Le vieux la caressa, oubliant la douleur de son pied blessé, et il pleura de honte,se sentant indigne, avili, et en aucun cas vainqueur dans cette bataille...Puis il jeta rageusement le fusil et le regarda s'enfoncer sans gloire. Bête de métal honnie de toutes les créatures.
Ils prenaient seulement plaisir à le voir transpirer comme un robinet rouillé condamné à couler pour l'éternité.
- C'est ta propre mort qui s'est déguisée pour te surprendre. Si elle l'a fait, c'est parce que l'heure n'est pas encore venue de partir. Chasse-la, ordonnait le sorcier shuar, en massant son corps las avec de la cendre froide.
La forme aux yeux jaunes se déplaçait dans toutes les directions. Elle s'éloignait, absorbée par la ligne verte, diffuse et toujours proche de l''horizon, et les oiseaux se remettaient à tournoyer en chantant leurs messages de bien-être et de plénitude. Et puis elle réapparaissait dans un nuage noir qui descendait avec violence, et une pluie d'yeux jaunes tombait sur la forêt, s'accrochant aux branches et aux lianes, illuminant la jungle d'un jaune incandescent qui l'entraînait de nouveau dans la frénésie de la peur et de la fièvre.
Les yeux brouillés de larmes et de pluie, il poussa le corps de l'animal jusqu'au bord de la rivière et les eaux l'emportèrent dans les profondeurs de la forêt, vers les territoires jamais profanés par l'homme blanc, vers le confluent de l'Amazone, vers les rapides où des poignards de pierre se chargeraient de le lacérer, à tout jamais hors d'atteinte des misérables nuisibles.
« Il passa toute la saison des pluies à ruminer sa triste condition de lecteur sans livre, se sentant pour la première fois de sa vie assiégé par la bête nommée solitude. »
C'était l'amour pur, sans autre finalité que l'amour pour l'amour. Sans possession et sans jalousie.
- Nul ne peut s'emparer de la foudre du ciel, et nul ne peut s'approprier du bonheur de l'autre au moment de l'abandon.
Il possédait l'antidote contre le redoutable venin de la vieillesse. Il savait lire.
Il prit la direction d'El Idilio, de sa cabane et de ses romans qui parlaient d'amour avec des mots si beaux qu'ils lui faisaient oublier la BARBARIE des hommes.
Antonio José Bolivar essayait de mettre des limites à l'action des colons qui détruisaient la forêt pour édifier cette oeuvre maîtresse de l'homme civilisé : le désert.
Antonio José Bolivar ôta son dentier, le rangea dans son mouchoir et sans cesser de maudire le gringo, responsable de la tragédie, le maire, les chercheurs d'or, tous ceux qui souillaient la virginité de son Amazonie, il coupa une grosse branche d'un coup de machette, s'y appuya, et prit la direction d'El Idilio, de sa cabane et des ses romans qui parlaient d'amour avec des mots si beaux que, parfois, ils lui faisaient oublier la barbarie des hommes.