2084, fin du monde de
Boualem Sansal raconte l'avenir d'un nouveau monde, qui a jailli des cendres du monde pour soumettre les masses dans un fanatisme religieux près de ce que nombre de pays connaissent aujourd'hui avec l'État Islamique. Ce pays est « né avec l'idée absurde que tout ce qui existait avant l'avènement du Gkabul était faux, pernicieux et devait être détruit ». Comme vous le savez, j'évite généralement les citations, mais celle-ci m'a remise en tête des images que j'aurai aimé ne jamais voir, de merveilleuses constructions antiques réduites en miette pour la volonté de religieux qui n'ont très probablement jamais lu ces textes qu'ils prônent...
Après nous avoir apporté toutes les informations sur cet univers dans lequel les futurs personnages seront introduits, le prisme narratif se resserre sur Ati, un jeune homme qui a été absent deux longues années pour Tuberculose, reclus dans un sanatorium loin de la ville. Durant ce temps il a vu, entendu, compris des choses et une étincelle est née en lui pour ne plus pouvoir s'éteindre par la suite. C'est à travers ses yeux, son quotidien et ses problèmes que nous apprendrons les mensonges et la manipulation des foules. La foule encore une fois, tout simplement car l'homme n'est plus un mais masse, l'individu se doit collectivité.
La plume de
Boualem Sansal est fleurie, poétique, mais beaucoup trop foisonnante, passant parfois du coq à l'âne avant de revenir sur des choses déjà répétée cent fois, les marqueurs temporels sont parfois complexes à voir, les déroulements presque filmiques de la dernière partie peuvent fatiguer le lecteur voire même le perdre complètement. Les premières pages, le premier chapitre a été complexe, j'ai eu du mal à accrocher, la contextualisation peut-être un peu trop écrasante. Il y a quelques lourdeurs et redondances mais il y a un petit rien qui compense et ravit : une atmosphère. Lourde, prenante, étouffante. On voit les horreurs sans pour autant avoir à subir leur lecture, on projette, on creuse, on questionne.
Rien de mieux pour garder les moutons qu'une seule et unique langue ? L'Abilang est un savant mélange dont la fabrication est très simple, prendre Abi, Yölah ou le Gkabul pour décrire autre chose. Deux syllabes uniquement. Vous imaginez être privés de « sempiternel », « pénitence », « philosophie », etc. et de se contenter de « manger, prier et dormir » ? Parler une autre langue est impossible. Pour un État Totalitaire, c'est compréhensible, ne vous êtes-vous jamais demandé de quoi parler les touristes dans le métro ? N'avez-vous pas surpris des regards interrogateurs lorsque vous en êtes un vous-même ? Souvenez-vous du Novlangue de Orwell. 1984 est pris en modèle bien souvent, et les références y sont tellement nombreuses que je n'ai qu'une seule envie, pouvoir le relire.
Il y a dans ces quelques 274 pages de nombreux non-dits. Finalement, je n'ai pas l'impression que l'on sache véritablement comment le tout s'est déroulé, ce qu'il s'est passé avant la date fatidique de 2084. le tout est comme suspendu et des questions s'amassent au fil des pages, laissant le lecteur méditer sur le sujet plutôt qu'en le renseignant. Les réponses obtenues sont celles qui taraudent Ati, et non pas celui qui lit son périple. Il n'y a pas de fin véritable, plutôt de multiples possibilités interprétables de manière différentes.
Ati est un personnage intéressant : grain de sable dans le rouage ou marionnette ? On peut parfois se poser la question. J'aime beaucoup le personnage de Koa également. Toz représente la survie de ce qui m'est le plus cher donc bien entendu, je le porte également dans mon coeur. Et il y a des personnages à foison. Des noms, encore des noms, d'autres noms, des hommes par centaine. Et nous arrivons donc à un autre sujet. Il n'y a pas de femme, enfin si, une représentation de seins ou de postérieur, un burniqab intégral les cachant au regard, une mère, une sorcière, une enfant vendue au mariage après ses premières règles... La femme n'est pas un personnage, c'est un élément de décor.
Pour conclure... malgré de nombreux défauts apparents, et des éléments qui m'ont déplus, j'ai été véritablement séduite par cette réadaptation de 1984 et à sa volonté de dénonciation de systèmes en place de nos jours (bien que son avertissement clame haut et fort que c'est entièrement de la fiction). Une belle découverte.
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