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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Etoiles Notabénistes : ******

ISBN : 9782258093584

Voici probablement la meilleure étude sur une personnalité de psychopathe à laquelle se soit livré Simenon dans sa série de romans psychologiques. Nous savons déjà qu'il a rarement traité le thème du tueur en série dans ses "Maigret" et que, les deux fois (je ne crois pas me rappeler qu'il l'a fait plus souvent), il n'a jamais réellement cherché à approfondir le caractère de ces personnages-là. Dans cet "Homme Qui Regardait Passer Les Trains", son but est visiblement tout autre. Non qu'il se prononce de façon définitive. Il laisse son lecteur se faire sa propre idée de son héros, Kees Popinga, mais pour l'y aider, il lui fournit tous les indices nécessaires. Indices et peut-être contre-indices, allez savoir ...

A chaque roman, Simenon se révèle comme un maître de l'analyse psychologique, qu'il l'ait été consciemment ou pas. Et il était trop fin pour ne pas savoir que, même si la logique d'un malade mental n'est pas la même que celle d'un être dit "normal", elle n'en existe pas moins bel et bien.

Normal, en tous cas, Kees Popinga nous le paraît sans conteste dès les premières pages. Dans sa belle villa de Groningue, en Hollande, il mène une vie paisible et terriblement hollandaise auprès de sa femme, qu'il appelle "maman" (sauf au lit, nous l'espérons) et de ses deux enfants, Frida, dont on ne sait jamais à quoi elle pense, et Carl, de deux ans plus jeune (il a donc quinze ans), adolescent qui ne présente aucun des défauts inhérents à cet âge - ce qui fait penser à son père, nous l'apprendrons plus tard, qu'il ne fera rien de bien dans la vie ... Popinga possède en plus une excellente situation dans la meilleure maison d'import-export du lieu, celle de Julius de Coster en Zoon Père & Fils. Bref, tout est chaud, tout est douillet, tout est prévu dans cette existence qui semble parfois nous restituer le lent et pondéré tic-tac d'une horloge comtoise, à la fois rassurant et lassant. le jeudi, M. et Mme Popinga vont non pas au cinéma - distraction décrétée peu convenable par maman - mais à l'Opéra. Kees s'interdit de lui-même de pénétrer dans certains bars qui ne sont pas convenables, eux non plus. Quant à la maison close du lieu, où, pendant des années, se produisit Paméla, la femme qu'il considérait cependant comme la plus attirante qui fût, jamais, pour rien au monde, Popinga n'y poserait le bout du gros orteil.

J'ai parlé d'horloge. Et une horloge, si solide qu'elle soit, c'est fragile. Tous les trois mois, ma grand-mère faisait venir son horloger pour qu'il vérifiât les mécanismes de celles de la maison, c'est tout dire. Et ma grand-mère savait ce qu'elle faisait ! ;o) Mieux valait prévenir tout détraquement éventuel car, une fois le détraquement survenu, adieu la modération, adieu la sagesse, adieu la sécurité même si la lassitude s'en va aussi avec elles ... Or, par un soir de période de Noël, à Groningue, l'horloge des Popinga est prise d'assaut par la menace qui la guette depuis sa création ...

Il faut dire que, sorti dans la nuit par exception (après avoir mis ses caoutchoucs) pour vérifier une dernière fois si "L'Océan III", l'un des bateaux de la Compagnie, sera fin prêt pour prendre la mer le lendemain, c'est avec ahurissement et non sans effroi que Kees Popinga doit faire face à un capitaine furieux qui n'a pas été réapprovisionné en mazout ainsi que cela était prévu. Encore sous le choc et après un détour au manoir de Julius de Coster le Jeune - lequel, ne vous y trompez pas, a soixante ans pour une épouse de trente ans plus jeune - Popinga est renvoyé, non sans mépris, par cette dernière aux bureaux de la Compagnie où, d'après ce qu'il lui a dit, son mari avait pour idée de travailler tard. Mais vous pensez bien que Popinga, en employé modèle, y est déjà allé, aux bureaux de la Compagnie. Des bureaux où De Coster brillait par son absence.

Finalement, tout à fait par hasard, alors qu'il jette un regard de biais par la vitrine de l'un des bars mal famés de la ville, "Le Petit-Saint-Georges", Popinga, qui n'en croit pas ses yeux, y découvre, paisiblement installé à une simple table de bois, son patron en train de consommer, son patron qui le voit à son tour et lui fait signe fort aimablement de le rejoindre.

Avec une urbanité charmante et un cynisme écoeurant de froideur, Julius annonce à son chargé d'affaires que la Compagnie sera très bientôt déclarée en liquidation judiciaire parce que, entre autres, cela fait bien vingt ans que lui, Julius fait de la contrebande et se livre à divers trafics sous cette couverture qu'il a héritée de son père, désormais sénile mais qui, du temps de ses beaux jours, avait lui-même fait fortune en trafiquant au Transval lors de la Guerre des Boers. Ayant cette fois-ci poussé le bouchon un peu loin, Julius a décidé de "disparaître" en toute discrétion, ce soir-même, pour se réfugier en Angleterre où l'y attend un confortable magot. Et ce sont sur ces bonnes paroles et avec le conseil paternel de l'imiter qu'il abandonne Popinga à ses réflexions ...

Et c'est là que jaillit d'un seul coup le côté obscur de Popinga, cet homme qui aime tant à regarder passer les trains, surtout les trains de nuit qui, compte tenu de l'implication sexuelle qu'il associe à leurs wagons, lui inspirent une fascination étrange et lourde. Tout d'abord, avec l'argent que lui a donné le très serviable De Coster, il s'offre un ticket pour Amsterdam. De Coster y a abandonné, à l'Hôtel Carlton[, la fameuse Paméla, qu'il entretenait là-bas depuis quelque temps. Popinga se présente à elle et, sans plus de préambule, parce qu'il trouve sa demande naturelle ("après tout, c'était son métier, n'est-ce pas ?", dira-t-il plus tard), exige de passer une heure de sexe effréné avec elle. La jeune femme lui éclate de rire au nez et ...

Après Amsterdam, Paris. Popinga s'y promène glorieusement et, au début en tous cas, dans l'euphorie de sa nouvelle vie, sans aucune lassitude, sans aucune crainte : ni de la pègre, ni de la police qu'il a pourtant bientôt à ses trousses. Simenon nous révèle, par à-coups, son besoin (contre lequel il lutte ou ne lutte pas) d'avoir des rapports sexuels mais aussi de tuer uniquement des femmes. S'il avait à tuer un homme, Popinga le ferait également sans le moindre scrupule mais ce serait sans doute dans le cas d'une légitime défense. La preuve : sur la fin du livre, alors qu'il avait à sa merci un clochard, endormi sur un banc et dont il voulait à tout prix les vêtements, il renonce au geste meurtrier.

A partir du moment où Popinga monte dans le train qui l'amène à Amsterdam, le lecteur monte dans son rêve éveillé de refoulé qui, brusquement, voit éclater, exploser la personnalité qui lui servait de paravent et aussi de refuge. Tandis que les personnages qui se meuvent autour de lui - notamment Jeanne Rozier, son amant Louis et leur bande de malfrats - appartiennent à la réalité, bonne ou mauvaise, il n'y a plus, pour Popinga, qu'une Réalité : la sienne. Kees Popinga y règne en maître, fait la une des journaux, écrit aux directeurs de certains quotidiens pour rectifier ce qui, selon lui, est faux dans ce qu'ont rapporté sur lui leurs rédacteurs. Il s'offre même le luxe d'écrire au commissaire Lucas qui traite son affaire au Quai des Orfèvres. Peu à peu, il se berce de sa célébrité mais surtout de l'adresse, exceptionnelle, avec laquelle il échappe à ses persécuteurs, tous ces gens qui vivent dans la norme. Il caresse, flatte, et ressasse sans cesse la valeur de son intelligence. Kees Popinga échappe à tous parce qu'il est le Plus Fort, le Plus Intelligent. D'ailleurs, tous le disent ...

Quand les journaux, probablement sur les ordres de la Sûreté, cessent de le mettre en avant, le Rêve Enchanté de Popinga commence à vaciller sur ses bases. Et notre homme est prêt à tout pour le retrouver et le faire durer éternellement.

Simenon explore son personnage en long et en large et de l'intérieur de son cerveau. le résultat est magnifique - même si certains ne le jugeront certainement pas assez "gore". Mais le "gore" n'était pas l'affaire de Simenon. Son affaire à lui, c'était l'être humain. Et, malgré sa déviance et même sa perversion, sans oublier sa mégalomanie, c'est bien le souvenir d'un être humain que le lecteur emporte de Kees Popinga, l'Homme Qui Regardait Passer les Trains. Bonne lecture à vous !
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Ceux qui l'aiment prendront ce train

" Il n'y a pas de vérité, n'est-ce-pas ? "

A elle seule, la dernière phrase de ce roman pourrait le résumer.

" L'homme qui regardait passer les trains " publié en 1938, est une nouvelle réussite de ce boulimique d'écriture qu'est Simenon. Pensez-donc : cette année là, il ne propose pas moins d'une dizaine de romans sans que l'on puisse crier au fabriqué ou au procédé.

Quel homme et quel train ?

L'homme s'appelle Kees Popinga.
Jusqu'au 22 décembre, il est cet individu sans relief qui subit sa vie entre le bureau de l'entreprise d'accastillage Julius de Coster où il est fondé de pouvoir, et sa belle maison de Groningue, en Hollande. Il est marié à " maman " et père de famille sans histoire.

Mais la vie de Kees bascule ce soir-là quand il rencontre son patron accoudé à un zinc de bistrot qui, dans un élan combinant provocation, mépris et ébriété, lui révèle qu'il a mené sa compagnie à la ruine en raison de malversations financières et qu'il s'apprête à fuir en simulant un suicide.
Kees qui avait investi sa confiance et ses économies dans l'entreprise, comprend que sa vie d'avant vient de s'écrouler.

C'est alors qu'il se décide à prendre enfin, LE train.
Ce train que Kees regardait jusqu'alors passer, comme une promesse d'ailleurs pour cet homme qui ne voyage jamais bien que titulaire d'un diplôme de capitaine au long cours.
Mais aussi ce train qui va faire de lui, un autre homme. Kees, poussé par les événements, va vivre enfin la vie pour laquelle il pense avoir été fait, lui qui pendant 16 ans, a rêvé de sortir un soir sans dire où il allait.
Grisé par cette liberté, il choisit de défier le monde, refuse de reconnaître les signes d'enfermement mental, et s'enferre dans une paranoïa qui va finir par le perdre.

C'est un roman particulièrement riche et troublant.
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