté intellectuelle.