Mini-trilogie Luis Sepúlveda
Biographie romancée :
Un nom de torero (1994)
Conte pour enfants :
Histoire d'une mouette et du chat qui lui apprit à voler (1996)
Son chef d'oeuvre :
le vieux qui lisait des romans d'amour (1989 VO) (1992 version française)
J'ai beaucoup (très) mal à parler du coup d'état et des heures sombres sous Pinochet. Salvador Allende a marqué la fin d'un rêve, d'une utopie où l'on a cru que le sens de la vie pouvait être la recherche du bonheur et non pas une soif insatiable de pouvoir et de richesse matérielle.
Luis Sepulveda (1949-2020) n'a jamais voulu écrire sur les tortures qu'il a subies, en prison, sous Pinochet, pendant plus de deux ans. Par contre, il se livre, et se délivre aussi, dans plusieurs de ses oeuvres.
Un nom de torero a été écrit dans des conditions particulières, pendant les six mois de son hospitalisation à Hambourg, dans les années quatre-vingt-dix, où son pronostic vital était engagé, très certainement des séquelles de son emprisonnement.
Son héros alter ego, Juan Belmonte, fait référence à un matador légendaire (1892-1962). C'est aussi un hommage à son grand-père, andalou, militant républicain, dont il garde une photo où il apparaît à côté d'
Hemingway (1899-1961).
Dans
Un nom de torero (1994), Juan Belmonte a 44 ans - l'âge de Luis Sepúlveda au moment où il écrit -, chiffre « capicúa » palindrome. C'est un exilé chilien à Hambourg. Il est videur dans un cabaret de striptease transformiste. Un individu en chaise roulante, Oskar Kramer, le sollicite pour une mission spéciale, en Terre de Feu chilienne. Belmonte accepte pour Verόnica, sa femme, qui a été torturée et est restée à Santiago.
En 1941, Hans Hillermann et Ulrich Helm ont volé soixante-trois monnaies d'or du trésor « Croissant de Lune Errant » - confisquées par les nazis -, dans le but d'assouvir leur rêve de voyage en Terre de Feu. Hans réussit à partir mais Ulrich est capturé, puis torturé. Il résiste. Ce n'est que cinquante ans plus tard qu'il trahit son ami.
Belmonte doit retrouver Hans et les monnaies. L'affaire se corse parce qu'en même temps, Franck Galinsky, qui a aussi 44 ans, ex-agent de la Stasi, se met en route pour le compte du « Mayor ».
Est-ce que Belmonte ou Galinsky vont réussir à récupérer les pièces ?
Est-ce qu'on va assister à un duel ?
Parallèlement, à ce conte avec une belle morale, nous plongeons dans le milieu interlope international des services secrets et dépendances.
Belmonte, comme Galinsky, ont un conséquent palmarès de faits d'armes clandestins. La chute du mur de Berlin les prive de travail, voire de raison d'être.
Au fil des chapitres, Belmonte intervient pour se confier.
Il nous parle des douleurs de l'exil :
« Je vivais dans le no man's land que certains, par euphémisme, nomment exil » (p.31).
Il doit subir le racisme antiturcs !
« Retourne en Anatolie, Mustapha » (p.27)
« Si j'écoutais des tangos en sourdine, il se plaignait de mes liturgies musulmanes, et si je mettais un disque de salsa, ses réclamations mettaient en cause la moralité douteuse d'un Turc qui vivait sans femme connue » (p.25)
Belmonte fait profil bas mais bout intérieurement.
« Un nazi est une espèce de punching-ball parlant toujours en quête d'une paire de claques […], le nazisme […] quintessence de la merde » (p.27)
Ces critiques ne se cantonnent pas aux nazis.
« En RDA, la Stasi avait frappé fort et bien. Les Allemands impliqués avaient été jugés pour collaboration avec leur ennemi de classe, leurs biens avaient été confisqués et ils avaient écopés de lourdes peines à purger dans des prisons qui n'avaient rien, ou presque, à envier aux culs-de-basse-fosse de Pinochet ou de Videla » (p.115)
Le gouvernement chilien n'est pas épargné non plus.
« […] Quand la démocratie a ouvert ses cuisses au Chili, elle a d'abord annoncé le prix et que la monnaie dans laquelle elle s'est fait payer s'appelle oubli » (p.133)
Belmonte, et aussi Galinsky, repensent à leur passé de guérilleros, et ce n'est pas aisé de se repérer dans cette jungle terroriste internationale.
Le langage est truffé de chilénismes, du parler des rues, il n'est pas grossier proprement dit mais surtout l'expression d'un certain ressentiment. Pas évidente la traduction ! Il y a un extrait, que je mets en « citations » (p.23) où on a la version originale en italiques, suivie de ce que le traducteur
François Maspero qualifie de traduction approximative. Une remarque : pourquoi traduire « chimangos » par « charognards » ?
Luis Sepúlveda a été libéré de prison grâce à
Amnesty International. Il a quitté le Chili en 1977 décidé à s'investir dans la lutte armée. Il a énormément voyagé dans divers pays d'Amérique Latine mais aussi au Mozambique, Angola, Cap Vert… Il a participé à la révolution sandiniste contre Somoza. En 1981, il s'est installé à Hambourg où il a vécu quatorze ans.
Quelle est la part de fiction et de réalité aussi bien dans l'oeuvre, que dans la biographie de Luis Sepúlveda ?
Peu importe. Que ce soit le conteur ou l'homme, il a conquis mon coeur.
Un nom de torero est une bonne entrée en matière pour appréhender la personnalité de ce grand auteur singulier. Juan Belmonte revient en 2017 avec Fin de l'histoire.
Luis Sepúlveda prévoyait une suite quand la mort l'a fauché, en avril 2020, après un festival littéraire à Lisbonne. Il fait partie de la première vague des victimes du COVID.
Verόnica, l'amour de Belmonte, est Carmen Yañez, la femme de Sepúlveda, qu'il a épousé deux fois, la première en 1971 au Chili, et la deuxième en Espagne. Ils se sont remis ensemble en 1997.
Je m'en vais de ce pas lire
Histoire d'une mouette et du chat qui lui apprit à voler.