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sur 137 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Ce nouveau roman de Boualem Sansal peut être interprété de différentes façons : paranoïa d'une prof de banlieue parisienne traumatisée après un passage à tabac par des voyous islamistes ou un avertissement sur le danger réel qui pèse sur nos démocraties qui n'ont plus le courage de se battre…Un parallèle entre des émigrations, puisque toujours les hommes ont cherché à conquérir un ailleurs meilleur. Certains ont bâti le nouveau monde en parquant les indigènes, les autres amènent mort, violence et régression où ils s'installent… Et si quelques îlots ont encore le courage de s'élever contre la fatalité, le temps est proche de leur soumission.

Elisabeth Potier, la mère de Léa, prof d'histoire à la retraite, est partie enseigner en Allemagne. Elle y fait des recherches sur l'histoire de l'émigration et particulièrement sur la famille von Ebert. Après des années d'enseignement dans un lycée difficile de Seine saint Denis, territoire où désormais la démocratie ne s'applique plus, elle s'interroge sur les migrations humaines. Rentrée en France, sauvagement attaquée par de jeunes islamistes, dont un de ses anciens élèves, alors qu'elle revenait de la marche qui a suivi les attentats de Paris, elle tombe dans le coma. A son réveil, elle a endossé la personnalité de Ute von Ebert à Erlingen, ville imaginaire, où les habitants attendent un train qui ne viendra jamais pour les emmener loin des envahisseurs. Cette femme écrit des lettres à sa fille Hannah qui habite Londres. Elle lui confie ses craintes mais bientôt le récit glisse dans une autre dimension, celle de la fiction où sont convoqués le thème de la métamorphose cher à Kafka et celui de l'attente d'un ennemi qui vient trop tard de Buzzati. On ne peut échapper non plus au parallèle entre le nazisme et l'islamisme transformant le résistant en un ennemi dans son propre pays…

Bref un récit rendu complexe par son message sous-jacent, le combat contre l'extrémisme religieux, qui joue avec des références à l'absurde qui sont également des résistances au totalitarisme, car c'est ce qui guette et invite à l'ultime métamorphose, celle de Dieu, qui n'est plus que haine et destruction, qui inverse le cours de l'histoire et des choses. L'homme libre devient cloporte, l'évocation de Thoreau nous rappelle qu'il ne faut pas obéir à tout, surtout pas à un Dieu né de l'imagination morbide des hommes… Et qu'il ne faut pas hésiter à nommer clairement l'ennemi et ses actes de guerre au risque de le laisser s'installer grâce à une bonté naïve devenue lâcheté… Un texte puissant mais pas très facile d'accès. Ce que l'on peut comprendre, car les menaces de mort et les exécutions au nom d'Allah ne sont malheureusement pas une fiction…
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Dans ce roman qui vient tout juste de sortir, Erlingen est une ville allemande fictive de 12000 âmes où est censé arriver un train ou plusieurs afin d'embarquer toute la population qui court un danger imminent. Ce danger le lecteur ne le connaîtra pas précisément. Cependant SANSAL va tellement le mettre sur la piste qu'il réalisera rapidement qu'il s'agit de l'islamisme fanatique et radicalisé. C'est par des biographies également fictives que SANSAL va faire ressurgir la réalité, d'Allemagne en Angleterre, de la France aux U.S.A. Il va à ce propos se remémorer les massacres des peuples indiens, anéantis par des colons venus d'Europe, colons nettoyant tout sur leur passage afin d'imposer le nouveau monde, compétitif et cruel (allusion au radicalisme actuel, bien sûr). Quant à ce train fantôme, que certains attendent hâtivement, d'autres avec angoisse, il représente bien ceux qui se rendaient à la queue leu leu vers des camps dont le terminus était souvent la chambre à gaz quelque part en Allemagne (déjà) ou en Pologne.

Comme toujours chez SANSAL, ce livre n'est pas qu'un roman, c'est aussi une longue page d'Histoire, une fable démente, un essai philosophique, un pamphlet contre l'islamisme (pas contre l'Islam, SANSAL tient à être clair là-dessus). Cette fois-ci, ce sont également des échanges épistolaires entre une mère et sa fille, sauf que la fille ne lira les lettres de son aïeule qu'une fois cette dernière décédée, et ne lui répondra qu'à ce moment-là.

Chez SANSAL les personnages semblent toujours secondaires, ils ne sont d'ailleurs pas toujours très bien brossés, ils manquent de caractère, de charpente, ils racontent plus qu'ils ne vivent, aussi je ne m'attarderai pas sur eux mais plutôt sur le fond, car si ce roman est totalement dans la lignée de ces précédents par les thèmes, les constats et les cris d'alerte, ici il est fortement imprégné par au moins trois écrivains.

Le premier, et l'aurez peut-être constaté dès le titre du présent roman, est KAFKA et sa « Métamorphose », planant durant tout le récit et véritable question de fond : un être humain peut-il se réveiller un jour métamorphosé, avec de nouveaux principes, un coeur perdu et une haine palpable ? Ce roman est très kafkaïen, beaucoup de questions sont soulevées, peu sont résolues. On ne connaît pas exactement l'ennemi, on ne voit pas comment le combattre : « le mystère actuel est l'envahisseur. Nous ne savons rien des croyances qui l'animent mais sa façon de se couvrir de hardes, d'être partout et nulle part, de se tapir dans l'ombre et de frapper dans le dos, de savourer ses victoires par des cris aberrants et des transes échevelées, semble dire que sa religion, si c'en est une, s'est construite sur la tradition des peuples chasseurs-cueilleurs et s'exalte de nos jours sur des ruminations propres aux groupes humains qui sont passés de la société archaïque menacée d'extinction à la société de consommation compulsive sans passer par la société de labeur et de production de biens ».

Le deuxième auteur influent est Henry David THOREAU dont les thèses parsèment le roman, on sent bien que SANSAL est pénétré d'une grande admiration pour lui, même s'il convient que THOREAU n'a passé que deux ans protégé des hommes et de leur folie.

Le troisième, et c'est bien moins net, est le Dino BUZZATI du « Désert des tartares », livre dans lequel SANSAL voit la destinée imagée du monde en marche et futur. Il est cité en fin de volume.

Mais chez SANSAL ce n'est pas la douche froide en permanence, d'abord parce que la langue est d'une rare richesse, ensuite parce qu'il sait provoquer des situations cocasses afin d'amener un sourire réparateur voire rédempteur. Et puis il y a ces expressions désuètes qui fleurent bon le parler de naguère. Donc, si ce roman ressemble fort aux précédents de SANSAL, jusqu'à cet islamisme comparé au nazisme qu'il avait déjà fortement évoqué dans « le village de l'allemand » par exemple, ce « Train d'Erlingen » est à lire, car il est peut-être plus complexe que tous les précédents, notamment par la structure originale en poupée gigogne. Peut-être aussi plus abouti que « 2084 », quoique dans la même lignée.

Vous n'y apprendrez rien de nouveau concernant les convictions et les combats de SANSAL, mais vous passerez un très bon moment aux côtés d'un écrivain érudit et très méticuleux, un auteur hautement engagé qui se fait lanceur d'alerte par sa plume et son militantisme. SANSAL est de ces écrivains indispensables qui savent prendre des risques pour faire éclater la vérité. Laissons-lui la parole afin de clore cette chronique : « Notre funeste erreur face à l'ennemi aura été la colère. Ecrasés par nos peurs et nos angoisses, nous avons cessé de réfléchir et nous sommes laissés gagner par le morbide attrait de la soumission ou celui de la furie destructive. Rabaissés à ce point, nous lui avons cédé le beau rôle du vainqueur magnanime qui, désolé et prêt à aider, regarde le fou trépigner et appeler à la mort ».
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L'action se passe en Allemagne dans une ville assiégée par des ennemis dont on ignore à peu tout, à part qu'ils s'appellent « les Serviteurs » et qu'ils ont décidé de faire de la soumission à leur Dieu l'unique loi de l'humanité.

La population, est plongée dans l'attente fébrile d'un train qui devrait lui permettre de fuir, mais cette attente se prolonge indéfiniment, le train bloqué par neige n'arrive pas.

L'histoire nous est contée au travers des lettres qu'Ute vonErbert, prisonnière de la ville assiégée et héritière d'un puissant empire industriel, adresse à sa fille Hannah qui vit à Londres.

Dans son style, grâce à une construction de récit très élaborée et très maîtrisée, l'auteur nous décrit de façon libre et souvent sarcastique, le délitement d'une société qui n'a pas su ou n'a pas voulu voir l'avancée d'une foi sectaire et les ravages qui en découlent.

On retrouve le thème majeur du précédent roman de Boualem Sansal : 2084 qui ne cesse d'alerter sur les zones de fragilité des démocraties fatiguées et sur la lâcheté et l'aveuglement de certains dirigeants face à la montée des intégrismes.
Un roman angoissant et fascinant .
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Toute la population d'une petite ville allemande attend l'arrivée d'un train, un train qui n'arrive pas. On ne sait pas où il est est..."Chaque jour on nous dit que le train va arriver et chaque jour on nous dit que finalement il ne viendra pas". Un train qui doit les évacuer, face à l'arrivée d'une menace, face à l'arrivée d'envahisseurs jamais nommés...au début du livre. Ceux qui pourront prendre le train, seront tirés au sort par un ordinateur.
A chacun de se faire son idée : "L'envahisseur d'aujourd'hui a cent noms (des alias qui tous tournent autour du pot) dans toutes les langues du monde, mais nul ne le connaît, ne le désigne, ne le situe."
C'est la baronne Ute von Ebert qui écrit à sa petite fille, spécialiste de littérature..une écriture confuse dans laquelle tout se mélange. La vieille dame est blessée, dans un état comateux. Elle cite beaucoup Kafka, fait référence à une guerre mondiale, à une extermination programmée....on lit, et il ne faut pas beaucoup d'imagination pour cela, l'extermination des Juifs, les longues files de déportés empruntant ces trains. On cherche les liens entre les personnes, on cherche à ordonner les événements auxquels la vieille dame fait référence, à ordonner les époques.
Il ne faut pas non plus beaucoup d'imagination pour comprendre où Boualem Sansal veut en venir, pour comprendre qui sont ces, ses envahisseurs.
Le fantastique côtoie le réel. Puis au fil des pages, on comprend la construction du livre, on découvre comment la vieille dame a été grièvement blessée, on comprend où Boualem Sansal veut en venir, on comprend la confusion de la vieille dame, son cri d'alerte. Tout s'éclaire dans les dernières pages. le roman épistolaire fantastique prend alors encore plus de force. Et j'ai regretté d'avoir eu envie de la lâcher.
"Le train d'Erlingen ou La métamorphose de Dieu" est un livre sur la peur, celle de perdre la vie et aussi celle de perdre aussi notre liberté individuelle, celle que nous donne la démocratie, si jamais la foi dans une religion et le fanatisme l'emportaient.
Ne sommes-nous pas comparables aux Indiens d'Amérique qui virent arriver des colons ?
Un livre qu'il ne faut pas raconter, encore moins que les autres. Ce serait lui faire perdre sa force littéraire. Il appartient à chaque lecteur de découvrir toute la complexité de ce roman qui nous parle tout à la fois de violence, de guerre, d'extrémisme islamiste, de guerre totale. le roman, philosophique par certains points pousse le lecteur à s'interroger sur notre monde, sur son évolution. En faisant référence à l'Allemagne, aux sinistres trains, il nous rappelle si besoin était que les époques se suivent et se ressemblent, les menaces sur nos vies et nos libertés changent seulement de nom et de forme. Et il interpelle nos dirigeants : ont-ils pris véritablement en compte les menaces que font peser ces extrémistes sur nos vies et notre liberté ?
J'avoue que j'ai été un moment désorienté au regard de cette confusion, de cette construction littéraire....que finalement j'ai apprécié.
Puis par hasard, une fois le livre refermé, j'ai lu la préface. Je ne dois pas être le seul, pressé d'entrer rapidement dans un livre, à oublier de lire les préfaces.
Ne faites pas cette erreur. Une préface qui éclaire immédiatement l'histoire et donne encore plus de force aux allusions et propos et délires de la vieille dame.
Un grand conte philosophique, une fable futuriste -je n'espère pas - de Boualem Sansal, combattant courageux pour nous alerter et défendre notre liberté
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J'ai parcouru quelques critiques de ce livre, comme souvent, et là plus qu'ailleurs, la nécessité d'aller au bout de sa lecture se fait sentir d'où l'incompréhension qui transparaît dans certaines appréciations. Je fut un peu désarçonné par cette histoire d'empire industriel, symbole définitif de la toute puissance d'une multinationale trop protéiforme pour s'inscrire dans le réel, construite sur le mythe de l'émigrant parti de rien et sans scrupules, raccourci de ce que serait le monde d'aujourd'hui. La ville d'Erlingen est un songe, les envahisseurs ne sont que des ombres, des poisons inoculés sont à effet lent, cette histoire n'est qu'une métaphore, elle n'existe pas vraiment et veut dire autre chose.
La dystopie décrite dans le précédent livre de Boualem Sansal nous a orienté vers ce qui préoccupe l'auteur, il restait à trouver le lien en poursuivant la lecture.
La forme narrative importe peu, seul compte le propos et les problématiques qu'ils soulèvent.
L'islamisme est un problème, un ver qui ronge des pans entiers de la société française. L'auteur n'apporte aucune réponse, ce qui nous change des donneurs de leçons de tous poils, des politiques à courte vue et des sociologues du dimanche. Il n'y a pas non plus ce fatalisme millénariste qui plombe les débats, il y a une photographie, sans concession, dans la deuxième partie du livre, avec toutes les tentations, les faiblesses liées à la douleur de cette fracture, à la haine rampante, aux facilités comportementales et leurs interactions mille fois répétées.
Je ne suis pas dans cette culture, Boualem Sansal connaît son sujet et manie avec honnêteté toutes les subtilités liées à un problème sociologiquement impossible et spirituellement suspect . Les jugements à l'emporte-pièce sont monnaie courante et tiennent lieu de viatique, d'argumentation toute faite pour des politiques qui se refilent la patate chaude, en attendant, en attendant quoi ? le prochain attentat, traumatisme collectif émotionnellement ingérable, porte ouverte à d'autres raccourcis semeurs de haine, et ainsi de suite....
Insoluble questionnement.
Merci d'avouer votre impuissance et le plaisir de la lecture était au rendez-vous
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Boualem SANSAL prévient le lecteur dans le prologue que la narration de son roman peut être déroutante. Il exagère beaucoup, mais il est vrai que son livre est construit en deux parties, et qu'elles se rejoignent assez vite dans la seconde.
Ce roman, c'est l'histoire des derniers jours d'Elisabeth POTIER, victime collatérale des attentats de 2015. Elle émerge de son coma sous l'identité d'Ute von Ebert, richissime patronne d'une empire industriel, qui écrit à sa fille Hannah qui vit en Angleterre. Elle y raconte sa vie à Erlingen, dans l'attente d'un train qui doit en sauver les habitants, sous la menace d'une force indéfinie, mais toute puissante. En fait, Elisabeth résidait elle-même en Allemagne avant son accident, et sa fille Léa habitait elle-même à Londres. Les deux histoires se confondent pour dénoncer cette puissance indéfinie, qui entend imposer à tous sa vérité et sa vision du monde, qui n'est pas vraiment nommée, en tous cas jamais dans la première partie, mais que tout le monde aura reconnu.
C'est un roman magnifique, d'une écriture très belle, coulante et facile, émaillée de réflexions et de nombreuses références qui montrent une grande érudition.
La construction est surprenante, c'est vrai, mais le lecteur comprend très vite l'objectif de l'auteur. Dans ce fameux prologue, qu'il est bon de relire après avoir terminé le livre, ce dernier explique comment les histoires d'Elisabeth et Léa et celles d'Ute et Hanna sont liées, mais sans dévoiler qu'il s'agit en fait des mêmes personnes, mélangées par Elisabeth dans une sorte de schizophrénie post-traumatique.
A lire absolument.
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Chronique :
Dans la première partie du roman, Ute von Ebert, riche héritière, écrit à sa fille Hannah qui habite à Londres. Elle lui raconte la vie dans la ville d'Erlingen, une ville introuvable dans un atlas mais à la sonorité bien allemande. Cette ville risque d'être assiégée par des « ennemis », dont on ne sait pas le nom mais qui semblent à la fois un peu Nazis et à la fois un peu fanatiques religieux . Les habitants attendent un train qui devrait les évacuer dans des conditions certes épouvantables mais tout leur semble mieux que d'attendre « les ennemis ». Tel le train qui devait siffler trois fois dans le film éponyme, il se fait attendre et le roman traîne en longueur... Heureusement, les lettres sont entrecoupées par des morceaux de roman, roman qu'elles avaient décidé d'écrire à deux voix et qui changent un peu le rythme du livre...
Si la langue est belle, le sens de tout cela m'a un peu échappé, j'ai trouvé beaucoup de longueurs et je me suis souvent forcée à continuer. J'ai eu des difficultés à rentrer dans l'histoire car j'avais beaucoup de mal à situer l'époque à laquelle se passent ces évènements… jusqu'à ce que j'entame la deuxième partie. Et là tout s'éclaire : qui est vraiment Ute, qui est Hannah, quand les faits relatés dans le livre se déroulent et surtout pourquoi tout cela m'avait paru si obscur !
Un livre un peu déroutant mais qui gagne effectivement à être terminé car il prend tout son sens dans sa deuxième partie. Un réel questionnement sur le monde contemporain, la violence de nos sociétés, l'extrémisme religieux, ainsi que sur les conséquences collatérales des multiples attentats.
Un livre qui ne laisse pas indifférent et qui donne des pistes de réflexion. Une jolie langue, pleine de mots un peu oubliés, une critique sous-jacente de l'être humain et ses faiblesses.
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La première partie est un peu bizarre avec une vieille Allemande qui raconte des souvenirs à sa fille qui habite à Londres. Mais dans la deuxième partie tout s'éclaire, c'est la fille qui prend la parole et là, on comprend le pourquoi de la première partie bien étrange...
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La force de Boualem Sansal consiste à partir d'une fiction, parfois complexe, à aborder les maux de la société, au premier plan desquels il place la radicalisation islamiste, mais également l'impuissance des pouvoirs publics devant ce qu'il nomme, des ennemis, des envahisseurs, des « serviteurs de la métamorphose de Dieu. Dans le « train d'Erlingen » il traite de l'émigration et de l'immigration des XIX éme, XX ème et XXI ème siècles, de l'usage que les hommes ont fait du train pour déplacer, déporter, exterminer des populations. Lorsqu'il aborde le cas précis de la France il n'hésite pas à décrire la situation de certaines banlieues et parle du renoncement des dirigeants.
La construction du roman est déroutante. Deux histoires se croisent. L'une est constituée de notes qui devaient servir à l'écriture d'un livre et des lettres que s'échangent une mère et sa fille. Il y a Ute von Ebert qui est l'héritière d'une dynastie allemande qui a émigré au XIX ème siècle aux États-Unis et fait fortune outre-Atlantique. Elle est revenue vivre à Erlingen, une petite ville bourgeoise (de fiction) qui est menacé par un ennemi fanatique qui veut imposer une loi de soumission à Dieu. Les autorités de la ville envisagent d'évacuer les habitants grâce à deux trains, qui ne pourront pas sauver la totalité de la population et qui n'arrivent pas. Elle écrit à Hannah sa fille qui habite Londres et lui fait vivre ce qui se passe à Erlingen. L'autre histoire est celle de Élisabeth Potier, qui a été victime de l'agression d'un jeune radicalisé, alors qu'elle revenait d'une manifestation de soutien aux victimes du Bataclan en novembre 2015. Ce sont les lettres de sa fille Léa qui nous révèle son engagement d'enseignante dans une banlieue dite difficile. Elle nous apprend ce que sa mère a vécu pendant son coma revenant sur la vie de Ute von Ebert car c'est elle qui avait collecté ces notes. le chevauchement des deux histoires est parfois difficile à suivre, mais il y a des pages d'une intensité bouleversante, d'autant que l'on ne sait pas si l'on est dans la fiction où dans la réalité. Deux romans célèbres planent sur celui de Boualem Sansal : en premier, «  La métamorphose » de Franck Kafka sur lequel il s'appuie pour démontrer la métamorphose de Dieu et celle des individus qui se radicalisent. Ensuite il consacre des pages « au désert des Tartares » de Dino Buzzati pour traiter de l'ennemi qui ne vient pas, mais est bien présent et hante la population d'Erlingen où des lieux dans lequel il s'immisce. Avec le train d'Erlingen il se place dans la lignée de ces classiques, comme avec 2084, la fin du monde il faisait écho à 1984 de Georges Orwell.
Au delà des ennemis qu'il cible, certaines de ses positions, des expressions qu'il emploie peuvent parfaitement s'appliquer à la situation que vit le monde avec le Coronavirus, d'ailleurs page 23 pour parler de la guerre il écrit : « pour l'expliquer, ils disent que c'est une nouvelle maladie, une épidémie » mais page 19 il avait écrit « ce ne sera pas la première fois que l'humanité repartira à zéro ».
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« Dans cette vie, rien ne nous est donné gratuitement. La lecture, si elle s'accompagne d'une véritable méditation, est un acte initiatique ». C'est ainsi que Boualem Sansal entame son dernier roman. Ou plutôt, sa dernière histoire car il est difficile d'apposer le mot roman sur cette intrigante réflexion imagée. Cette histoire est multiple, elle se déroule sur plusieurs plans, plusieurs pays, plusieurs époques. Elle implique des personnes n'ayant aucun lien entre elles et témoigne d'une jolie dose de fantastique se métamorphosant étrangement sous nos yeux. Elle est méditative, on l'a dit, initiatique, également, mais aussi impalpable, surannée et complètement insaisissable.

« Toi qui entre dans ce livre,
abandonne tout espoir
de distinguer la fantasmagorie de la réalité ».

Nous voila informés!

En même temps, le roman est dédié à Henry David Thoreau, Charles Baudelaire, Franz Kafka, Constantin Virgil Gheorghiu et Dino Buzzati. Je crois que l'indice était déjà donné.
Non ? Toujours pas ? Cela ne vous dit rien ?

Faisons plus simple. le Train d'Erlingen ou la métamorphose de Dieu est un très beau texte sur la liberté. Celle qu'il nous reste (bien peu), celle que l'on a perdue (beaucoup) mais surtout, celle que nous avons à reconquérir. Absolument. C'est un roman qui, par un enchevêtrement de personnages, de lettres, d'illusions et d'images, nous donne à réfléchir. Beaucoup. Il plait car il inspire. Il inspire autant qu'il perd. Il est beau, simple et attachant. Il se joue de nous en permanence, nous fourvoie et nous interroge. Car vraiment, « quand avons-nous cessé d'être intelligents ou simplement attentifs ? ».

Ute von Ebert, dernière héritière d'un puissant empire industriel, habite à Erlingen, fief cossu de la haute bourgeoisie allemande. (On ne sait ni où, ni quand. du moins pour l'instant). Sa fille, Hannah vit à Londres. Dans des lettres libres, emportées et sarcastiques, Ute lui raconte sa vie dans une Erlingen assiégée par un ennemi invisible et dont on ignore tout. La population de la ville attend fiévreusement l'arrivée d'un train qui doit l'évacuer, mais qui n'arrive pas.

Gallimard décrit ce roman comme « le fruit d'un esprit fantasque et inquiet, qui observe les ravages de la propagation d'une foi sectaire dans les démocraties fatiguées /…/ favorisée par la lâcheté ou l'aveuglement des dirigeants ». Elle nous interroge sur notre capacité à nous défendre dans un monde où l'on a tout, l'essentiel comme le superflu.
Dans un monde où l'on ne croit plus en la liberté. En la vie. Dans un monde où les gens sont épuisés par l'ennui et la distraction.
Dans un monde où l'on ne sait même plus comment être attentifs.

Et je crois que c'est justement ce qu'a cherché à faire Boualem Sansal au travers de ce livre : nous rendre attentifs. « Ecrire un roman c'est d'abord ça, amasser des documents, rassembler des idées, produire des notes, faire du tout une brassée, ajouter un peu de ceci, un peu de cela, et attendre que cela prenne, quelque chose viendra. On l'appellera roman si ça se lit et si ça donne à réfléchir ».

Touché coulé ! Car pour donner à réfléchir, il donne à réfléchir. Il nous interroge sur ce que sont nos croyances, celles d'hier comme d'aujourd'hui, qui ne s'opposent jamais que lorsqu'elles sont fausses, approximatives ou vérolées. Sur ces superstitions qui nous rongent et nous éloignent les uns des autres, nous enferment dans ce que nous croyons être une vérité ultime (terme qui pose question à partir de l'instant même où il se trouve employé au singulier).

Croire. C'est ce que nous désirons le plus non ? Parce que c'est bien la seule chose qui rend supportable la perspective de la mort. Bon, d'accord, ça n'est pas pour rien que Boualem Sansal a reçu le Prix de la Laïcité 2018. Il n'est pas un fervent religieux. Mais lisons son livre, interrogeons-nous sur ce qu'implique la croyance ? Sur les souffrances qu'elle induit ? Sur les dangers qu'elle génère ? Peut-être serons-nous moins à même de croire à tout et n'importe quoi.

Mais déjà j'entends les cris de ceux qui croient. Quels qu'ils soient.

Je dis tout de suite non. Vous avez tort. Je suis convaincue qu'il faut croire en quelque chose pour être libre. Car dans le monde policé dans lequel nous vivons, sans réel ennemi, sans religion à défendre, sans cause sacrée, sans rituel d'initiation, le peuple se meurt. Par manque de vie et d'ambition. Par manque de joie, d'amour et de folie.

Le train d'Erlingen interroge toutes ces choses et plus encore. Il est touffu, improbable et fouillis. Il nous perd autant qu'il enseigne. Il donne envie de découvrir Thoreau, d'étudier à nouveau la Métamorphose de Kafka et de continuer à lire. A lire, toujours et plus encore ! A lire des livres pour ne jamais, ô grand jamais, perdre cette superbe qualité qu'est l'attention. Il nous rappelle que la soumission est un refuge idéal, mais que l'idéal peut très rapidement se transformer en cauchemar.

Alors peut-être n'est-ce pas le livre que vous emporterez dans votre tombe, mais c'est un livre important. Je soumets ce terme avec toute l'ampleur qu'il peut convoquer. le train d'Erlingen est une superbe piqûre de rappel. Elle nous dit : Psst, rien n'est gratuit ! Ne te soumet jamais ! La liberté est reine ! Elle nous chuchote aussi de repenser notre rapport à l'Etat, au Marché, à la Religion et à la Nature ; elle nous propose de refuser la mondialisation qui distend les liens humains, de lutter contre le cancer du béton et la bougeotte massacreuse des touristes, l'inculture et l'achat compulsif, « l'islamisme qui attaque l'humanité dans son code génétique ». Elle dénonce l'oppression et l'esclavage (l'ancien et le moderne – lisez ces pages, elles sont fondamentales !). Et nous propose de nous doter d'une longue vue et d'une pensée clairvoyante. Urgemment.
Lien : http://www.mespetiteschroniq..
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