Décédé en juin 2010,
José Saramago avait un compte à régler avec Dieu qu'il écrit sans majuscule, comme
tous les noms des personnages et lieux bibliques du roman. L'écrivain portugais, prix Nobel de littérature, nous lègue ainsi un dernier roman qui raconte l'assassinat d'Abel en prenant parti pour
Caïn.
Nul doute que ce texte créera une polémique. Qu'est-ce qui a poussé
Caïn à tuer Abel ? L'envie, comme le disent les Écritures ? Non : l'injustice de Dieu. Méprisé, rejeté, mal aimé du Père céleste,
Caïn le bon, le laboureur fidèle, s'est rebellé contre l'arbitraire et le favoritisme. Dès lors, le seul coupable de la mort d'Abel, c'est Dieu.
Condamné à errer sur la terre,
Caïn succombe aux charmes de Lilith. Il arrête le bras d'Abraham, prêt à assassiner son fils, regarde épouvanté les innocents périr dans le brasier de Sodome, assiste impuissant à la colère de Moïse passant au fil de l'épée les adorateurs du Veau d'or, relève les massacres perpétrés par les tribus d'Israël contre les Madianites, la prise de Jéricho, les souffrances inutiles infligées à Job. Et lorsque, avec Noé, il monte dans l'arche supposée sauver l'espèce humaine, il prend une terrible décision, qui mettra un terme aux agissements de ce Dieu rancunier, cruel et corrompu. On l'aura compris :
Caïn se veut le roman de la lutte séculaire entre l'homme et Dieu, entre le Créateur et sa créature.
En 1992,
José Saramago avait déjà fait scandale au Portugal avec
L'Évangile selon Jésus-Christ, dans lequel il dépeignait Jésus perdant sa virginité avec Marie-Madeleine. Il a récidivé avec ce roman, où il enfonce, si l'on peut dire, le clou. « Notre Dieu, créateur du ciel et de la terre, est complètement fou. Parce que seul un fou sans conscience de ses actes accepterait d'être le responsable direct de la mort de centaines de milliers de personnes, sauf que, finalement, il ne s'agit pas de folie involontaire, mais bien de méchanceté pure et simple. » le « Seigneur » est envieux, extravagant, cruel. « L'histoire des hommes est l'histoire de leurs mésententes avec Dieu, il ne nous comprend pas et nous ne le comprenons pas. »
José Saramago relit l'Ancien Testament avec sarcasme. Il inscrit tous les maux sur le compte d'une divinité ignorant la fureur des hommes. Cécité de Dieu, marquant Adam et Ève « par ce morceau de pomme qui ne monte ni ne descend dans le gosier », « empoignant le sceptre comme s'il se fut agi d'un gourdin », « doté d'une excellente cervelle de comptable et ultrarapide en calcul mental ». Bref, « le Seigneur n'est pas une personne à qui l'on puisse faire confiance ».
Hélas ! cette révision de la Bible semble parfois d'une parfaite gratuité. La réécriture des textes bibliques serait jubilatoire si l'humour était de la partie. Mais trop souvent le ton est burlesque sans être drôle. Noé,
Caïn, Abraham, Sarah, Lilith, Loth et ses filles sont passés à la moulinette d'un guignol grinçant, obsessionnel, revanchard. Pour s'attaquer à la Bible, il fallait peut-être un autre souffle. La fureur athée de
José Saramago l'étouffe trop souvent, et contraint pour une fois son génie : il faudra attendre un autre inédit pour retrouver la saveur amère du grand
Prix Nobel.
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