MITSUBA :
Toujours un style épuré au service d'une élégance discrète, toujours cette illustration du Japon contrastée entre délicatesse et brutalité mais, hélas, toujours la même structure narrative. Ayant dévoré le Poids des Secrets, ce premier tome de la pentalogie suivante me fut un peu trop prévisible de par le réemploi d'une intrigue similaire...
Il est toujours saisissant d'appréhender le monde de l'entreprise au Japon : la pilule n'est pas édulcorée. Comme partout ailleurs, mais là-bas avec l'adhésion religieuse des opprimés, la morale collective sclérosée censée protéger l'intégrité du groupe ne subsiste que par la digestion des individualités dans le grand estomac capitaliste.
ZAKURO :
Les oeuvres de
Shimazaki m'évoquent le shodô, "Voie de l'écriture", art de la calligraphie japonaise. Fluide ou anguleux, le trait brosse, dessine, caractérise les aléas de nos destinées. Dans une langue à la fois vive et mesurée est évoquée
L Histoire lorsqu'elle rudoie nos âmes.
Comment le Japon d'après-guerre pourrait-il se reconstruire alors qu'Okinawa est sous domination américaine ?
Comment le narrateur poursuivrait-il ses études tandis que son père est emprisonné dans les geôles de la Russie soviétique ?
Comment cette touchante épouse saurait-elle éviter la démence, percluse dans l'attente du retour de son "amour de jeunesse" déjà dans le tombeau ?
En attendant Godot, Samuel Becket fait dire à ses personnages :
"- Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?
- On attend.
- Oui, mais en attendant ?"
Peut-être s'abîmer dans la contemplation des
Zakuro ("Sottise"), symboles de la captivité de Perséphone aux Enfers, de la frivolité de nos revendications terrestres, afin qu'ici-bas, l'inhalation esthétique de la nature ouvre notre entendement aux beautés ineffables...
TONBO :
Lecture très décevante.
Ce troisième volet perd de son souffle poétique, se résigne aux répétitions ; la fluidité s'estompe et la lecture s'en affadit beaucoup.
Dans le premier tome, l'individu était malmené par le système sacrificiel de l'entreprise. Dans le deuxième, par la brutalité de l'Histoire des hommes. Ici, l'intériorisation pernicieuse de cette sujétion devient l'ultime complice de la pensée unique de l'époque grâce à la crainte du regard des autres. Je deviens ainsi mon propre tyran, le défenseur de ma soumission.
Le personnage s'éclipse du réel, dilapide l'amour maternel, compromet son avenir d'étudiant par honte de son histoire familiale, impuissant devant le chantage d'un autre comparse en proie à l'aigreur, la malveillance et à un orgueil démesuré parce qu'en mal de regard aimant.
Le père du narrateur, quant à lui, perd son masque social et ne supporte plus de vivre, comme si tout son être s'était racorni, sa destinée abolie pour un acte dont il est faussement accusé par un journaliste.
Le narrateur met un terme à ce fléau. Il assume d'appartenir à la minorité chrétienne et fleurit ses aspirations jusqu'à démissionner d'un poste privilégié pour réaliser le projet cher à son père.
Voilà... je reste sur ma faim.
(Si le regard des autres leur appartient et ne peut définir qui je suis, il m'informe en revanche de qui ils sont...)
TSUKUSHI :
Irréversibilité du temps qui de nos amours blessées tresse l'auréole de l'impuissance...
Nous étions certains d'avoir tourné la page et voilà qu'au fil des pages nous sommes retournés... Tout semblait pourtant en ordre, les secrets dormant dans les catacombes de nos coeurs martyrs, l'emploi du temps chargé, la petite aux cours de musique et de tennis, le regard des proches approuvant du double menton la banalité de nos appétits puis soudain... le ruissellement de nos rêves éteints par nos choix convenables se fait déluge ! L'infortune d'un quotidien clandestin dévoile les brèches, souffle sur les braises, bouleverse le concevable et on se souvient... L'amour... on l'avait bien croisé jadis, mais souffleté sur les deux pommettes l'avions fait battre en retraite...
"Il faut nous aimer sur terre
Il faut nous aimer vivants
Ne crois pas au cimetière
Il faut nous aimer avant"
Paul FortYAMABUKI :
Douce romance où l'amour entre deux êtres s'entrelace délicatement avec celui pour le Japon intemporel. Ici, nous nous élançons sur l'océan du temps long, celui qui n'a cure de l'écume des événements, celui qui destine et prédestine avec gravité. Pour y être bienvenue, l'intégrité est sésame, la tempérance tenue exigée, et l'art de discerner dans l'éphémère la part de l'impérissable l'équipement martial.
L'amour ne s'exhibe pas puisqu'il flamboie sans se consumer. La mort, elle-même ne peut le discréditer... elle est variation d'un unique songe, d'un embaumement parfumé de corolles dorées.