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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
La fascination des actes criminels diffusés par les médias, la cruauté, l'intolérance couplée de primitivisme et face à ce spectacle, Ndéné, un prof de littérature française, un sénégalais. Une vidéo sur un portable qui va déclencher une quête existentielle, chez cet homme de retour dans son pays et déjà à moitié chemin de perdre toutes ses illusions.

Dans un Sénégal musulman où les interdits deviennent encore plus attrayants, les « goor-jigéens » (homosexuels) sont au coeur de ce livre. L'auteur avec une exhumation violente et un spectacle de Sabar( manifestation folklorique sénégalaise) torride, nous jette tout de go, dans les braises d'une communauté, qui fascine autant qu'il révulse (?)....... Ndéné, pris entre un père musulman orthodoxe, imam de surcroît, qui condamne les homosexuels, et un mail du Ministère de l'Education interdisant l'enseignement de tout écrivain dont “ l'homosexualité est avérée, même soupçonnée”, en est fasciné. Soumis à de terribles préjugés dont Verlaine qu'il enseigne et qui “fait partie de la grande propagande européenne pour introduire l'homosexualité....”au Sénégal, quelle voie va-t-il prendre, celle de sa conscience ou celle de la communauté ?

Jusqu'où peut-on être lucide, conscient de reconnaître ses véritables pensées, sentiments, désirs, pulsions, et avoir le courage de les exprimer et les vivre ouvertement en société ? La question est générale, bien que traitée ici dans un contexte et sujet particulier. L'approche de l'auteur n'en est en aucun cas critique, au contraire indulgent , pleine de compassion , «....la peur toute humaine de n'être plus admis comme homme au sein des hommes. Je peux les comprendre, et comment ! ». Une approche qui me plait, dans ce monde où l'on critique à souhait, gratuitement, sans empathie et sans une connaissance approfondie des faits.
Un livre qui me révolte encore une fois avec l'approche ignare, inculte des musulmans orthodoxes à leur religion et à leur livre saint, et en général des hommes à toute intolérance.

Un roman sensuel servie d'une écriture puissante et visuelle. Une première approche à un excellent écrivain !

“Un vrai secret n'est jamais clair, même à sa propre conscience.”
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Mohamed Mbougar Sarr utilise le carburant des sujets inflammables de la société sénégalaise : islamisme, relations Occident-Afrique, ou le sort des personnes homosexuelles dans ses fictions.

“Ils savent que, tant qu'ils continueront à mentir, ils continueront à mourir.” L'enfer sur terre. Pas pour tous non, mais pour les “góor-jigéen” au Sénégal, assurément. Comment traduire ce terme wolof dans notre langue ? Peut-être pourrions-nous nous satisfaire de gay, bien que le terme semble renvoyer à une acception plus folklorique et ancienne… à l'image des “ladies boys” de Thailande, les “hommes-femmes” sénégalais avaient leur place dans la société traditionnelle avant que peu à peu, sous l'influence coloniale, l'homophobie ne lave les cerveaux.

“J'ai toujours pensé que l'humanité d'un homme ne fait plus de doute dès lors qu'il entre dans le cercle de la violence, comme bourreau ou comme victime.” Désormais, on ne peut pas plus tolérer la mise en bière d'un homosexuel dans un cimetière que l'enseignement de Verlaine à l'Université… C'est dans ce parfum d'Inquisition sauvage que débute la quête, à contre-courant, du personnage de Mbougar Sarr.

“Refuser d'accepter la mort de ceux qu'on a perdus, c'est le plus beau, le plus durable monument qu'on puisse leur élever.”

Parfois, surtout au début, le style est un peu chargé, par exemple certaines phrases sont inutilement plombées par l'utilisation à rallonge du pronom “qui” ou de répétitions maladroites. Mais le jeune auteur, récemment Prix Goncourt, tisse finalement à partir d'un fait divers une fiction efficace où poésie, sensualité, suspense et drame se mêlent dans une atmosphère immersive.

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Alerte ! Mon portable sonne, urgence : vidéo à regarder. Je le sens mal dès le début, genre haut-le-coeur à me faire gerber les trois bouteilles de Flag que j'ai prises hier, soirée chaude et humide dans la pénombre de la poussière, zone obscure de ma vie et ses bas-fonds. J'essaie de détourner les yeux mais mon regard revient inlassablement sur mon petit écran. J'ai besoin de voir, de comprendre, de savoir... Je rouvres les yeux sur cette société-là, une société qui interdit d'enseigner la poésie de Verlaine parce qu'il est coupable d'homosexualité, le Sénégal d'aujourd'hui.

La vidéo montre une foule en liesse déterrant un cadavre. Il est traîné, piétiné, craché, en dehors du cimetière. Je comprends, cette âme n'est pas assez pure pour rester dans cette enceinte. Je comprends, l'homme qui est bafoué ainsi, avant d'être cadavre putrescent, était un goor-jigéen, autrement dit un "homme-femme" en wolof, un pédé en langage populaire. Et dans ce pays, dans cette religion, l'homosexuel, même mort, n'a pas le droit au repos non plus. Paix à son âme, les religions nous apprennent à dire, mais pas toutes les âmes.

Mohamed Mbougar Sarr signe ici un beau roman, beau mais cruel, presque terrifiant. Il donne envie de crier, de pleurer. d'être en nage et en rage, apeuré par cette violence intrinsèque qui sommeille au fond d'une population, violence gratuite, incompréhensible. Il fait réfléchir, il fait se poser des questions, il ne laisse pas dans l'indifférence. Oui, j'ai réfléchis moi aussi sur l'homosexualité, sur les questions à se poser, sur ces corps qui se mélangent, ces odeurs qui entêtent, ce parfum enivrant de déviance, méfiance.

Pendant que je réfléchissais à ma chronique, sur ce livre qui me tient à coeur, je lis un petit aparté dans le Monde, 22 décembre : Au Sénégal, des députés veulent durcir les sanctions contre l'homosexualité. Lutter contre les perversions occidentales. En gros, le projet de loi propose que toute personne qui aura été reconnue coupable de « lesbianisme, homosexualité, bisexualité, transsexualité, intersexualité, zoophilie, nécrophilie et autres pratiques assimilées » soit punie d'une peine de cinq à dix ans de prison ferme et d'une amende de 1 à 5 millions de francs CFA...

Que dire de plus... je suis resté sans voix. Facile, me diras-tu, je ne parle déjà pas. Bon, je lis aussi que le 5 janvier, le parlement sénégalais a rejeté ce projet de loi. Une bonne nouvelle... enfin, quoique, je lis aussi que le Code pénal punit déjà « sévèrement » l'homosexualité ainsi que « tous les actes contre-nature et les attentats à la pudeur », des peines de prison. Peiné, je suis, je reste.

Bref, après cet écart politico-sociologique, je reviens au roman. Je ne vous l'ai pas encore dit mais la fin est sublime, quel dernier paragraphe, j'en pleure encore, je m'en souviens encore. Aucun vent ne pourra effacer cette poussière en moi. Ni aucune flag...
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L'islamisme, l'émigration, l'homosexualité : les sujets sensibles ne font pas peur à Mohamed Mbougar Sarr, écrivain sénégalais né en 1990. Pour autant, il n'écrit pas d'essais mais aborde ces thèmes dans des fictions qui se nourrissent de faits réels avant de les mettre en perspective et d'entamer une réflexion agile et sans tabous qui fait le sel de ses romans. C'est le cas de de purs hommes qui traite de l'homophobie au Sénégal, un constat social qui part de la description d'une vidéo (réelle) montrant l'exhumation sauvage d'un homme soupçonné d'avoir aimé des hommes. le narrateur du livre, Ndéné, professeur de Français hétérosexuel, va vouloir en savoir plus et ainsi entrer dans l'oeil du cyclone des rumeurs et du discrédit. Il est très rare de lire un roman aussi dense sur le fond que brillant sur la forme car au-delà de son sujet, l'écriture de de purs hommes est une vraie splendeur, dans des tonalités différentes selon les chapitres, du chatoiement sensuel à l'épaisseur dramatique, en passant par une gamme complète de styles totalement maîtrisés, sans pour autant tomber dans une préciosité quelconque. A travers le cheminement et les rencontres diverses de Ndéné, le romancier montre sans démontrer, militant résolu de la tolérance. Dans son pays (il n'est pas le seul) où prolifèrent les hommes qui n'aiment pas les hommes qui aiment les hommes, le livre aidera t-il à éveiller les consciences ? En tous cas, le romancier sénégalais prouve que l'on peut faire de la belle littérature en s'attaquant à un sujet fort, traité sans gêne mais pas sans nuances.
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Comme beaucoup, j'imagine, j'ai découvert Mohamed Mbougar Sarr depuis que La plus secrète mémoire des hommes a obtenu le Goncourt. Quelques-uns, ici et là, m'ayant recommandé la lecture de purs hommes, c'est donc par ce roman que j'ai poursuivi ma rencontre avec ce jeune auteur. J'étais curieuse de savoir si je retrouverais là le style puissant mais parfois un peu enflé qui anime son roman primé. Et j'avais entendu parler de la polémique qui a resurgi au Sénégal autour de l'apologie que ferait Mbougar Sarr de l'homosexualité.
Avec tant d'attentes et de biais de lecture, j'aurais pu être déçue. Il n'en a rien été. le roman est beaucoup plus sobre dans son écriture mais on trouve déjà à l'oeuvre les grands motifs de la plus secrète mémoire des hommes : quête identitaire, écartèlement entre les attentes de la société et les impressions intimes, tourments à savoir ce qu'être juste veut dire. En un certain sens, c'est presque deux fois le même roman. Ou deux variations de la même partition, l'une avec l'écriture comme thème et l'autre non pas l'homosexualité mais plutôt le rapport entre destinée individuelle et regard social normatif.
C'est ce qui m'a plu d'ailleurs, que ce ne soit pas bêtement une apologie de la tolérance pour toutes les pratiques et orientations sexuelles. Que l'universalisme des valeurs soit bien plus subtilement interrogé. le personnage du professeur M Coly l'explique d'ailleurs très bien : la culture sénégalaise faisait une place aux pratiques homosexuelles dans son fonctionnement traditionnel. C'est la flamboyance provocatrices des pratiques homosexuelles à l'occidentale qui ont crispé les esprits et rompu le fragile équilibre de tolérance. Evidemment, il ne faudrait pas comprendre que l'homosexualité ne peut être que tolérée à la marge. Mais plutôt que la manière différente d'aborder ces orientations sexuelles individuelles entre deux sociétés ne pose problème qu'à partir du moment où les deux modèles entrent en collision, voire lorsque l'un s'arroge une supériorité morale sur l'autre. Encore une fois, c'est bien de colonisation des esprits et de difficile quête identitaire qu'il s'agit ici.
J'ai aimé aussi l'ambivalence que recouvre le terme de goor-jigéen, « homme-femme » : travesti, homosexuel, la distinction n'est pas précise et le fait qu'elle n'ait pas besoin de l'être montre aussi une culture où il n'est pas besoin de rentrer dans ces détails là pour trouver une place à qui n'affiche pas exactement ce que la religion musulmane telle qu'elle est pratiquée au Sénégal attendrait d'un bon croyant. Dans l'hypothèse où il y aurait eu, avant l'influence occidentale, une effective acceptation de ces goor-jigéen, qui auraient eu leur place et auraient bénéficié d'une forme d'acceptation, c'est intéressant aussi d'imaginer qu'on ne soit pas obligé de rentrer minutieusement dans la taxinomie des comportements. Que la société recouvre d'un seul terme ce qu'elle peut ostensiblement voir, un homme qui a aussi l'apparence d'une femme, et qu'elle ne cherche pas à clarifier ce qu'une telle allure signifie de ses pratiques intimes. Une forme de pudeur possible, d'intimité préservée du regard publique.
Pour amener à cette réflexion, le roman met en scène différents moments cruciaux : l'exhumation, la visite à la mère du défunt maudit, le reniement par le père du narrateur, la tentation, le sacrifice ultime. La dimension christique de l'itinéraire ainsi parcouru est évidente. C'est ce qui fait peut-être de de purs hommes un livre juste, une prise de position courageuse qui brille davantage par la pertinence de son analyse que par la subtilité des moyens utilisés pour la soumettre à son lecteur.
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Mohamed Mbougar Sarr, né en 1990, a obtenu le prix Goncourt en 2021, pour "La plus secrète mémoire des hommes"; le présent roman date de 2018. Il évoque un sujet très délicat dans tous les pays africains: la place des homosexuels dans la société. En se basant sur la tradition, sur l'idée (fausse) que l'homosexualité a été introduite par les Européens et surtout sur l'Islam, les Sénégalais la rejettent catégoriquement, en grande majorité.

Le personnage principal, Ndéné, jeune professeur de français à l'Université de Dakar, est bouleversé par une vidéo que lui montre sa belle maîtresse: le cadavre d'un personne présumée homosexuelle est violemment extrait de sa tombe par une foule déchaînée. Troublé, mis en cause parce qu'il fait étudier un poète homosexuel (Verlaine) à ses étudiants, Ndéné se met en chemin pour sortir peu à peu des préjugés communs. Il comprend que « les homosexuels appartiennent de plein droit à l'humanité pour une raison simple: ils font partie de l'histoire de la violence humaine. (…) Ce sont de purs hommes parce qu'à n'importe quel moment la bêtise humaine peut les tuer, les soumettre à la violence en s'abritant sous un des nombreux masques dévoyés qu'elle utilise pour s'exprimer: culture, religion, pouvoir, richesse, gloire ». Plus tard, une scène émouvante le met en présence de la maman du jeune "gôor-jigéen" mort et outragé au cimetière.

Certains trouveront qu'il s'agit là d'un "roman à thèse". C'est vrai, il a énervé les Africains traditionnalistes . Mais la brièveté et la simplicité de son synopsis n'en font pas un livre mineur. Je trouve qu'il est écrit de belle manière et qu'il ouvre des horizons sur le (vrai) Sénégal.
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Au Sénégal, l'homophobie est devenue l'un des dogmes de la communauté musulmane. Les rumeurs, fondées ou non, et les violences gratuites s'intensifient. Un jeune professeur, dont l'aversion pour l'homosexualité masculine n'est pas dissimulée, va s'interroger sur le bien-fondé de cette violence contre les homosexuels. Un examen de conscience qui bouleversera ses certitudes et le poussera à choisir un camp. L'auteur, dont l'éducation a été instillée par un hétéronormisme de rigueur, nous offre courageusement et avec brio le déroulement de sa réflexion.
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[Lecture que je dois à la suggestion d'une amie chère : qu'elle en soit ici remerciée.]

Le protagoniste de ce roman, Ndéné Gueye, est un jeune professeur de littérature française à l'université de Dakar. Rama, sa compagne, lui fait visionner une vidéo qui représente une foule ensauvagée qui profane la sépulture d'un jeune homme accusé d'homosexualité et en déterre le cadavre ; Ndéné est ainsi sensibilisé pour la première fois à l'ampleur et à la férocité de l'homophobie au Sénégal, et cette sensibilisation se mue en une métamorphose intime parallèle à un basculement contre la société et ses valeurs auxquelles il adhérait jusqu'à la veille : ces deux transformations constituent l'action romanesque.
Toutefois, ce qui est au moins aussi intéressant que le parcours du héros narrateur, à mon sens, ce sont les personnages secondaires, dont chacun représente un point de vue singulier et emblématique de l'homophobie ou de la lutte contre celle-ci, au sein d'une société qui, dans un rigorisme traditionaliste croissant, fait de l'homosexualité le symbole de la corruption venant de l'étranger, notamment des Blancs, et de l'homophobie un réflexe identitaire irrationnel.
Il y a donc parmi les personnages anti-homophobes Rama qui mène son propre combat d'émancipation féministe et sa sulfureuse amie Angela Green-Diop, métisse à demi étrangère revenue d'Amérique pour travailler pour Human Rights Watch. Les personnages ambivalents sont ceux chez qui le sentiment d'humanité se heurte à celui d'appartenance et de loyauté communautaire : Hadj Majmout, le père du protagoniste, sa seconde femme Adja Mbène, la mère désespérée d'Amadou, le garçon à la tombe violée. Parmi les promoteurs de la haine, on retrouve tous les détenteurs de l'autorité : le doyen de la faculté, l'imam et son successeur. Mais les plus intrigants, ce sont les personnages que je définirais d'ambigus, dont M. Coly, « le meilleur professeur de la faculté de lettres […] spécialiste de la poésie symboliste française », le « jotalikat », c-à-d. le « passeur », « transmetteur », « caisse de résonance » de la voix de l'imam, et surtout Samba Awa Niang, homme de spectacle, animateur de danses folkloriques dionysiaques, qui semble être le seul à pouvoir assumer voire surjouer son identité de « góor-jigéen » d'« homme-femme », épargné, adulé, adoré du peuple et des puissants...
Au cours d'un échange avec l'amie à qui je dois cette lecture, nous avions noté l'analogie entre ce personnage et la circonstance que dans un tout autre contexte, mais dans une société musulmane presque aussi homophobe que celle du Sénégal ici décrit, à savoir en Turquie, au moins deux chanteur.se.s de musique pop traditionnelle savante, Zeki Müren (1931-1996) et Bülent Ersoy (né.e en 1952) sont des transgenres homme-femme qui, depuis de nombreuses décennies, sont tout aussi vénéré.e.s du grand public. Il semblerait que leur profession d'artistes de spectacle, en leur conférant ce « rôle » de représentation d'un personnage au sens théâtral ou cinématographique du terme, leur garantit un statut d'exception ainsi que l'invulnérabilité. C'est dans ce sens d'ailleurs que l'auteur l'explique, par les mots de son personnage :
« […] Mes performances sont un jeu, je me mets en scène, d'une certaine manière. Je joue à être quelqu'un d'autre, un personnage : c'est le principe même du travestissement. Les spectateurs croient que je joue, ce qui leur fait oublier que je suis un góor-jigéen. Ils pensent peut-être que j'exagère le personnage. C'est ça aussi qui me protège, je pense. Je n'apparais jamais comme góor-jigéen, mais comme personnage de góor-jigéen. » (p. 119).

Un second élément d'analogie entre le personnage du roman et les chanteur.se.s turc.que.s semble fournir un élément d'explication complémentaire, fondée sur l'interprétation identitaire de l'homophobie que j'ai suggérée plus haut : l'un comme les autres sont des artistes traditionnels, non des avant-gardistes ni des revendicateurs « subversifs » - à l'instar des góor-jigéen militants, « vulgaires, impudiques, provocateurs » et surtout xénophiles que dénonce M. Coly (p. 146 et ss.). Ils représentent la société dans tout ce qu'elle a de plus traditionnel par leur art, et permettent à tout un chacun de s'y identifier sans danger de « contamination »...
Après tout, comme le dit Adja Mbène à Ndéné dans l'un des moments les plus chargés d'émotivité du roman :
« - Ce n'est pas la faute qui compte... C'est la demande de pardon, quelle qu'elle soit. C'est de revenir parmi nous. Dans ta société. Dans ta famille. [...] » (p. 162).
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Dans ce roman, l'auteur aborde des sujets durs, cruels, d'une violence rare. Il y dénonce la manière dont sont considérés les homosexuels au Sénégal, sous couvert de respect de la culture et de la religion.

Ce roman, c'est essentiellement une quête initiatique : celle de Ndéné, un jeune universitaire désabusé. Grâce à Rama, son amante, il va remettre ses croyances en question et chercher à libérer celui qui était tapi tout au fond de lui.

Dans de purs hommes, il est aussi question de deuil [dans des pages absolument sublimes], de l'hypocrisie des milieux universitaires et religieux. le tout dans une langue parfois étonnante : qui mêle à la fois vulgarité et vocabulaire rare et/ou désuet. Avec une pointe de cynisme qui pique juste comme il faut.

Pour lire ma chronique complète : RDV sur le blog ! ;)
Lien : https://www.maghily.be/2023/..
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C'est une vidéo qui déclenche chez Ndéné Gueye, le narrateur du roman de Mohamed Mbougar Sarr, une douloureuse prise de conscience dont nous suivons la maturation tout au long du récit, cette vidéo montrant l'exhumation nocturne du cadavre d'un homosexuel jugé indigne de demeurer dans la terre sacrée d'un cimetière musulman.

Plusieurs actes homophobes antérieurs à cette profanation ont révélé un durcissement de la société sénégalaise vis-à-vis de ceux que l'on ne considère même pas comme des hommes. Les individus qui choisissent d'assumer une sexualité différente s'y exposent au double risque de la vindicte populaire (qui peut s'exprimer avec une violence frénétique parfois mortelle) et d'une sanction pénale. Jugés comme une menace pour la cohésion sociétale et pour la morale, les homosexuels sont en effet passibles de prison. Les familles sont souvent les plus virulentes envers ceux qu'elles comptent dans leurs rangs : il s'agit de se protéger de l'anathème populaire, de se laver du soupçon de receler le gène transmissible du gay, en excommuniant, si elles ne peuvent le cacher, le -ou la- responsable de leur honte. Les poètes et écrivains homosexuels sont bientôt censurés à l'université où Ndéné enseigne la littérature...

Ces événements l'amènent à changer le regard qu'il porte non seulement sur ses semblables, mais aussi sur lui-même, et à prendre la mesure de l'hypocrisie d'une société qui fait cohabiter l'extrême puritanisme prêché dans des mosquées où les homosexuels sont voués aux gémonies à la sexualité qui s'exprime de manière débridée lors de fêtes populaires animées par les góor-jigéen, ces "hommes-femme" dont beaucoup reconnaissent encore l'importante fonction sociale (mais qui deviennent peu à peu des parias). Une société où certains musulmans "au coeur écrasé de pureté détournent chastement leur regard des femmes qu'ils rêvent de baiser". Ndéné lui-même doit bien s'avouer que s'il se rend encore à la mosquée, c'est surtout par respect filial, car il n'est plus pratiquant, mais aussi parce qu'il est difficile, en public, d'assumer un autre discours que celui que le consensus et les imams imposent.

Il comprend d'ailleurs, dans un premier temps, les contradictions de ces hommes, conditionnés par leur culture, leur religion et leur éducation. Lui aussi éprouve spontanément une certaine répugnance pour les homosexuels envers lesquels il admet avoir déjà exercé une violence verbale. Mais les images de la vidéo le hantent, ont produit en lui un déclic. En imaginant l'individu que fut le cadavre exhumé, en prenant conscience, avec une pesante acuité, de son humanité, il passe envers ses semblables d'un jugement distancié et plutôt indulgent à un sentiment de haine, en même temps qu'il laisse s'exprimer la possibilité de sa propre ambivalence.

Ce que réalise, finalement, Ndéné, c'est que le respect de l'être humain et de son intégrité sont sacrés au-delà de tout, quels que soient les dogmes et les préjugés qui nous influencent. Et s'il pouvait encore subsister, pour certains, un doute quant à l'appartenance des homosexuels à la communauté humaine, leur implication -en tant que victimes- dans le cycle de violence indissociable de l'humanité, les y rattache de fait. Il appréhende aussi toute la difficulté à être libre, les sacrifices et le courage que représente le simple souhait de vivre selon ce que l'on est vraiment, en dépit du jugement des autres, mais aussi en dépit de soi-même, car cela implique de se détacher de ses ancrages culturels, familiaux, et d'accepter la solitude et le rejet inhérents à la revendication de sa différence dans un monde où elle est considérée comme intolérable.

Mohamed Mbougar Sarr parvient avec "De purs hommes", réquisitoire contre l'intolérance et le fanatisme, à mêler efficacité et réflexion : bien que relativement court, son récit décrit l'évolution de son héros avec intelligence, sans jamais tomber dans la caricature.
Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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