Le dernier juif d'Europe

Elle rencontre qui elle veut sur Monster Tinder.
Il s'agit de notre application. C'est bien plus qu'un site de dating. Car on ne se connaît vraiment pas entre nous, les monstres. C'est pourquoi nous disposons de ce réseau pour faire passer des informations, pour entrer en contact. Pas forcément pour des motifs sentimentaux.

Lorsqu'on a une haine sanguinaire à l'égard de personnalités aussi dissemblables que Sarkozy, Hollande et Macron, c'est qu'aucun président ne nous conviendra plus. Car enfin il s'agissait des trois natures, des trois morphologies et des trois visions du monde les plus distinctes possibles : le premier ne jurait que par la sueur, le mérite et la hiérarchie ; le deuxième avait la rouerie des vieux usagers des partis politiques et de nos institutions, qui savent qu'il faut laisser pisser, que tout passe tout casse, et que le mieux qu'ait fait Mitterrand c'était, en cas de crise, de de taire ; puis Macron c'était le conseiller clientèle de la Sofrocogédec, avec des enthousiasmes et une tête de nœud comme quand le banquier veut vous fourguer un "crédit in fine" à l'issue duquel vous risquez d'être ruiné et votre maison hypothéquée. (p. 240)

Elle est très belle. Elle doit sentir que je suis homosexuel et il me semble que ça l'énerve. Elle s'enroule autour du monsieur qui l'accompagne. On leur a fourgué un chat sans puce électronique. Et ils ne s'en rendent compte que maintenant alors qu'ils l'ont depuis des années. Je repère les personnes sensibles. J'opère hors de la pièce mais ils entendent miauler le matou un peu fort. On te foutrait un bipeur sous la peau tu gueulerais aussi, alors merci de ne pas juger le règne animal. Je les retrouve qui tremblent. Puis arrive la mauvaise nouvelle : l'un de leurs autres chats est gros comme un cochon. Je traduis ça en termes médicaux :
- Faites attention car Gorby est en situation d'obésité morbide.
J'imagine qu'ils l'ont appelé comme ça à cause des taches de rousseurs. Au moment où je dis "morbide", la cliente fond en larmes et son julot fait de son mieux pour assurer mais je vois bien qu'elle ne va pas mieux. J'ai envie de hurler : " Arrêtez de me faire chier, votre chat a un gros cul, madame, et votre mec aussi, faites-les bouffer moins et cessez de déranger le corps médical."

Ils disent "Macron". Avec la même intonation qu'on dirait "juif" dans l'extrême droite traditionnelle. Papa est tout de même un peu déçu car Macron a la tête d'un conseiller clientèle de chez Cofidis et les manières d'un catho tradi qui met son petit pull sur les épaules quand il va se ressourcer à Saint-Malo. (p. 141)

Le Monster World c'est ça : quand on nous annonce sur Facebook qu'un médecin italien a greffé la tête d'un milliardaire chinois sur le corps d'une jeune nonne russe, on oublie de cliquer sur "Tu déconnes !" ; quand on nous informe que du muscle humain est cultivé sous serre par hectares en Islande, à l'énergie volcanique, pour épargner la souffrance animale et aussi parce que la viande humaine est plus facile à assimiler pour l'organisme, on ne réagit pas, et on dit à nos enfants : "Finis ton assiette", comme si de rien n'était. (p. 16)

Des gens dévalent l'escalier du sous-sol de la pizzeria. Il y a des "iiiii" et des "sploutch" quand ils arrivent en bas des marches. Je pense à d'anciens sportifs qui ont subi une rupture des ligaments croisés et qu'on a mal opérés, j'imagine que c'est fréquent chez les hommes de main de quatrième catégorie, ça me semble expliquer les grincements. En ce qui me concerne les "sploutch" je me dis : " Rhume de la hanche. " ce n'est pas un rhume de la hanche, je le sais puisque même si je n'ai pas réussi médecine j'ai tout de même fait véto. Mais lorsque j'étais enfant je l'ignorais. Et là, sous la table, à ne voir que les pieds tremblants de mon père, à serrer un coffre bizarre qui semble palpiter et à assister à l'arrivée d'autres paires de pieds dans une symphonie de "iiii" et de "sploutch", je redeviens enfant. Quand j'étais petit, je pensais qu'un rhume de la hanche, c'est quand tu te mouches avec ton fémur. D'où le "sploutch". Je me raisonne, je me dis : " Fais pas l'enfant, le bruit que tu entends, c'est sans doute une poche fécale, le truc à cause duquel Elvis est mort." Peut-être que ce fût ça, finalement, le grand début du Monster World.

Puis un rideau s'est ouvert : Johnny est entré en scène. Pas un hologramme. Le vrai. Personne ne s'est étonné. Macron avait eu l'idée de faire déterrer Johnny Hallyday, de le monter sur des structures qui le faisaient à peu près tenir debout et de mettre le tout sur roulettes. C'est la maison Deyrolle qui s'est chargée de lui donner apparence présentable. Ils font du puma, du perroquet inséparable et de la fourmi géante, donc le chanteur mort, c'était dans leurs cordes. Tout le monde s'est mis à sangloter quand la sono a fait entendre un enregistrement de "Ça ne change pas un homme, un homme ça vieillit". Croyez-le ou pas, dès que la momie de Johnny est apparue, tous les gilets jaunes se sont calmés. Le patron était de retour. Ce pays était enfin géré. Nous - je veux dire les Français, pas juste ma famille de juifs trouillards, non, tout le monde - on était heureux et soulagés. La mort, encore plus sûrement que l'alcool, te donne une voix géniale. Johnny a parlé aux gilets jaunes et ils se sont compris. Il leur a promis qu'il reviendrait chaque année. Et tout est rentré dans l'ordre....
page 17-18.
citation un peu longue mais impossible de la couper !!!!!

Ils disent “Macron”. Avec la même intonation qu’on dirait “juif” dans l’extrême droite traditionnelle. Papa est tout de même un peu déçu car Macron a la tête d’un conseiller clientèle de chez Cofidis et les manières d’un catho tradi qui met son petit pull sur les épaules quand il va se ressourcer à Saint-Malo.

Recontextualisons. Au départ, tout se passait bien avec les manifestants. Ils n'étaient pas antisémites ! Ils se retrouvaient dans la rue à cause des difficultés à vivre. Chacun avait le sentiment de manquer d'argent et de perspectives. On ne parvenait pas à mettre le doigt dessus car chaque situation était différente mais, à la fin du mois, on n'y arrivait plus. Parfois même dès le début du mois. Et ceux qui n'étaient pas dans la pauvreté ne pouvaient que constater qu'ils se payaient tout de même de moins en moins de biens consommables. C'était mieux avant. Au début ça commence par de petites privations, on réduit la durée des vacances , on voyage moins loin. Puis, lorsqu'il n'y a plus de vacances du tout, on est conduit à rogner sur chaque dépense. Et le jour où on se retrouve à manger sur les cadeaux de Noël des gosses, on se dit que le coup d'après il faudra rendre la maison. C'est tout? Non! Quand on fait ses comptes , on ne s'y retrouve plus. Le moindre produit semble coûter plus cher qu'avant, être de moins bonne qualité. On vit dans le plastique, on bouffe du plastique, il fait de plus en plus froid à cause du réchauffement climatique et en plus on passe pour des cons lorsqu'on ose dire qu'on ne comprend pas que le réchauffement apporte du froid.

- Retournes-vous, madame, je ne veux pas vous tuer dans le dos. on fait tout dans mon village, mais la justice, on la rend les yeux dans les yeux. page 302