Court roman d'un
Prix Nobel de littérature, remarquable à plusieurs points de vue, son érudition sur un sujet délicat, la Bible, son parti-pris résolu contre la religion, son ironie féroce, son style inattendu.
Sa cible préférée est Dieu lui-même, être de chair, débarrassé de sa toute puissance, en proie à la réflexion, au questionnement, mais aussi à l'arrogance que met à jour la contradiction que lui oppose
Caïn.
Tout a commencé dans l'affront que Dieu a prononcé à l'attention de
Caïn, en lui préférant les offrandes d'Abel, celles de
Caïn étant de fait quelque peu “rabougries“ (tous les deux sont les fils d'Adam et Ève).
Caïn voit dans le choix du Seigneur une preuve de sa partialité et de son injustice. Contrairement à ce que prétend la Bible -
Caïn se vengea des moqueries de son frère en le tuant - le meurtre d'Abel se veut une punition de Dieu lui-même, que
Caïn ne peut tuer. Dieu réagit en condamnant l'assassin à errer en dehors du paradis, sur la Terre aride et brûlante.
Assailli par la faim, perdu dans des plaines infinies,
Caïn voyage dans l'espace et dans le temps, habitant le passé ou le futur. Il fait des rencontres, commence par celle d'Abraham décidé à immoler son fils Isaac, par ordre du Seigneur-Dieu qui voulait tester sa foi et son obéissance. L'ange envoyé par Dieu pour arrêter le bras du père docile, étant en retard, c'est
Caïn qui s'en chargea, tout en questionnant le dessein du Créateur.
Cherchant du travail,
Caïn s'apprêtait à malaxer de l'argile pour bâtir des briques, quand la reine Lilith le remarqua et l'attira dans sa couche où elle lui montra comment la chair pouvait prendre un tour incandescent, une coloration torride, jusqu'à faire naître une graine dans un environnement hostile. Cela dura ce que durent les passions.
Juché sur son âne et chargé de victuailles,
Caïn se rend à Sodome et Gomorrhe, accompagnant Dieu qui avait entendu parler de ces cités pécheresses, où l'inhospitalité le disputait à des excès charnels, voire homosexuels. Épargnant Loth, neveu d'Abraham et sa famille, Dieu détruisit ces villes, y englobant les enfants, alors qu'il avait promis de les exempter de la peine collective.
Caïn ne lui pardonnera jamais ce massacre d'innocents.
Caïn se retrouve ensuite mêlé aux compagnons de Moïse absent depuis quarante jours et quarante nuits pour cause d'établissement avec Dieu des tables de la Loi. Quelle n'est pas sa surprise en descendant du mont Sinaï de voir que ses ouailles ont élaboré avec la complicité d'Aaron, son propre frère, un Veau d'Or qu'ils adorent comme un Dieu ! Outré, le Seigneur, par l'entremise de Moïse, ordonne que soient exécutés trois mille hommes. La preuve irréfutable de la méchanceté profonde du Seigneur saute aux yeux de
Caïn qui poursuit sa route, assistant aux manoeuvres des filles de Loth commettant l'inceste pour avoir une descendance, démontrant là l'absence de codes moraux propre à cette époque - ce qui ne soulevait d'ailleurs aucune indignation du Tout-Puissant.
Les victoires sur les Madianites permirent l'enrichissement considérable du Seigneur grâce à un nombre non moins considérable de morts - démontrant que les guerres sont des affaires rentables.
L'épisode de la prise de Jéricho par Josué, au son des trompettes, suivi de la prise d'Aï et de bien d'autres villes, avec leurs lots de morts, de traitres, de butins, de colère ou de vengeances du Seigneur-Dieu, de sa complicité belliciste quand il s'est agi d'arrêter le Soleil ou la Terre, je ne sais plus, pour battre les Amorites, tout cela est confus et ne mérite pas l'attention de
Caïn qui ne songe qu'à s'enfuir, et finit par retrouver Lilith pour le plus grand bonheur de leurs étreintes.
Après ces plaisirs retrouvés,
Caïn reprend son errance qui l'amène à chercher du travail auprès de Job, cependant que Dieu en réunion avec des sommités célestes dont Satan, fait un pari avec ce dernier, lui donnant carte blanche pour tenter de ravir la foi à ce fidèle d'entre les fidèles qu'est Job. Job dont la vie est florissante, entre ses terres, ses troupeaux et ses nombreux enfants, perd ainsi tout ce qu'il avait et devient même lépreux. Imaginant que c'est là la volonté divine, il garde sa confiance en Dieu (qui finira par lui restituer ce qu'il a perdu, prétend-il).
L'épisode de Noé et de son arche sont l'occasion d'une conclusion surprenante qui permet à
Caïn de fignoler sa revanche sur le Tout-Puissant, en lui rendant la monnaie de sa pièce. Cette lutte a priori inégale prend décidément une tournure allégorique et résolument jubilatoire.