Lionel Shriver tire son inspiration de son entourage et surtout des travers de la société américaine.
Big Brother est dédicacé à Greg, son frère qui a lutté contre l'obésité mais est décédé à cinquante cinq ans d'insuffisance respiratoire.
L'obésité est un fléau majeur de l'Amérique ( » je jure de me détourner de la graisse qui ridiculise le tour de taille de l'Amérique » ) mais il touche désormais les pays européens.
Pandora, après une enfance difficile dans le milieu de la télévision américaine puisque son père Travis était le père héros d'une série télé et confondait souvent le show et la réalité, s'est désormais taillée une belle place dans l'Iowa en tant que créatrice d'une entreprise florissante de marionnettes. Elle est mariée à Fletcher, un homme très tatillon, surtout sur son régime alimentaire, père de deux adolescents ( Tanner et Cody) d'un précédent mariage raté.
Lorsque Slack Muncie, un saxophoniste new-yorkais, appelle Pandora pour lui conseiller de s'occuper de son frère, elle convainc, non sans mal, son mari d'héberger Edison, ce frère musicien prétentieux et raté, quelques temps.
Quelle ne fut pas sa surprise de retrouver son playboy de frère, blondinet charmeur dans un corps de 176 kilos ! Au delà des moqueries des gens à l'aéroport ou ailleurs, des difficultés matérielles pour loger ou asseoir une telle corpulence, Pandora se demande très vite comment son frère a pu atteindre cet état extrême.
« Edison était-il gros parce qu'il était en dépression ou en dépression parce qu'il était gros? »
La présence d'Edison va très vite faire éclater la fragile cellule familiale. Pandora, consciente du rôle de la fratrie, » tiraillée entre deux loyautés, destinée à trahir les deux parties sans satisfaire personne, à commencer par soi » ne peut renvoyer Edison à sa déchéance new-yorkaise et prend un appartement avec lui pour réussir le pari de lui faire retrouver les 75 kilos de sa jeunesse en un an…
Régime draconien basé sur l'affamement avec pour toute alimentation quatre sachets vitaminés par jour mais aussi et surtout réflexion sur ce qui remplit une vie, sur la vaine quête du désir et la nécessité de la maîtrise de soi.
Si le sujet principal est l'obésité, l'auteur élargit intelligemment la réflexion. Certains se jettent sur la nourriture par désoeuvrement, par besoin de combler un vide mais d'autres abusent de l'alcool, de la drogue ou de la recherche de la célébrité, du pouvoir.
Dans notre société où les rencontres, les liens sociaux se font souvent autour d'un verre ou d'une table, il faut une volonté exceptionnelle pour mener de front une vie sociale et un régime.
Mais avec
Lionel Shriver, les personnages sont complexes. A la fois victime et bourreau, chacun va densifier le scénario de cette aventure et le roman devient très vite passionnant.
D'autant plus que de nombreux sujets sur la cellule familiale sont traités en second plan.
Les différentes générations illustrent les différentes visions de l'éducation parentale et les comportements au sein de la fratrie.
» Je ne veux pas qu'ils pensent qu'il existe un raccourci facile. Je veux des enfants que plus personne n'a aujourd'hui. Qui tiennent bon, font leur part, et n'attendent pas de piston, ni de coup de main. »
» Petit à petit, on commence alors à comprendre que l'emploi auquel on aspire est plus dur à obtenir qu'on ne l'aurait cru, que l'offre en chair fraîche, en jeunes qui se pensent tout droit sortis de la cuisse de Jupiter, est inépuisable, et que le talent qu'on a n'est pas aussi unique qu'on le pensait. Cela procède sûrement d'un talent rare – réussir à doucher le sentiment de sa propre importance sans éteindre en soi le feu de la passion -, mais les jeunes qui y parviennent deviennent non seulement des cracks dans leur domaine, mais aussi des êtres humains supportables. »
Big Brother est un livre comme je les aime. Traitant d'un sujet important de société,
Lionel Shriver m'embarque dans une histoire passionnante, rythmée, triste et drôle, sans oublier de me faire réfléchir. Et, en plus, elle me surprend par une fin inattendue, personnelle et cohérente.
Si j'ai eu un peu de mal à m'adapter au style un peu heurté ( effet de traduction ou patte de l'auteur), je me suis très vite passionnée pour le fond.
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