Une claque ce roman !
L'auteur construit brillamment deux histoires parallèles.
Ute von Ebert vit à Erlingen en Allemagne. Elle écrit à sa fille Hannah à Londres pour lui parler des envahisseurs, ces serviteurs universels dont on ne connait pas l'identité. Ils arrivent. Les autorités municipales soumises par leur lâcheté et leur peur ont choisi, plutôt que de résister, de faire évacuer les habitants de la ville par un train qui n'arrive pas. Erlingen semble être le dernier paradis du monde. L'histoire n'a pas d'époque...
Nous apprendrons que les von Ebert ont migré aux USA au XVIIIème siècle puis sont revenus après quelques générations au pays natal.
Elisabeth Potier vit en banlieue de Seine Saint-Denis. Après avoir enseigné dans un lycée très difficile elle s'occupe désormais à domicile de Nele la fille des von Honnegger, une adolescente complexe perturbée par son éducation de fille de riches. Les ancêtres des von Honneger ont également migré aux USA. Elisabeth correspond aussi avec sa fille Léa vivant à Londres.
Les lettres des deux femmes se lisent comme des journaux intimes. Elles sont des réflexions sur le monde qui les entourent.
Voilà le cadre du roman dans lequel
Boualem Sansal va entraîner avec talent le lecteur parfois à s'y perdre un peu, mais non, on retombe sur ces pieds, car Elisabeth et Ute ne sont qu'une seule femme.
Ces deux histoires parallèles qui se mêlent judicieusement sont un prétexte pour soulever des questions profondes sur notre actualité, ce que nous, européens sommes devenus. Pays riches ne croyant plus en rien, devenus pleutres, irresponsables, soumis à la peur et aux raisonnements faciles, soumis à la rumeur... le thème de la migration est traité dans une approche fine et différente de ce que j'ai lu jusqu'à présent. La situation actuelle de nos démocraties face à une menace virtuelle ou réelle non définie est traitée avec une grande subtilité qui laisse un peu chaos. La fin trouvée laisse en suspend questions et provoque la pensée.
Je vous recommande ce roman facile à lire qui sort des sentiers battus. Sansal fait référence par touches à "La métamorphose" de Kafka (d'où le sous-titre). le parallèle avec l'histoire de cet homme devenu un cafard géant nous oblige à réfléchir sur les métamorphoses à l'oeuvre chez les humains que nous sommes...
Deux extraits pour vous donner une idée du style :
"J'ai idée qu'à force de tout avoir, l'essentiel et le superflu, et en plus le défendu et le nuisible, les gens se sont épuisés, l'ennui les a dévorés. A croire que la magie de la vie, de la liberté, et l'aspiration au bonheur ne fonctionnent que chez ceux qui souffrent de leur manque".
"C'est fou quand même, notre amour de la vie, de la liberté et de la paix a fait de nous de pauvres diables effrayés, aptes à toutes les lâchetés, quand la haine de la vie, de la liberté et de la paix a donné à notre diabolique ennemi le goût de l'éternité et de la toute puissance, et la détermination pour les obtenir par tous les moyens".