Voilà encore un roman qui a bercé nos enfances (
Bibliothèque Verte ou Rouge et Or, vous vous souvenez ?). Il avait atterri chez nous je ne sais comment (nous étions trois garçons plutôt branchés Michel ou Bob Morane) mais ce livre m'avait intrigué. Pas passionné, mais simplement intrigué, par son histoire un peu hors du temps, et cette atmosphère de mystère campagnard, sur des chemins embrumés, avec des sentiments qui ne le sont pas moins. C'est une bluette, en fait, mais racontée avec beaucoup de sensibilité, et un souci du détail, tant du point de vue psychologique, que du point de vue narratif, qui fait de l'autrice la première de nos écrivaines « rustiques », ouvrant la voie à notre grande Colette le siècle suivant.
Au départ
George Sand voit un jour un dessin d'Holbein (un peintre de la Renaissance) qui représentait un paysan courbé sur sa charrue et menacé par la faux de la Mort.
« C'est bien là la satire douloureuse, la peinture vraie de la société qu'Holbein avait sous les yeux. Crime et malheur, voilà ce qui le frappait ; mais nous, artistes d'un autre siècle, que peindrons-nous ? Chercherons-nous dans la pensée de la mort la rémunération de l'humanité présente ? L'invoquerons-nous comme le châtiment de l'injustice et le dédommagement de la souffrance ? Non, nous n'avons plus affaire à la mort, mais à la vie ».
C'est donc un hymne à la vie que va écrire
George Sand : Germain, un veuf de 28 ans, est le père du petit Pierre. Sur les conseils de son beau-père, et dans l'intérêt du petit, il décide de se marier avec une veuve d'un village voisin. En chemin, accompagné de Marie, une jeune fille de seize ans, et de Pierre, il s'égare au bord de la « Mare au diable », un endroit réputé pour son étrangeté … diabolique. Germain, tombé amoureux de Marie, se déclare mais elle le refuse, invoquant la différence d'âge. Germain va voir la veuve, et comprend vite que celle-ci, qui a déjà plusieurs prétendants, ne ferait pas une bonne mère pour son fils, revient près de Marie. Mais celle-ci a disparu. Germain arrive à temps pour la sauver des avances d'un fermier. Tous trois reviennent à la ferme où, devinez-quoi, ils vont fonder une vraie famille.
Une histoire simple, simpliste, même, on pourrait appeler ce court roman un conte paysan. C'est ce que fera plus tard
Maupassant, en beaucoup plus réaliste, et souvent tragique. Mais ici nous sommes encore dans un romantisme diffus, où les bons sentiments tiennent toute la place, mais où la dimension sociale n'est pas oubliée :
George Sand réhabilite le paysan : il n'est pas ce pouilleux, analphabète et proche des animaux, que l'imagination publique (citadine) a représenté. Il a une réelle sensibilité, et même une réelle culture.
Le romantisme s'exprime aussi dans la description de la nature, si proche des sentiments, et une impression de fantastique autour de cette mare (qui existe vraiment, et qui a joué un rôle dans l'enfance de la petite Aurore Dupin –
George Sand).
Je me souviens, qu'à la première lecture, j'avais été frappé par la différence d'âge (12 ans) alors que je ne l'avais pas été par celle entre Michel Strogoff et Nadia (14 ans). C'est bien plus tard, à la relecture des deux
romans que cet aspect des choses me revint et me fit rire in petto (je pratique couramment le rire italien)
Un joli roman, donc, à lire avec «
La Petite Fadette » (mon préféré) et «
François le Champi » pour connaître et apprécier la veine rustique de
George Sand. Mais surtout ne pas en rester là. Et lire les
romans « romantiques » («
Indiana – 1832 », «
Lélia – 1833 », «
Mauprat – 1837 ») mais surtout son chef d'oeuvre («
Consuelo – 1842 », suivi de « La Comtesse de Rudolstadt – 1843 ») et son autobiographie («
Histoire de ma vie - 1855 »).