C'est un livre qui enquête sur un autre livre, un écrivain à la recherche d'un autre écrivain, une mise en abyme qui est l'occasion d'un ingénieux voyage dans le temps et dans l'espace. Malgré quelques moments creux ou inégaux lors de sa lecture, je ressors de "
La plus secrète mémoire des hommes" avec le sentiment d'un beau roman, un récit intelligemment construit, porté par une narration fascinante. Son auteur,
Mohamed Mbougar Sarr, y raconte l'enquête de Diégane, apprenti romancier sénégalais basé à Paris et double littéraire de l'auteur, à la recherche de TC Elimane, un compatriote auteur de génie qui n'a écrit qu'un seul livre, "Le labyrinthe de l'inhumain". Ce roman, paru en 1938 et couronné de succès, disparait ensuite de la scène littéraire comme son auteur après une « ténébreuse affaire littéraire ». C'est donc sur les traces de cet auteur maudit que se lance le jeune Diégane, quête qui va l'amener à faire la connaissance de tout un tas de gens vivants ou morts qui ont été eux-mêmes subjugués par la lecture du livre ou fascinés par la beauté et le talent de son auteur. le récit est construit comme un jeu de piste à plusieurs voix avec des récits emboités les uns dans les autres et une plongée progressive dans la vie de TC Elimane, auteur imaginaire qui fait penser à
Yambo Ouologuem, cet écrivain malien qui en 1968 publie avec succès "
Le devoir de violence", mais qui, accusé de plagiat, s'enferme rapidement dans le silence en se retirant de la scène littéraire.
Mohamed Mbougar Sarr lui dédie d'ailleurs son livre, car il veut parler des malentendus dont peut être victime un écrivain africain en particulier lorsqu'il s'éloigne de ce qu'on attend de lui. Un Africain peut-il être reconnu comme un écrivain francophone ? Et s'il l'est, ne devient-il pas « un nègre de maison » ? Doit-il posséder une verve envoutante ? Doit-il se contenter de parler gentiment de son pays ? le récit invite à réfléchir sur les effets de colonialisme, interroge les liens unissant l'Afrique et l'Occident depuis le début du XXe siècle. À la fois fresque historique, quête existentielle et amoureuse, plongée dans les croyances traditionnelles sénégalaises, réflexion politique, le roman propose aussi une brillante analyse sur l'art d'écrire, sur les mécanismes à l'oeuvre, depuis le choix des mots jusqu'aux effets produits. En mélangeant journal, notes, récits, lettres, témoignages, les différentes voix de narration se répondent dans le temps et dans l'espace, s'enchainent avec intelligence dans une profusion de formes et de libertés. Cette sensation de foisonnement pourra rebuter certains. Personnellement, elle ne m'a ni dérangé ni perdu. J'ai trouvé par contre qu'il y avait quelques maladresses dans l'écriture, des répétitions trop insistantes et une histoire par moment trop cérébrale et des personnages manquant d'incarnation ou de sensualité. Je recommande néanmoins la lecture de "
La plus secrète mémoire des hommes", un excellent livre qui confronte les nécessités de vivre et d'écrire. L'auteur y convoque de nombreuses et magnifiques références littéraires, manière pour lui de rendre un hommage amoureux à la littérature et notamment à la littérature africaine.