Il y a des testaments qui ne laissent aucune place aux surprises. Celui du plus célèbre dramaturge anglais de l'Histoire,
William Shakespeare, promet d'en révéler plusieurs, à commencer par son identité véritable, par la paternité de ses oeuvres et par l'existence d'un inédit caché. C'est sur la piste de l'auteur d'
Othello, d'
Hamlet ou du Marchand de Venise que part Philip Mortimer. Tandis qu'à Londres, une bande de jeunes bourgeois désargentés détroussent les vieilles fortunes d'Angleterre et que
Francis Blake tâche de mettre fin à cet odieux trafic, le professeur Mortimer, lui, s'engage sur un jeu de pistes qui le mènera à Venise, Vérone et Ravenne. Ce jeu de pistes a un intérêt culturel évident : connaître le testament littéraire de
William Shakespeare et, partant, les derniers de ses secrets. Il a aussi un intérêt financier : prouver la paternité des oeuvres du dramaturge rapportera, à la société savante qui en fera la preuve, la bagatelle de dix millions de livres. Bien sûr, une telle somme aiguise certains appétits, ce qui aura pour cause de pimenter quelque peu cette enquête.
Pour mener cette enquête littéraire, les auteurs impriment un rythme ... d'archiviste. Ce n'est pas tant que l'urgence n'est pas littéralement affirmée, mais il semble que les héros ne soient jamais vraiment pressés. Il y a bien un ultimatum pour résoudre l'énigme shakespearienne ; cependant la dolce vita italienne balaie toutes les urgences. Est-ce là un réel défaut ? Oui, si l'on s'en tient au genre auquel se rapporte ce récit : l'aventure ne tolère pas qu'on la traite avec légèreté. On s'étonne ainsi que Mortimer prenne le temps de s'arrêter pour dîner et dormir dans une auberge, alors que le temps est terriblement compté. Cependant, il ressort de cet album une atmosphère très plaisante, et le décor italien n'y est pas pour rien. L'album baigne dans une douce lumière, très agréable à l'oeil. On retrouve le goût de la série pour les décors extérieurs : lagune vénitienne, arènes de Vérone, campagne italienne, en faisant un petit détour par Londres et par Stratford-upon-Avon.
Le prétexte de la narration est très intéressant. Cette plongée dans une histoire très anglaise se fait à double niveau : on tâche, dans un premier temps, d'éclaircir les zones d'ombre de la vie de
William Shakespeare. Dans un deuxième temps, on découvre les controverses historiques quant à la vie du dramaturge - réelles - et les frictions qui en découlèrent, réelles elles aussi, notamment à travers les rivalités entre sociétés savantes. du côté des personnages, la place centrale est, de nouveau et de façon presque habituelle avec les albums post-Jacobs, occupée par Mortimer. Blake, lui, est relégué au rang de personnage secondaire dont l'occupation principale consiste à enquêter sur les teddys qui sévissent dans les parcs londoniens. Si Olrik trouve une place de façon miraculeuse - on a presque de la peine pour lui qu'il occupe un rôle si peu important, enfermé qu'il est dans sa prison -, Sente et Juillard rappellent également Sharkley, qui ne semble pas non plus représenter une grande menace (ce qui n'arrange pas le suspense de l'album). Les personnages féminins sont, eux, en retrait, importantes parce qu'elles sont des expertes de
Shakespeare, mais peu déterminantes quant à la conduite des opérations.
Heureusement, les atouts de l'album plaident largement en sa faveur. On se laisse porter par cette enquête essentiellement intellectuelle qui, si elle se place en rupture avec les oeuvres de Jacobs pendant lesquelles Blake et Mortimer sauvaient le monde, égaie pourtant et transporte en d'autres lieux, et d'autres époques.