p. 146 L'éphémère est notre état premier. Notre sillon se creuse dans la boue du temps ... voir suite
Tant de temps a passé depuis cette année 1899. Elle peine à croire que ce long défilé de semaines et de mois aura été sa vie.
Personne n'a jamais compris ce que la disparition d'un proche signifiait. Les plus grands sages se sont penchés sur la question. L'homme a inventé les religions pour trouver la consolation de cette immense tristesse. Jusqu'à présente, nul n'a trouvé de réponse satisfaisante. Cela demeure un des plus grands mystères de l'humanité.
Cela veut dire que tu es sur la bonne vois, Eduard. Le progrès c'est moins percevoir la douleur de l'existence. De se montrer insensible aux turbulences.
L'arbre généalogique, arraché de sa terre hostile, poussera, régénéré, sur le sol américain. La longue expérience de sa vie le lui a enseigné. En quelque endroit du monde, on prend racine. La terre importe peu. Seule compte ce que dicte notre conduite, ce que célèbrent nos mémoires.
Se peut-il qu'en un même instant, de part et d'autre d'un océan, une même jeunesse brûle, ici, des cigarettes, là, des livres.
Papa, tu voulais me donner des leçons, tu apprends enfin la vie. C'est douloureux, n'est-ce-pas, ce poids sur les épaules ?
Voilà où repose sa seule espérance : tenir.
Elle ne pose plus de questions. Elle contemple la souffrance dans les yeux de son fils. Par deux fois Eduard a tenté de se suicider. Elle est la compagne de la folie. Elle s'acoquine avec la mort.
La belle vie est dans la nature humaine. Promenons-nous dans les bois. La formule du bonheur n'est pas dans les chiffres.