Je connais peu de mots

« Et si investir une nouvelle langue ne se limitait pas à l'acquisition d'une grammaire, mais représentait bien plus ? »

Ce beau fourreau azuré renferme un leporello, ou livre accordéon, qui interroge notre rapport à la langue, à la difficulté d'apprentissage d'une langue étrangère. La lecture y est circulaire et l'on peut donc recommencer l'histoire à l'infini. Sans véritable début ni fin. Comme une langue en perpétuelles métamorphose et évolution, qu'elle soit maternelle ou nouvelle. Beaucoup d'exigence et de fêlures règnent dans cet album hors-normes.
Au-delà des mots, il y a les illustrations d'une profondeur et d'une subtilité saisissantes. Avec ce bleu, peint à l'encre de chine, qui rappelle évidemment celui du ciel et de la mer (la mère [meR], la langue maternelle ? Et cette nouvelle langue qu'on essaie de faire sienne), Sartori interroge plus que le langage dans la concision de son texte et le bleu de ses images. Autre chose s'y joue. Quelque chose d'insaisissable dont on n'aura jamais fait le tour à l'instar de cette lecture qui se veut circulaire. On plongerait alors dans une langue comme on plongerait dans l'eau, et l'on s'y noierait parfois tout comme la silhouette de cette danseuse qui se fond dans ces bleus et dans ces blancs tout en ajoutant une certaine sensualité à l'objet-livre qui est lui-même tactile. Danse du corps, des mots dans le bleu et l'écume du ciel et de la mer.

La tension entre le vide et le plein de chaque planche est accentuée par la concision du texte, réduit à l'essentiel en de brèves phrases percutantes, et offre une véritable réflexion quant à l'apprentissage d'une langue dans laquelle on avance à tâton tout comme on avancerait tout doucement vers le bord de l'eau avant d'y plonger avec délectation.

Ainsi, tout comme ce leporello que l'on peut lire à l'infini, on n'en finit jamais d'apprendre sa propre langue et celles des autres.

Un Livre-accordéon infini, magistral.




L'artiste vient tout juste de remporter le prix de la première oeuvre de la Fédération Wallonie-Bruxelles et on l'en félicite ! Et je félicite également le soin accordé à la confection de ce bel objet littéraire.