Premier tome de la collection (qui en contient sept) dont le héros est Matthew Shardlake, avocat et, accessoirement, commissaire à la solde de Thomas Cromwell, premier ministre craint et mal aimé du roi d'Angleterre
Henry VIII.
L'action se déroule en 1537, en ce temps obscur dit "de la Réforme anglaise", appelé encore "Schisme anglican". Considérant qu'il était le représentant de Dieu sur Terre, le roi
Henry VIII estimait que le peuple n'avait pas besoin d'autres intermédiaires que lui pour décider des choses relatives à la religion. de plus, il a fait bannir la Bible en latin (que personne hormis les prêtres et les érudits ne savait lire et interpréter) et a permis sa mise à disposition au plus grand nombre dans une version en anglais. S'en est suivie la
dissolution de tous les lieux de culte, le retour à la vie civile des prêtres et nonnes, de très nombreuses exécutions dans les rangs des catholiques.
L'intrigue de ce premier tome nous conduit donc au monastère bénédictin de Saint-Donatien-l'Ascendant à Scarnsea, Sussex, au sein duquel un autre commissaire de Cromwell, précédemment venu inspecter l'endroit - promis à une future
dissolution, mais aussi apparemment sujet à des moeurs dissolues et à des pratiques obscures -a été assassiné.
Ce début a immédiatement résonné en moi avec le roman (publié en 1980)
le nom de la Rose de
Umberto Eco (en beaucoup moins érudit cependant) qui évoquait l'enquête menée par un moine de l'ancienne Inquisition suite à une série de meurtres inexpliqués perpétrés dans un monastère bénédictin, certes, à une autre époque et dans un autre pays... Mais, cela a généré une impression de déjà lu et une petite déception.
Néanmoins, l'enquête menée par Matthew Schardlake accompagné de son assistant et bras armé Mark Poël, se suit avec intérêt malgré une certaine lenteur, car elle permet d'aborder différentes thématiques (les rôles assignés aux principaux administrateurs du monastère, les moeurs homosexuelles des moines, la tentation du péché vis-à-vis des quelques jeunes femmes potentiellement accessibles, la richesse du clergé qui possède de très nombreuses terres et vend les produits issus du monastère, ainsi que les aspects religieux et politiques, notamment le rejet viscéral de la Réforme et le refus de se soumettre à un nouveau dogme). Il faut dire que les suspects potentiels sont nombreux et les mobiles aussi. Et puis, au premier meurtre en succèdent d'autres perpétrés dans le passé, mais aussi dans le présent.
Donc, selon l'avancement des choses, le lecteur oscille entre différentes pistes... Jusqu'à la résolution pour le moins inattendue, mais qui pourtant, s'est laissée entrevoir à un moment donné.
Pour avoir lu le second tome de la collection
Les larmes du diable, dont le rythme est beaucoup plus dense et rapide, j'interprète ce premier tome comme un tome de présentation permettant la mise en place du contexte historique et des principaux personnages.
Comme
le nom de la rose, l'action se décline en fonction des différentes heures des offices religieux, comme pour mieux faire percevoir le temps qui passe à un rythme différent que celui du monde extérieur, mais aussi l'isolement très particulier dans lequel vivent ces moines très peu confrontés à la marche du monde... Isolement renforcé à l'extérieur par le paysage environnant (marais) et à l'intérieur par un labyrinthe de couloirs et de pièces obscurs qu'il ne fait pas bon emprunter tout seul (là, encore, un point commun avec
le nom de la rose).
Sur la forme, rien à dire : le style est fluide, le vocabulaire accessible. Des annotations en bas de pages donnent le cas échéant des informations utiles à la compréhension. de nombreuses descriptions permettent de visualiser les lieux et les différentes pérégrinations des personnages principaux.
Enfin, le livre se termine par une note historique qui précise ce qui relève de la réalité et de la fiction, note dont on verra que la Réforme fut surtout un formidable prétexte pour permettre à la Couronne d'Angleterre de se réapproprier les terres que possédait le clergé et, de facto, de compléter le patrimoine des nobles et favoriser l'émergence d'une nouvelle classe sociale (celle des hommes sans naissance noble mais possédant du bien obtenu à très bas coût ou pour "services rendus").
A noter : Après
Dissolution et
les Larmes du Diable, les aventures de Matthew Shardlake se poursuivent dans de nombreux opus écrits par la suite :
Sang royal (2007),
Prophétie (2009),
Corruption (2011),
Lamentation (2016),
Révolution 2020.