Superbement documenté
L'auteure a lu des piles d'articles et de livres, visité des musées, même les conversations entre les personnages sont basées sur des témoignages qui lui ont été racontés par des femmes, l'auteure a même dormi dans une maison traditionnelle de haenyeo. Mais même l'histoire inventée de deux amies peut être considérée comme vraie. Elle illustre parfaitement ce qu'était la vie sous l'occupation, comment les relations sur l'ile se sont détériorées parce qu'il y avait des collaborateurs, et comment la violence et la suspicion régnaient. Enfin, il y a le lien avec les temps modernes, la vie des jeunes résidents de Jeju et le fossé énorme entre les générations des plongeuses travailleuses, analphabètes et habituées à une existence rude, et les jeunes.
Brillamment écrit
L'occupation par les Japonais, suivie par les Américains, beaucoup de violence, d'horreur même, la pauvreté, la suspicion entre les gens, le travail dangereux, la violence familiale... toutes ces souffrances. Et pourtant, l'auteure décrit tout cela de manière très vivante, en donnant au lecteur une impression d'authenticité. La lecture n'est jamais lourde ou dure, mais au contraire toujours fascinante. D'ailleurs, il n'y a pas que de la tristesse dans ce livre.
Lisa See ne manque pas de décrire les bons moments, les bons épisodes, ou de raconter les blagues que font les haenyeo et leurs moments de bonheur personnel.
Ce bonheur, c'est principalement le bonheur de la mer, l'eau autour du corps, le son du coeur, le silence sous l'eau, être loin de tout. Et en plus gagner leur vie.
Quand elles sont vieilles et pleines de rhumatismes, rien ne peut les aider. Sauf ce massage de l'eau. Alors même vieilles, elles plongent encore. Plus aussi profond, mais assez pour ne pas sentir les articulations douloureuses. Elles le font jusqu'à ce que ce soit physiquement impossible.
Les haenyeo, le patriarcat - matriarcat renversé
Les Japonais avaient prélevé des taxes sur les prises que les hommes faisaient en plongeant sous l'eau. Les femmes étaient beaucoup moins taxées parce qu'elles récoltaient moins. Cela a créé un patriarcat ou un matriarcat inversé : les femmes plongeaient et récoltaient, les hommes restaient à la maison, allaient au magasin, s'occupaient des enfants. Les femmes ont appris à plonger, parfois jusqu'à vingt mètres. de plus, les femmes effectuaient tous les travaux à la ferme (agriculture) ! Mais à l'origine, Jeju était un patriarcat, et ça se voit. Les femmes ont de lourdes responsabilités, elles travaillent très dur, elles sont en danger lorsqu'elles plongent. Elles sont les cheffes à la maison, mais pas tout à fait. La chose la plus importante pour une femme mariée continuait d'être de donner naissance à un garçon (pas à une fille, même si celle-ci peut gagner de l'argent). Certains hommes battent leur femme : il y a donc encore de la violence familiale contre les femmes. D'autres boivent, ou jouent avec l'argent durement gagné. Et ce qui est très atypique pour un matriarcat, c'est que lorsque la femme se marie, elle quitte sa famille pour rejoindre la famille de son mari. Dans un vrai matriarcat, l'homme vient dans la famille de la femme.
Par coïncidence, avant ce livre, je venais de lire l'ouvrage de non-fiction "
Et l'évolution créa la femme" de
Pascal Picq. Bien qu'il existe de nombreuses formes de matriarcat, j'ai surtout reconnu ici le "patriarcat inversé".
Jeju
Quels malheurs ont connu / connaissent les habitants de Jeju. Politiquement, leur ile est située à un endroit très stratégique. Chaque occupant peut l'utiliser comme un pont vers un autre pays qu'il veut attaquer. Jeju est donc une ile pour laquelle ils sont prêts à se battre. Les occupants japonais étaient déjà mauvais, mais les Américains, qui ne connaissent rien de la culture asiatique, bien pire. Mais qui aurait cru que sous la domination américaine, c'étaient les Coréens eux-mêmes qui ont été les pires pour leur propre peuple ? Ceux qui avaient auparavant collaboré avec les Japonais devaient s'occuper de tout, ce n'étaient pas les personnes bienveillantes. En outre, les Américains étaient convaincus que Jeju était un foyer de communistes, et c'étaient des criminels, des brutes violentes qui avaient gardé la frontière nord-coréenne qui devaient y maintenir l'ordre.... Alors que les femmes voulaient rester à l'écart des idéologies et vivre leur vie.
Et aujourd'hui ?
La Corée, et par conséquent Jeju, sont officiellement toujours en état de guerre avec la Corée du Nord. Ils ne sont pas vraiment indépendants, la situation est toujours dangereuse. Pour l'instant, il y règne une sorte de paix.
Désormais, Jeju est beaucoup visitée par les touristes, les haenyeo sont une attraction. Malheureusement, il n'en reste pas beaucoup. Il y en a 2.500 (quand j'écris cette critique, en 2021), la plupart ont plus de soixante ans. Parfois pourtant, de jeunes femmes se présentent pour apprendre à devenir une haenyeo. Elles sont attirées par l'ambiance, le travail avec les femmes. Et la capture que fait une haenyeo rapporte beaucoup plus d'argent qu'avant. Elles ne doivent travailler qu'à temps partiel pour pouvoir s'offrir une vie confortable.
Les haenyeo se font rares, mais existent toujours.