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sur 1327 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Le 11 septembre 2001 le monde découvrait avec effroi un barbarisme d'un genre nouveau : l'islamisme radical.
Quatorze ans plus tard, les pays civilisés assistent impuissants à la propagation d'une nébuleuse extrémiste se réclamant d'un dieu dont elle galvaude chaque jour les préceptes. Son fanatisme et son pouvoir de nuisance sont tels que personne ne se risque aujourd'hui à prédire sa fin prochaine.

Depuis deux décennies, l'écrivain algérien Boualem Sansal dénonce avec constance l'omniprésence religieuse qui insidieusement imprègne les esprits d'une intolérance que l'on croyait d'un autre âge. Déjà en 1999, “Le serment des barbares” montrait combien le cancer intégriste altérait la beauté de son pays.

Le roman dystopique “2084-La fin du monde”, publié en cette rentrée littéraire, est dans la continuité de ce combat mené sans relâche contre l'obscurantisme. Ce titre orwellien retranscrit toute la malice et l'abnégation d'un auteur atypique.
Dans un style chatoyant, Boualem Sansal se garde pourtant de tout blasphème. Le monde qu'il décrit pourrait être le fruit d'une extrapolation, dans un futur indéfini, de la sinistre organisation État islamique dont les exactions dépassent aujourd'hui l'entendement.

Plongé au coeur de l'immense Abistan, un empire théocratique sans frontières né probablement en l'an 2084, le lecteur suit les tribulations d'un petit fonctionnaire de la capitale Qodsabad qui, contrairement à l'énorme majorité de ses semblables, ose encore penser hors les oeillères d'un pouvoir omnipotent et sanguinaire.
Plusieurs lectures s'avéreraient nécessaires pour comprendre dans le détail la complexité des rouages de cette dictature se réclamant d'un dieu cruel du nom de Yölah et de son prophète Abi.

Malgré quelques passages manquant de clarté, “2084-La fin du monde” pourrait bien faire date dans l'oeuvre de Boualem Sansal. Ce roman particulièrement effrayant sur le fond n'est toutefois pas le meilleur vecteur pour découvrir cet auteur courageux.

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Christine, je veux te remercier de m'avoir permis de découvrir ce livre. Souviens-toi : quand je t'ai dit que je travaillais à un roman dont le titre pourrait être 2084, tu m'as répondu que celui-ci avait déjà été utilisé. Quelques clics sur mon smartphone plus tard, je trouvai ce 2084-La fin du monde de Boualem Sansal, que je m'empressai de commander à ma libraire préférée.
C'est ainsi que j'ai découvert l'Abistan, son dieu Yölah et son fondateur Abi, son histoire faite de guerres de religion toujours victorieuses contre le diable Balis et ses inféodés et ayant officiellement conduit à la disparition de tous les opposants. J'y ai rencontré Ati qui, guéri d'une grave maladie, quitte le sanatorium aux confins du pays pour rentrer chez lui, dans la tentaculaire capitale Qodsabad. Un voyage qui durera une année, lui fera rencontrer l'archéologue Nas, de nombreux pèlerins et marchants, et ... beaucoup de questions ! de retour chez lui, ATI et son ami Koa qui partage ses interrogations décident de retrouver Nas pour confirmer que la découverte récente des ruines d'un village est bien de nature à remettre en cause l'histoire officielle du pays...

C'est à un voyage en Absurdie que nous convie l'auteur. 2084, c'est la fin du "monde ancien", le nôtre, et le début d'un "nouveau monde", un monde dont l'histoire ne remonte pas au delà de cette année, un monde façonné par la dictature et le fanatisme religieux, où toute trace de progrès a quasi disparu, où la vérité est temporaire et l'histoire récrite aussi souvent que nécessaire, où la population est tenue dans l'ignorance la plus totale, où la langue a été simplifiée à l'extrême pour éliminer tous les concepts dérangeants pour la caste dirigeante... En ce sens, il y a bien une filiation entre le 1984 de George Orwell et ce 2084 : la haute technologie qui permet d'asservir le peuple dans le premier est remplacée par l'ignorance, la croyance en un être suprême et en son messager et la pauvreté dans le second.
Dans ce monde-là, Ati et Koa n'auraient jamais du se poser les questions qui taraudent leur esprit ; cette idée même est répréhensible ! Pourtant, faisant preuve d'ingéniosité pour échapper aux multiples contrôles, ils prendront la route pour se rapprocher des lieux de pouvoir et trouver, pensent-ils, auprès de l'archéologue Nas, sinon des réponses, au moins la confirmation de la pertinence de leurs questions.
Boualem Sansal met à profit ce récit, où l'absurde et le burlesque se côtoient en permanence, pour explorer les diverses facettes de l'âme humaine placée face à la violence dictatoriale et à l'intolérance religieuse. Il y a ceux, les plus nombreux, qui obéissent servilement en évitant de réfléchir, ceux qui espèrent quelque privilège en participant à la surveillance et à la dénonciation, ceux qui sont proches du pouvoir et sont prêts à tout pour conserver leur situation, même à comploter pour grimper quelques marches de plus dans les hiérarchies, et puis il y a ceux, peu nombreux, qui essaient de comprendre et dont on ne sait s'ils seront in fine écrasés.
Et bien sûr, on ne peut éviter de se poser la question : et si certains fanatismes religieux d'aujourd'hui prenaient demain l'ascendant sur nos sociétés ?
Je sais, Christine, tu vas me demander pourquoi je n'ai mis à ce livre qu'une note de 4 sur 5. Je ne sais pas si Boualem Sansal l'a fait délibérément, mais il oppose à la pauvreté culturelle de l'Abistan la grande richesse de son écriture. Mais il en fait peut-être un peu trop, et le roman devient difficile d'accès, la lecture manque de fluidité, et c'est vraiment dommage...

Pour conclure, je voudrais partager avec toi deux extraits du livre, qui me paraissent tout à fait représentatifs :

"On ne disait pas par là qu'ils étaient têtus comme des pierres, on se voulait respectueux, on donnait seulement à entendre que les pierres étaient plu raisonnables qu'eux."

"La dictature n'a nul besoin d'apprendre, elle sait naturellement tout ce qu'elle doit savoir et n'a guère besoin de motif pour sévir, elle frappe au hasard, c'est là qu'est sa force, qui maximise la terreur qu'elle inspire et le respect qu'elle recueille. C'est toujours après coup que les dictateurs instruisent leurs procès, quand le condamné par avance avoue son crime et se montre reconnaissant envers son exécuteur."

Cette chronique est dédiée à Christie Z., qui se reconnaîtra
Lien : http://michelgiraud.fr/2020/..
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Boualem Sansal est un écrivain et intellectuel algérien éclairé, qui ne craint pas d'afficher haut et fort ses convictions humanistes et laïques. Son dernier livre, 2084 - La fin du monde, se présente comme un conte philosophique pessimiste.

Il reprend, plus de 60 ans après, les thèmes prophétiques de 1984, le fameux roman d'anticipation de George Orwell, que j'ai lu il y a bien longtemps et dont des éléments marquants me sont restés en mémoire : Big Brother ; le novlangue, langue de bois simpliste imposée à tous pour éviter la moindre critique subversive ; le télécran, outil de propagande et de vidéo-surveillance installé dans chaque foyer. A l'époque, début de la guerre froide, l'ouvrage dessinait le stade ultime d'un pays évoluant sous idéologie totalitaire hitlérienne ou stalinienne, modèle aujourd'hui réduit à la seule Corée du Nord, qui reste loin de disposer des moyens technologiques imaginés par Orwell.

Le roman de Boualem Sansal prend place en Abistan, un empire théocratique qui aurait éliminé tous ses ennemis. La religion unique et omnipotente n'a même pas de nom : l'homme du commun ne peut pas imaginer qu'il pourrait ou aurait pu y avoir d'autres religions, elles ont toutes été éradiquées depuis très longtemps. La foi, enseignée dans des "Mockbas", est professée par le précepte "Il n'y a de dieu que Yölah et Abi est son Délégué"... Toute similitude ne saurait être que fortuite !... L'intégralité de la connaissance est écrite dans le Gkabul, le livre sacré, en abilang, la langue officielle dont la grammaire et le vocabulaire très limités ont pour vocation d'être ânonnés dans des formules toutes faites, toute velléité de s'exprimer et même de penser différemment étant considérée comme un acte blasphématoire passible de condamnation à une mort dans la souffrance. Les nombreuses exécutions collectives, auxquelles il est obligatoire d'assister, sont d'ailleurs les seules distractions offertes au peuple. L'Appareil et la Juste Fraternité veillent au grain...

Dans ce monde fort sympathique, un homme commence à douter et à réfléchir, sans que cela se sache trop ; il finit par découvrir quelque secrets sur les civilisations antérieures à 2084 et disparues – ou peut-être pas disparues ! –, sur les fondements du régime et sur les motivations des puissants.

Le livre est magnifiquement écrit : vocabulaire foisonnant, syntaxe à la fois précise et flamboyante, coloration de fable orientaliste, humour affleurant. La première partie du livre est savoureuse de cocasserie. En revanche, la fin du roman m'a déçu ; j'ai eu le sentiment que l'histoire ne menait nulle part. Peut-être est-ce juste le message de l'auteur : l'Abistan, un pays sans passé, sans futur, sans ailleurs… la Mort !

Après les monstrueux événements survenus à Paris le 13 novembre (pendant que je lisais 2084) et revendiqués par un ridicule et répugnant communiqué que l'on dirait rédigé en abilang, il est salutaire de découvrir les images absurdes et macabres de l'Abistan, préfiguration du califat auquel certains voudraient nous soumettre...

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Une belle écriture, mais un récit qui n'aura pas réussi totalement à m'immerger dans cette théocratie futuriste qu'est l'Abistan, prospective d' un monde né de l'usage paroxystique de la religion et du livre comme ressorts principaux de la domination des peuples. Il m'aura manqué quelques rebondissements d'une histoire assez linéaire au demeurant et plus de réalisme pour me convaincre que l'homme survivrait à plusieurs conflits nucléaires globaux. Certes, le propos de Boualem Sansal dans 2804 la fin du monde n'est pas de décrire une société post apocalyptique, plutôt de pousser à l'extrême la caricature du radicalisme religieux et de démonter les mécanismes qui mènent inévitablement les fanatiques à l'élimination de tout ce qui dévie d'un prétendu message divin.
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(A)BIGAYE VOUS OBSERVE !

2084... C'est «une date fondamentale pour le pays même si nul ne savait à quoi elle correspondait» lit-on. Ainsi en est-il en Abistan, le pays d'Abi, le représentant - dire : son délégué - de Yölah sur la terre.
A force d'oubli et de soumission, d'obéissance et de foi en une seule et unique vérité - Celle d'Abi - les êtres humains vivent une vie sans passé ni avenir puisque tout se fond dans cette logique inouïe transmise par le Délégué aux croyants via le Gkabul, rédigé en Abilang, la novlangue devenue universelle et obligatoire (toute autre langue étant interdite et punissable de la peine de mort à qui en use... Comme tant de choses devenues interdites, d'ailleurs), captivante et hypnotique avec ses mots dépassant rarement deux syllabes, constatant que seul un appauvrissement forcené mais raisonné du langage pouvait permettre l'abrutissement et la soumission des masses...

Dans cet Abistan désormais sans autre Frontière que strictement fantasmatique, puisqu'à force de Guerres Saintes répétées et généralisés, de génocides d'une ampleur jamais atteinte jusque-là, ce nouveau pouvoir théocratique semble avoir colonisé l'ensemble de la planète (en tout cas, ce qu'il en subsiste après quelques lâchés substantiels de bombinettes nucléaires). Malgré l'immensité uniforme de cette géographie politique remaniée de fond en comble, il n'est cependant pas possible de se déplacer sans sérieuse autorisation. Pour le petit peuple, le seul espoir de voyage réside dans la possibilité de participer à l'un des pèlerinages organisé sans discontinuer par le pouvoir vers les multiples lieux saints visités par Abi avant qu'il s'installe définitivement dans la Cité de Dieu, au coeur de la capitale de cet empire d'un nouveau genre, l'immense Qodsabad. Et encore, les demandeurs peuvent-ils souvent attendre une vie entière sans jamais obtenir satisfaction...

Ce ne fut en revanche pas le cas d'Ati, trentenaire dans l'un des innombrables districts de cette capitale gigantesque et inconnue de ses propres habitants, petit fonctionnaire sans importance et qui va se retrouver dans l'obligation de voyager, loin, très loin vers une forteresse ancienne sise en un point culminant et transformée en sanatorium, car Ati est tuberculeux, et la maladie est devenue en quelque sorte si honteuse qu'on se débarrasse ainsi de ces patients - la plupart n'en ressortent jamais tant les conditions de survie y sont déficientes -. Mais Ati va s'en sortir. Et pas seulement en guérissant de sa maladie, mais en guérissant, en quelque sorte, de cette croyance abêtissante car troublé par les populations si diverses et parfois encore peu déculturées qu'il va y croiser, mais plus encore par le dur et désolé chemin de retour (il ne se souvient plus guère de l'aller) durant lequel il va contempler des paysages presque entièrement vides et surtout faire la rencontre d'un important ethnologue qui vient de pratiquer des fouilles dans un village qui, semble-t-il, remettrait totalement en question les préceptes de la foi en Yöla et dans les enseignements de son Délégué.

Malgré sa grande naïveté, et même, plus souvent encore, à cause d'elle, Ati va faire le chemin vers une certaine lumière intérieure et détachée des illusions de la croyance, tout en se trouvant mêlé, lui et son ami Koa, petit fils d'un Mockbi - un religieux - célèbre pour avoir créé la formule "La mort, c'est la vie", et lui aussi en pleine déshérence dogmatique, à un terrible et machiavélique complot ne concernant véritablement que les Honorables - les vrais gouvernants du système - et leurs proches familles, bien que les conséquences mortelles sur la population soit à peu près certaines.

Par delà la référence sans aucune équivoque au célèbre 1984 du britannique Georges Orwell, c'est la description d'une véritable contre-utopie d'un nouveau genre que nous donne à découvrir Boualem Sansal. On se souvient qu'Orwell s'effrayait, à juste droit, de la montée et du fonctionnement des dictatures de type communistes - URSS stalinienne en tête -, dont il avait déconstruit et expliqué le terrifiant fonctionnement. Cette fois, c'est donc le portrait sans concession d'une théocratie jusqu'au-boutiste, intolérante, despotique, universelle et, semble-t-il, irréversible tant les moyens qu'elle met en oeuvre structurellement et conjoncturellement lui donnent le droit se penser éternelle. Ainsi serait atteint, pour le pire et le plus abominable, ce rêve dément de la fin de l'histoire... Voici, pour illustrer ces propos ce qu'en dit d'ailleurs l'auteur :

"Non pas une dictature de 'bricolage', confinée aux pays de l'Orient (comme l'Iran ou l'Afghanistan), mais une dictature universelle, nourrie par un islamisme de type occidental, organisé, avec des têtes carrées, des infrastructures intellectuelles et industrielles, et qui s'appuie évidemment sur l'énergie et les moyens du monde musulman. Au squelette de 1984, j'ai greffé certaines méthodes empruntées à Hitler et à quelques grands dictateurs, auxquelles j'ai ajouté, religion oblige, un zeste de surnaturel, tels ces êtres télépathiques qui captent les mauvaises pensées."

On s'en souvient, ce livre sortie en cette année 2015, par beaucoup, considérée comme une "Annus Horribilis" tant la vague d'attentats, d'abord ceux de Charlie Hebdo et de l'hyper casher, au mois de janvier, puis ceux du Bataclan et de l'Est parisien en Novembre remuèrent, à juste titre, la population. Lorsque ce livre, 2084 - La fin du monde sorti, il était évident qu'il ferait "le buzz", tant sa problématique rejoignait une actualité douloureuse, faite d'innocentes victimes tant occidentales que plus lointaine, DAECH monopolisant régulièrement la presse et les conversations. Notons qu'un autre ouvrage publié cette année-là retint aussi l'attention des critiques et des lecteurs dans un domaine proche, le Soumission de Michel Houellebecq, aux papiers médiatiques plus inégaux que pour 2084.

Deux ans plus tard, si les drames de cette année-là sont toujours dans nos mémoires meurtries, le soufflet lié au déferlement de chroniques encensant l'ouvrage du journaliste, essayiste et romancier algérien est un peu retombé et la lecture ne peut en être que plus objective, moins immédiatement passionnée.

Ce qu'il en reste, c'est un ouvrage étrange, un peu trop fabriqué, très dense par la réflexion qu'il inspire et qu'il prétend décrire mais aussi d'une lecture par moment relativement rébarbative, sans enthousiasme ni relief dramatique véritablement prenant, ressemblant de fait, bien qu'avec un propos exactement inverse, aux textes utopiques qui firent florès, pour d'autres motifs, au tournant du XIXème siècle et du XXème. Dans ces ouvrages - que l'on songe, par exemple, au déroutant Cent ans après de l'américain Edward Bellamy - la trame narrative n'est présente que comme vague faire-valoir à un discours, une démonstration qui apparaîtrait comme bien plus technique, sèche, accessible à un public restreint si l'auteur s'était contenté d'en faire un classique essai. Or, l'un des buts que se fixe Boualem Sansal est de mettre en garde le plus grand nombre face aux dangers inhérents à cet Islamisme radical qui ronge nos sociétés, les déséquilibres, y portent le fer et le sang.

Sous cet optique-là, cet ouvrage est indéniablement une réussite, tant il parvient à démonter, à disséquer cette machine totalitaire d'un nouveau genre, qui trouve ses racines dans ce qu'Orwell décrivait déjà dans son ouvrage le plus connu, mais qui a appris, ici et là, des expériences dramatiques plus récentes. Ainsi, est-il impossible de lire 2084 sans songer, à de nombreux instants, à l'Iran de L'ayatollah Khomeiny et ses véritables polices de la pensée et des moeurs, sans songer à l'Afghanistan des Talibans ni, bien entendu, à DAECH et à tous ces mouvements sectaires qui se réclament de l'Islam. A tous ces -ismes religieux et radicaux quels qu'en soient les origines, si l'on veut donner à ce texte une portée plus universelle.

Ce serait, en revanche, une bien mauvaise idée que d'accuser M. Sansal de faire le procès de l'Islam dans son ensemble. le narrateur le rappelle à plusieurs moment du roman : si cet "Abi" ainsi que les Honorables se sont inspirés d'une religion qui a échoué (et dans laquelle il n'est pas difficile de reconnaître la religion mahométane), il est absolument clair que c'est la dérive et l'utilisation à des fins déshumanisantes, arbitraire, délirantes de l'Islam qu'il condamne ici sans la moindre réserve. Et seulement cela. Mais cet homme qui a vécu cette véritable guerre ayant eu lieu entre le pouvoir algérien en place depuis les Accords d'Evian et les islamistes du GIA dans les années 90 sait, ô combien, comme cette utilisation mortifère d'une religion (on parle d'au moins 60 000 morts, on annonce parfois jusqu'à 150 000, sans oublier le million de déplacés : une véritable guerre civile), la sienne en l'occurrence, est catastrophique et définitivement dangereuse. Son "expertise", même si elle s'exprime volontairement par le biais de la fiction, peut être prise avec un certain sérieux, non dénué de sarcasme. N'avertit-il point ainsi le lecteur par cette phrase, après avoir expliqué que l'oeuvre à suivre est «de pure invention» : «Dormez tranquilles, bonnes gens, tout est parfaitement faux et le reste est sous contrôle.» Manière terrible aussi de rappeler et de moquer toutes ces lois d'exceptions et autres états d'urgence instauré ici et là à fin de contrer cette percée des extrêmes... sans que le résultat puisse être invariablement convainquant.

En revanche, et nous en terminerons ainsi, c'est dans son aspect purement littéraire où le bât blesse. Certes, il n'y a pas grand chose à redire du style de Boualem Sansal. Celui-ci est d'une efficacité parfaite dès lors qu'il s'agit de décrire les dérives et autres moyens d'actions psychologiques ou physiques de cette religion extrême. Quant au niveau de langage, à l'exactitude du français employé, ils ne déméritent pas du prix qu'il a reçu en son temps : le Grand Prix du Roman de l'Académie Française. C'est en revanche du côté de la trame narrative elle-même que ce texte pêche. Autant on demeure fasciné par la précision et la foule de détails concernant les modes de gouvernance abjects de cet état totalitaire, autant on peine à suivre ce gentil personnage d'Ati - un véritable Candide parmi un peuple de scélérats, de monstres et d'hypocrites. L'auteur ne cache d'ailleurs pas son admiration pour le grand Voltaire -, sans grande personnalité, sans vrai relief, et encore n'est-il point le plus mal loti car c'est encore bien pire des seconds rôles, Koa en tête. le lecteur suit donc ce parfait anti-héros sans vraiment s'y attacher, sans croire franchement à ses innombrables mésaventures, sans s'intéresser autant qu'il le faudrait à son propre cheminement intérieur qui semble, la plupart du temps, n'être qu'un prétexte facile à la démonstration plus générale. En un mot comme en cent, on est souvent à deux doigts de s'ennuyer - d'aucuns semblent le penser carrément -, n'était la fascination exercée par ce monde inventé, mais pas sans référents, que nous donne à découvrir ce romancier dont on peut cependant affirmer qu'il est de premier plan, ainsi que d'un courage incroyable lorsque l'on sait les risques qu'il prend à écrire un tel volume. Que d'aucuns en Algérie et ailleurs ont déjà payé de leur sang...

La référence au 1984 de Georges Orwell était peut être nécessaire. Elle est sans doute l'une des cause de ce hiatus entre les attentes des lecteurs et la différence évidente entre le texte d'hier et celui d'aujourd'hui, au détriment de ce dernier. On préfère toujours l'original à la copie (même si ce roman est loin d'en être seulement une). C'est fort dommage car le message que tâche de nous faire passer Boualam Sansal demeure des plus vifs, cruciaux et actuels. Espérons que le paquet qui l'enrobe ne prenne pas trop vite un coup de vieux, le contenu méritant qu'on s'en souvienne encore longtemps... Hélas.
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S'attaquer à un monument de la littérature d'anticipation tel que 1984 en cherchant à le remettre au goût du jour et des nouvelles formes qu'ont pu prendre les oppressions et les pouvoirs dictatoriaux de notre début de 21ème siècle, tel est le pari tenté ici par Boualem Sansal.

Pari plutôt réussi car on lit avec plaisir ce roman et on se plait à relever les ressemblances et les ajouts, à dresser les parrallèles et à pointer les divergences. On voit vraiment que Sansal parle d'où il est, un algérien du 21è siècle, ayant vécu les années noires du terrorisme algérien, le pouvoir en place et son éternel auto-renouvellement, la montée du radicalisme religieux. Mais ce livre n'est pas qu'une critique de la politique algérienne des dernières décennies. Sansal y ajoute aussi toutes les dérives constatées ailleurs et fait de l'utopie futuriste et technologique oppressante d'Orwell une toute autre lecture, à découvrir par vous même au risque de trop en dire.

Des bémols il y en a deux principaux. D'abord une tendance à aligner, dans les débuts du roman surtout, des mots inutilement compliqués là où plus de simplicité serait davantage dictée par le caractère général du héros principal. On a presque tendance à croire que Sansal, effrayé par la tâche, a voulu montrer sa maîtrise d'un vocabulaire recherché par peur de la comparaison. Le deuxième bémol était dans mes souvenirs le même que l'on pouvait faire à Orwell: une difficulté à s'attacher à des personnages surtout présents pour illustrer un propos de dénonciation des dictatures passées, présentes et (on ne l'espère pas) futures. L'incarnation fonctionne à certains moments mais moins quand la démonstration se fait trop philosophique.

Bref, un beau travail de réécriture, tout en respect de l'oeuvre originale mais sans aucun plagiat, plutôt en hommage et en avertissement renouvelé sans doute nécessaire dans nos temps troublés !
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L'auteur revisite le célèbre roman de George Orwell à la mode contemporaine et en situant l'action dans un pays fictif du Moyen-Orient, l'Abistan. Il nous conte les tribulations d'une jeune homme, Ati, ex-phtisique, qui doute de tout ce qu'il connaît depuis toujours. Mais nous sommes sous le règne de la novlangue, de religieux fanatiques, de naïfs intégraux et de profiteurs sans scrupules.
J'ai trouvé les intrigues de la hiérarchie un peu brouillonnes et la psychologie des personnages pas assez approfondie.
Bref, ce roman ne m'a paru pas vraiment à la hauteur de son modèle, malgré l'imagination fertile de son auteur, qui recrée un monde avec un certain talent.
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" 2084-la fin du monde" est un roman de l'écrivain algérien
Boualem Sansal . Sur la première couverture , il y a juste le
titre qui annonce une date : 2084-la fin du monde . Cela
rappelle un autre livre célèbre du romancier Anglais, George
Orwell , intitulé " 1984" . le roman, de Georges Orwell,
décrivait l' état où était la société , en Europe , vivant sous
un régime totalitaire omniprésent contrôlant tous les faits et
gestes de ses citoyens grâce au Big Brother , le grand frère .
Tout le monde avait peur et c' est le règne de la psychose à
outrance car Big Brother est là : il voit tout , il écoute tout et
rien ne lui échappe .
Dans son roman , Boualem Sansal exprime le même état
mais cette fois-ci il s' agit de l' intégrisme religieux qui va
envahir toute l' Europe et la prendre en otage .
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2084 est un roman post-apocalyptique où Boualem Sansal extrapole un monde qui se passe en Abistan, soumis à une une dictature religieuse, représenté par le dieu Yolah et son délégué Abi. Tous les hommes se ressemble par leur conduite, leur manière de pensée et même leur langue, instaurée par cette dictature.

On suit la pérégrination d'Abi, jeune homme tout juste sorti d'un sanatorium et qui a attendu de faits étranges qui l'amène à commencer à douter (ce qui est hors d'usage dans ce pays). En total ignorant, il va commencer à se poser des questions, à vouloir y trouver des réponses et à commencer à penser par lui-même, à avoir une liberté de conscience.
Il rencontre Koa, qui est un savant et donne des réponses "raisonnées", ou plus en adéquation avec ce qu'on lui a toujours appris mais la liberté de penser entraîne également des doutes chez lui.
Et on va les suivre dans leur questionnement, dans la révolte pour savoir si certains événements entendus existent. Pourquoi des caravanes disparaissent ? Y a-t-il un autre monde ? La Frontière, existe-elle? Où Mène-t-elle?
Qui est ce Démoc ou Dimoc, le bien, le mal ? Un mythe, une utopie, une réalité à atteindre ?

Boualem Sansal a une écriture précise, travaillée, très enrichissante par le fond et la forme. Au delà de son talent d'écrivain, de conteur, il nous pousse à réfléchir en mettant en exergue le conditionnement religieux, la pensée unique, le langage sommaire. Son message est clair : "Prenez conscience du danger des religions totalitaires et liberticides avant que ce livre ne soit une prophétie".

Lien : http://chezsabisab.blogspot...
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Dernier roman et pas le moindre de Boualem Sansal..il s'est essayé à un genre nouveau... : le roman dystopique..dans la même veine que "Farenheit 451", "Le meilleur des mondes", "Nous autres" ou "1984" de George Orwell, auquel il fait plusieurs allusions dans ce nouveau roman, mais son pari n'est pas totalement réussi.
Nous sommes en Abistan, un immense empire aux soixante provinces dirigé par Abi, le "Bigaye", prophète délégué de Yölah.
En 2084 la Grande Guerre Sainte s'est achevée par une victoire sur la Grande Mécréance. Elle fut remportée par les disciples d'"une forme gravement dégénérée d'une brillante religion"!!! Cette guerre a transformé ainsi d'"inutiles et misérables croyants en glorieux et profitables martyrs". 2084 est la date jusqu'à laquelle on sait remonter le temps....
Abiland est un pays de territoires de désolation, noir, vitrifié, aucune trace connue de civilisations antérieures, les habitants mangent par terre des bouillies infâmes, les objets usuels de notre quotidien ont disparu, rafles, prières, exécutions capitales rythment le quotidien. Une société qui impose le fanatisme des jeunes, le mariage précoce des filles, des "burniqabs" variantes des niqabs contemporains pour les femmes, des "burni" différents selon la position sociale et le rang pour les hommes. Des ghettos regroupent les opposants déclarés du système.
Une langue nouvelle a été inventée, elle doit être impérativement parlée : "Avec la langue sacrée mes adeptes seront vaillants jusqu'à la mort, ils n'auront besoin de rien de plus que les mots de Yölah pour dominer le monde. Comme ils ont fait de mes compagnons des commandeurs de génie, ils feront d'eux des soldats d'élite, la victoire sera prompte, totale et définitive". Un "Ennemi" toujours cité, mais que personne n'a jamais vu, menace l'Abiland
Ati homme encore jeune est soigné dans un sanatorium, il doit en sortir pour regagner le monde...Mais il est fortement troublé par ce qu'il a vu, par ce qu'il a vécu, par ce que les pèlerins lui ont dit...Il n'a jamais fait ces pèlerinages imposés de milliers de personnes, visitant et priant dans ces lieux sacrés où vécut Abi, pèlerinages qui se terminent souvent par la mort de ces pèlerins devenus martyrs, des pèlerinages avec des listes d'attente de plusieurs années "En Abistan, il n'y avait d'économie que religieuse". La mort est sanctifiée : ".....'Allons mourir pour vivre heureux" est adopté par l'armée abistanaise comme devise sur son blason....
Ati, fait dorénavant semblant de croire et se plie aux 9 prières quotidiennes... il a croisé un l'ethnologue fonctionnaire qui a découvert un village antique totalement intact "propre à révolutionner les fondements symboliques de l'Abistan". Son esprit est fortement troublé, et il devient aux yeux de l'Appareil un mécréant méritant la mort, à l'occasion de ces exécutions géantes dans les stades.
Il va dès lors essayer de trouver "la Frontière", on en parle à mots couverts, mais l'Appareil dit qu'elle n'existe pas.
Il voyagera dans le pays, franchira visitera la cité de Dieu, un musée du XXème siècle...rencontrera des élites vivant dans l'opulence, en contradiction totale avec les principes de la religion et du système qu'ils imposent au peuple soumis au totalitarisme.
Un livre troublant, fable et livre politique dans lequel Sansal dénonce la Religion en poussant à l'extrème les dérives de toute religion, religion qui peut priver l'homme de sa liberté, religion intégriste qu'il ne nomme jamais, mais les clins d'œil sont tellement évidents.....qu'on la reconnaît....."La religion fait peut-être aimer Dieu, mais rien n'est plus fort qu'elle pour faire détester l'homme et haïr l'humanité"."En transmettant la religion à l'homme la langue sacrée le changeait fondamentalement, pas seulement dans ses idées, ses goûts et ses petites habitudes mais dans son corps en entier, son regard et sa façon de respirer, afin que l'humain qui était en lui disparaisse et que le croyant né de sa ruine se fonde corps et âme dans la nouvelle communauté"
Un livre dans lequel il dénonce, comme dans ses autres ouvrages, les totalitarismes, les dictatures, l'intégrisme. Il est difficile de ne pas y trouver une critique de l'Algérie, de ses clans corrompus se battant pour conquérir ou garder le pouvoir..du peuple manipulé...beaucoup de personnes parlant à mots couvert de la Democ...de la Démouc!!... Abi personnage central, personne ne le voit plus, il dirige tout, il est craint, n'est-il pas un deuxième Boutéflika?
"Yölah est grand et Abi est son Délégué" !
On pourrait se dire "C'est une fable qui ne nous concerne pas, l'Abistan et son système sont loin de chez nous!" Pas du tout..."2084 La fin du monde" et un livre qui nous interpelle directement en France...et en Occident dans l'un de ses passages! Frissons!
Un livre parfois difficile à suivre du fait du style, trop pointilleux, sur certains points, mais trop superficiel et trop fouillis sur d'autres. On s'y perd parfois, mais l'auteur l'a peut-être souhaité à l'image du système abistanais, et c'est un peu dommage.
Un livre qui toutefois ne peut laisser personne indifférent, on aimera ou on détestera.
Boualem Sansal est un auteur à connaître ...et que j'aime bien malgré tout. Un auteur dont il faut saluer et respecter le courage...si certains écrivent de France contre l'intégrisme, lui le fait depuis l'Algérie....pays où des français, dont des religieux, ont été décapités par des intégristes!

Lien : https://mesbelleslectures.wo..
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